Nous sommes aujourd’hui le 2 Avril. Cette date ne vous évoque peut-être rien mais il y a 176 ans jour pour jour, naissait l’auteur Emile Zola. A cette occasion, nous allons découvrir le rapport entre Zola et la ville d’Aix par le biais d’une localité créée de toutes pièces par Zola : la ville fictive de Plassans.
Je préfère prévenir par avance, cet article ne sera pas une biographie de l’auteur, nous ne nous pencherons pas sur sa vie en général mais plutôt sur les points communs entre Plassans et l’Aix que nous connaissons et qu’il a connu.
Plassans et les Rougon-Macquart :
Avant de nous attarder plus en détails sur les points communs de cette ville avec celle d’Aix, il faut tout d’abord rappeler que Plassans est présente dans une partie des œuvres de Zola : les Rougon-Macquart. Cette partie se compose d’une vingtaine de romans narrant l’histoire de la famille des Rougon-Macquart sous la France du Second-Empire. Le point commun entre tous ces romans est que Plassans est la ville d’origine des Rougon-Macquart. Par conséquent, cette ville imaginaire y est souvent mentionnée.
Plassans, une ville imaginaire ?
Plassans est une ville qui existe et en même temps n’existe pas. Elle n’existe que dans les écrits. Mais bien qu’elle sorte tout droit de l’imaginaire de Zola, cela veut-il pour autant dire qu’elle n’est que pure invention ? En réalité, pas tant que ça…
Les divers détails décrivant Plassans ne laissent aucun doute à propos du lieu à partir duquel s’est basé Zola pour créer « sa » ville. Aix y fut pour beaucoup, de la configuration générale de la ville, en passant par les quartiers qui la composent. Mais attention, Plassans n’est pas Aix et Aix n’est pas Plassans.
Pour cet article, je me suis en partie basé sur deux romans issus des Rougon-Macquart : La conquête de Plassans paru en 1874 et L’Œuvre paru en 1886.
Plassans et Aix :
Le plus simple pour commencer est de passer par un plan. Car oui, il faut savoir que Zola a dessiné un croquis de Plassans telle qu’il l’imaginait. Cette esquisse datée de 1873 provient du dossier préparatoire du roman La conquête de Plassans qui est conservé à la Bibliothèque Nationale de France et visible sur le site internet de la B.N.F (voir sources) :
Ce plan est riche en informations mais peu lisible, voila pourquoi je l’ai reproduit ci-dessous en le redressant, en y ajoutant des couleurs et en l’améliorant pour que l’on y voit bien plus clair :
Le plan (modernisé) de Plassans selon Zola :
Sur ce plan, plusieurs détails sont à relever :
- La ville est divisée en trois quartiers distincts
- Deux portes semblent en fermer les accès
- Deux routes principales permettent d’y accéder : l’une vers le sud, l’autre vers le nord.
Peut-être ne voyez-vous pas encore de rapport avec Aix. Nous allons donc passer à une comparaison plus poussée en mettant côte à côte le plan de Plassans et un plan d’Aix (cliquez sur l’image pour mieux la voir) :
Plassans et Aix – Le plan comparatif :
Théoriquement avec cette vue vous devriez commencer à repérer quelques point communs. Passons à présent aux similitudes en observant bien le montage comparatif ci-dessus :
– La forme générale :
Le plan de Plassans montre une ville entourée par ce qui semble être un boulevard suivant le tracé des remparts comme ce fut le cas pour Aix jusqu’au milieu du XIXe siècle (Il ne reste quasiment plus rien des remparts aujourd’hui).
Grace aux couleurs que j’ai ajouté, on distingue mieux les trois quartiers principaux qui forment la ville de Plassans. Aix pourrait presque aussi être résumée de la sorte et nous pouvons sans trop de peine y retrouver ces trois zones :
1 – Le vieux quartier qui se trouve au centre en mauve correspond à la partie la plus ancienne de la ville.
2 – Le quartier des Nobles au sud en orange correspond à notre quartier Mazarin. Ce quartier est aussi nommé « quartier Saint-Marc » dans La Conquête de Plassans.
3 – Le quartier de la Ville Neuve en beige clair correspond à l’actuelle zone couvrant la partie à l’est du centre. Il faut savoir qu’autrefois, la portion du quartier situé à l’est de la place des Prêcheurs portait vraiment le nom de Villeneuve. Celui entourant la rue d’Italie portait il y a bien longtemps le nom de faubourg Saint-Jean.
Dans La Conquête de Plassans, voila comment Zola décrit la ville :
… Plassans est divisé en trois quartiers absolument distincts : le Vieux Quartier, où vous n’avez que de consolations et des aumônes à porter ; le quartier Saint-Marc (quartier des Nobles), habité par la noblesse du pays, un lieu d’ennui et de rancune dont vous ne sauriez trop vous méfier ; et la Ville-Neuve, le quartier qui se bâtit en ce moment encore autour de la sous-préfecture, le seul possible, le seul convenable… (La Conquête de Plassans – Chap. 6)
Voila donc pour nos trois quartiers et tant que j’y suis je rajoute aussi cette phrase présente elle aussi dans l’ouvrage :
…Voyez-vous, à Plassans, le peuple n’existe pas, la noblesse est indécrottable ; il n’y a de tolérable que pour quelques parvenus, des gens charmants qui font beaucoup de frais pour les hommes en place… (La Conquête de Plassans – Chap. 6)
Fut-il aussi inspiré par Aix pour la citation ci-dessus? Mystère… ou pas.
Les rues de Plassans :
Dans Plassans, les rues et les édifices aussi ont changé de nom (étant donné que Plassans n’est pas Aix). De ce fait c’est une tout autre dénomination qui leur est attribuée :
– Le cours Sauvaire : cette grande artère traversant la ville d’est en ouest, séparant le vieux quartier (le centre ancien) du quartier des Nobles (le quartier Mazarin) est reconnaissable entre mille, elle correspond à notre cours Mirabeau.
– La rue Canquoin : son itinéraire est un peu complexe à replacer dans Aix mais elle a tout de notre rue Foch en y ajoutant un prolongement avec la rue Bédarrides et la rue de la Masse car la rue Canquoin débute dès le cours. En effet, parcourir la rue Canquoin dans Plassans mène à une place où se trouve la mairie. Ce qui serait aussi le cas si, du cours, nous empruntions la rue de la Masse puis la rue Bédarrides et ensuite la rue Foch (ces trois rues sont à peu près alignées), cet itinéraire nous menant, là aussi, sur la place de la mairie. Seule différence : l’édifice religieux de Plassans. Cette église du nom de Saint-Saturnin dans les romans, se trouve au nord de cette même place de la mairie alors que dans notre réalité, son équivalent, la cathédrale Saint-Sauveur, se trouve dans une rue plus au nord.
– La rue d’Anjou : traversant dans un axe nord/sud le centre de l’îlot du quartier des Nobles et rejoignant la partie sud du boulevard, on pourrait y voir notre rue du quatre septembre qui, quant à elle, traverse dans le même axe le quartier Mazarin.
– La rue Fontaine-Lambert : elle relie la partie ouest du boulevard à la rue centrale du quartier des Nobles (rue d’Anjou/rue du quatre septembre), tout en étant légèrement placée au nord de ce dernier. Elle pourrait correspondre à notre rue Mazarine qui suit un tracé similaire. On pourrait aussi y voir la rue Cardinale, mais la rue d’Anjou, sur le plan de Zola, semble légèrement plus au nord du quartier des Nobles, tout comme la rue Mazarine.
– La rue de Nice : située à l’extimité sud-est du cours et reliant celui-ci à la partie sud-est du boulevard, elle représente notre rue d’Italie.
– La rue Saint-Marc : reliant la rue d’Anjou à la rue de Nice, elle semble située plus au sud que la rue Fontaine-Lambert (notre rue Mazarine), il faudrait y voir une portion de notre rue Cardinale. Certes, d’autres choix sont envisageables comme nos rues Roux-Alphéran ou Sallier mais ces dernières paraissent bien trop au sud pour être retenues. De plus, la rue Cardinale est une voie plus « importante » que les deux autres.
– La route de Nice : se trouvant dans le prolongement de la rue de Nice (rue d’Italie) et partant du sud-est du boulevard, c’est, en toute logique, notre cours Gambetta.
– La rue de la Banne : là aussi sa situation laisse peu de place au doute : située au nord de la rue de Nice (rue d’Italie) et du cours, elle correspond à notre rue Thiers.
– La place des Récollets : située dans le prolongement de la rue de la Banne (rue Thiers) et à la frontière entre le vieux quartier et la Ville Neuve, cette place ne peut correspondre qu’à la place des Prêcheurs.
– La grand’ porte : Etant donné que du vivant de Zola le cours Mirabeau n’était plus fermé par une grille de fer depuis quelques années (supprimée vers 1843, voir cet article), la seule porte envisageable qui pourrait correspondre serait l’ancienne porte Royale ou des Augustins démolie vers 1842.
– La porte de Rome : Au vu de son emplacement, il ne pourrait s’agir que de l’ancienne porte Saint-Jean (aussi nommée d’Italie) qui se trouvait au débouché sud de la rue d’Italie et qui fut démolie vers 1849.
Je tiens à préciser que je préfère garder quelques réserves quant aux portes. En effet, Zola aurait été bien trop jeune (deux ans) pour avoir connu la porte des Augustins. Pour la porte Saint-Jean, il en aurait eu neuf ce qui reste toujours jeune mais rien n’empêche qu’il se soit aussi basé sur les souvenirs de son entourage, ce qui expliquerait ce curieux anachronisme.
En ce qui concerne les documents qui m’ont permis de connaître les dates de destruction des portes que j’ai mentionné, voyez dans les sources de cet article.
De l’imaginaire au réel :
D’autres éléments en disent long sur l’inspiration de Zola. Basons nous, par exemple, sur divers lieux mentionnés dans L’Œuvre, une histoire dans lesquels deux personnages, Pierre Sandoz et Claude Lantier ne sont autre que les reflets « romancés » de Zola et Cezanne :
– Le Collège :
Dans L’Œuvre, on apprend que les deux protagonistes du roman se sont connus au collège dans la petite ville provençale de Plassans. Zola y évoque le collège :
…le collège, l’ancien couvent moisi qui s’étendait jusqu’aux remparts. Les deux cours plantées d’énormes platanes… (L’Œuvre – Chap.1)
Avec une telle description, comment ne pas reconnaître l’ancien Collège Bourbon, devenu collège Mignet, lieu où se sont réellement connus Zola et Cezanne durant leur enfance. A l’époque, le collège était effectivement bordé par les remparts au sud et sud-ouest. Quant à l’ancien couvent, il y en avait deux dans les environs, celui des Andrettes à l’est (dont la chapelle subsiste toujours rue Cardinale) et celui des Bénédictines à l’ouest.
– La Viorne :
Un autre lieu facilement reconnaissable est aussi mentionné :
…l’été surtout, ils rêvaient de la Viorne, le torrent dont les minces filets arrosent les prairies basses de Plassans… – (L’Œuvre – Chap.1)
Dans le roman, les personnages aimaient à se baigner dans la Viorne durant leur jeunesse.
Là aussi, comment ne pas reconnaître l’Arc, ce fleuve (car oui, techniquement c’est bien un « petit » fleuve mais un fleuve quand même) qui prend sa source dans le Var. Alimenté par près de 35 affluents, il s’écoule au sud d’Aix pour achever sa route longue de plus de 80 kilomètres dans l’étang de Berre. Les deux artistes ont forcément connu les lieux. Rien n’empêche d’imaginer qu’ils aient pu, plus jeunes, se baigner non loin du Pont des Trois-Sautets par exemple, un lieu qui resta cher à Cezanne puisqu’il le peignit.
– Le vallon de Repentance :
…puis, toutes sortes de coins bien connus : le vallon de Repentance, si resserré, si ombreux, d’une fraîcheur de bouquet parmi les champs calcinés… – (L’Œuvre – Chap.1)
Dans son nom, ce lieu rappelle quelque peu le chemin de Repentance qui se trouve au nord est de la ville.
– Le bois des Trois-Bons-Dieux :
…le bois des Trois-Bons-Dieux, dont les pins d’un vert dur et vernis, pleuraient leur résine sous le grand soleil… – (L’Œuvre – Chap.1)
Un quartier du nom des Trois Bon-Dieux existe à l’est de d’Aix.
– Le Jas de Bouffan :
…le Jas de Bouffan, d’une blancheur de mosquée, au centre de ses vastes terres, pareilles à des marres de sang… – (L’Œuvre – Chap.1)
Là aussi, on reconnait sans peine la bastide du Jas de Bouffan acquise en 1859 par le père de Cezanne située à l’ouest du centre-ville d’Aix. Paul Cezanne y possédait même un atelier sous les toits (atelier qu’il ne faut pas confondre avec celui qui se trouve le long du chemin des Lauves, où Cezanne ne s’installa qu’en 1901).
Ces lieux ne sont pas les seuls renommés ou utilisés par Emile Zola dans la série de romans des Rougon-Macquart mais j’ai uniquement voulu retranscrire ceux du plan et ceux que j’ai croisé au fil de mes lectures.
Emile Zola à Aix :
Si Aix a inspirée Zola, ça n’est pas un hasard. En effet, l’auteur y a demeuré à diverses adresses dans ses jeunes années. Faisons un petit tour d’horizon des lieux qu’il a fréquenté ou habité :
Zola, est né à Paris le 2 avril 1840. Trois ans plus tard en 1843, ses parents s’installent à Aix dans une maison située le long de l’ancien cours Saint-Anne, notre actuel cours Gambetta.
Peu de temps après (la même année) ils déménagent pour une maison de la traverse Sylvacane située au nord des thermes. Le père de Zola décède en 1847, le reste de la famille restera à cette adresse jusqu’en 1852. Cette même année, alors âgé douze ans, Emile entre au collège Bourbon, l’actuel collège Mignet situé dans la rue Cardinale. Il y restera six ans et y rencontrera Paul Cezanne.
En 1853, la famille quitte la maison de la traverse Sylvacane pour une autre, située dans l’ancienne rue Longue-Saint-Jean, l’actuelle rue Roux-Alphéran.
Emile Zola quittera Aix pour aller s’installer à Paris en 1858.
– Si vous voulez voir à quoi ressemblait l’Aix que Zola a connu à l’époque ou il a vécu à Aix, voyez ce plan de 1848 sur le site de la Bibliothèque Nationale de France.
– Pour plus d’infos sur les adresses des Zola dans Aix, visitez ce site.
Anecdote :
Dans son roman L’Œuvre, Emile Zola évoquait des remparts qui bordaient le collège (actuel collège Mignet). Ces remparts étaient des vestiges de ceux construits lors de la création du quartier Mazarin au XVIIe siècle. Les remparts entouraient alors tout ce qui forme aujourd’hui le centre ancien, leur tracé correspond, de nos jours, à celui des boulevards extérieurs.
Bien qu’aujourd’hui quelques remparts et tours des XIVe et XVe siècle subsistent toujours au nord de la vielle ville (voir ici et ici), ce n’est plus vraiment la cas des remparts sud…
Ces remparts sud (tout comme la majeur partie des autres d’ailleurs) étant devenus inutiles, commencèrent à être rabaissés puis démolis aux milieu du XIXe siècle. Les années passant, la quasi-totalité de ces murs n’était plus qu’un souvenir.
Sachez cependant qu’une petite portion de ces derniers est restée en place plus longtemps que les autres jusqu’aux alentours de 1990 au sud de l’avenue Malherbe.
Pour preuve, voyez la photographie aérienne ci-dessous prise en 1986. On y distingue aisément deux portions de remparts (une longue et une plus petite) de chaque côté de la maison au centre du cliché :
Après avoir traversé trois siècles d’existence, cet ultime et dernier souvenir des remparts entourant le quartier Mazarin a tiré sa révérence vers 1990 (tiré sa révérence ou réduit à l’état de gravats, choisissez l’expression que vous trouvez la plus appropriée).
En effet, elle fut démolie lors de la construction du parking Mignet dans la rue Malherbe et depuis cette période, il ne reste plus rien de visible des remparts sud de la ville (je précise « de visible » car il est fort probable qu’il en reste des vestiges sous terre). L’emplacement de ces deux portions correspond à peu près, de nos jours, aux n° 5 et 9 de la rue Malherbe.
Nous finirons par ces quelques vers écrits par Zola et extraits de l’un de ses poèmes de jeunesse, l’Aérienne :
« …Autour d’Aix, la romaine, il n’est pas de ravines,
Pas de rochers perdus au penchant des collines,
Dans la vallée en fleurs pas de lointains sentiers,
Où l’on ne puisse voir l’empreinte de mes pieds.
Dans tes champs tour à tour blonde tête mutine,
Jouant sur ta verdure en sa ronde enfantine,
Écolier échappé de la docte prison,
Et jetant aux échos son rire et sa chanson.
Adolescent rêveur poursuivant sous tes saules
La nymphe dont il croit voir blanchir les épaules,
Jusqu’aux derniers taillis, j’ai couru tes forêts,
Ô Provence, et foulé tes lieux les plus secrets.
Mes lèvres nommeraient chacune de tes pierres,
Chacun de tes buissons perdus dans les clairières.
J’ai joué si longtemps sur tes coteaux fleuris,
Que brins d’herbe et graviers me sont de vieux amis… »
– Sources :
Manuscrit de La conquête de Plassans : B.N.F. – Gallica
A propos du collège Mignet : clg-mignet.ac-aix-marseille.fr
Emplacement des couvents : monumentum.fr
Les romans L’Œuvre et La Conquête de Plassans
Pour en savoir plus sur l’origine du nom de Plassans et des Rougon-Macquart : http://lorgues.free.fr/zola1.html
Vers inédits d’Emile Zola (dont l’Aérienne) : wikisource.org
atelier-cezanne.com
societe-cezanne.fr
Le Mémorial d’Aix du 9 août 1936
A propos des anciennes portes d’Aix : PSMV Mairie d’Aix (à partir de la page 20 – Doc PDF)
et : culture.gouv.fr (Médiatèque du Patrimoine)
Gravure de la porte Royale ou des Augustins : culture.gouv.fr-1
Gravure de la porte Saint-Jean ou d’Italie: culture.gouv.fr-2
La partie de l’article tratant des adresses de Zola à Aix a été écrite grâce au site Terresdecrivains.com dont les textes sont sous licence Creative Commons CC BY-NC-SA 2.0
et pour les vues aériennes anciennes : Remonter le temps (service de Géoportail)
– Pour en savoir plus :
cartographie-litteraire.net
erudit.org
expositions.bnf.fr/zola
Voir les commentaires (0)