Dans cet article, nous allons observer une vue aérienne d’Aix peu courante, nous montrant une partie de l’ancien quartier industriel de la ville.
C’est une photographie conservée à la Philipps-Universität Marburg en Allemagne, issue de la collection du photographe Franz Stoedtner.
Initialement, je pensais uniquement la publier sur Facebook, avec un petit paragraphe, mais au vu de ce qu’elle a à dire, j’ai préféré l’exposer dans cet article où je peux la détailler plus en profondeur.
– – –
La majorité des informations qui seront mentionnées dans cet article proviennent de conférences que j’ai données lorsque j’avais travaillé, en collaboration avec l’association des Amis de la Méjanes, à la publication en 2016 de l’ouvrage « Sextius-Mirabeau à Aix-en-Provence – un quartier une métamorphose ».
Le cliché en question :
Comme dit plus haut, ce type de cliché ancien de la ville est très peu commun, ces derniers s’attardant habituellement d’avantage sur les éléments historiques du centre ancien plutôt que sur son bâti industriel. Mais avant d’aller plus loin, il va nous falloir dater et localiser ce cliché…
Localiser et dater le cliché :
– Localiser le cliché :
Commençons par le commencement. Où sommes nous ?
On y voit ici :
– une vue cadrée avec l’avenue des belges (en rouge) en direction de la Rotonde ;
– bordée à sa droite par quelque champs et la voie ferrée prolongée par la gare ferroviaire Aix-centre ;
– à la gauche de la vue se trouvent de nombreuses manufactures ;
– au fond on observe la place de la Rotonde (en bleu) ainsi que l’ancienne gare de marchandises ;
– la voie (en orange) longeant le bas de l’image jusqu’à l’angle bas-gauche est l’actuelle rue Coq.
– dans l’angle bas-droite, on distingue le début de l’actuelle avenue Pierre Brossolette, ancien chemin de Marseille (en vert).
D’autres éléments séront présents plus bas dans cet article pour mieux se repérer.
– – –
– Dater ce cliché :
Savoir où l’on est c’est bien, savoir quand c’est mieux. Nous allons donc le dater le plus précisément possible.
Le lieu où il est conservé (la Philipps-Universität de Marburg en Allemagne) indique la période « 1939-1940 » et nous pourrions nous contenter de cette information.
Seulement voila, cette datation est fausse, car ce cliché ne peut-être qu’antérieur à « 1939-1940 », et je vais indiquer pourquoi j’affirme cela.
En effet, il ne peut dater que d’une période allant de « 1933 au plus tard et 1923 au plus tôt ». Des éléments sont là pour nous le prouver :
– Tout d’abord, pour fixer une date maximale à ce cliché. Il y a la cité Gontard. Cet ensemble fut construit entre 1931 et 1933 et devrait être visible sur la zone à droite de l’image si elle datait effectivement de 1939-40. Or, on n’y voit qu’un champ (les zones en jaune ci-dessous sur la droite des vignettes).
En raison de l’absence de cet ensemble sur le cliché ancien, qui ne nous montre qu’un champ (j’ai ajouté une vue aérienne qui est bien de 1930 pour observer ce champ de dessus), nous sommes donc obligatoirement avant 1933.
– Ensuite, pour fixer une date minimale raisonnable, il y a le casino municipal, dont la construction s’est étalée de 1921 à 1923 est qui est quant à lui est bien visible sur le cliché. Nous sommes donc après 1923.
Par manque d’éléments plus visibles, on se contentera donc de la décennie « 1923-1933 », ce qui sera toujours mieux que la période erronée indiquée par le site source qui ne peut PAS être « 1939-1940 ».
Une vue d’un autre temps = beaucoup de changements !
C’est justement par son âge que ce cliché a tout son intérêt. Car si vous avez bien compté, il a été réalisé il y a environ 90 ans au moment où ces lignes sont écrites. Durant tout le temps qui nous sépare de sa réalisation, la partie de la ville que l’on y voit a extrêmement changé, tant et si bien qu’un œil néophyte aurait bien du mal à s’y retrouver et c’est bien normal.
C’est donc pourquoi j’ai décidé de comparer des éléments de cet ancien cliché avec des vues actuelles conservant, autant que possible, le même cadrage.
– – –
– Comparaison générale :
La zone visible ici, qui comprend une partie de l’actuel quartier Sextius-Mirabeau (sur la gauche), est aujourd’hui peuplée de commerces et de logements. Mais il faut savoir qu’elle était, il y a encore quelques décennies, la « zone industrielle » d’Aix. De nombreuses manufactures s’y étaient implantées, en grande partie dès le XIXe siècle et ce, jusqu’au XXe.
Durant ces périodes, on y trouvait (liste non exhaustive) :
– gare ferroviaire,
– fabrique d’allumettes,
– chapelleries,
– huileries,
– brasserie,
– fonderies,
– usine de lampes,
– usine de sirop,
– abattoirs,
– établissement de jeux,
– salle de spectacle
– garages auto,
– établissement religieux,
– auberges.
Ca fait beaucoup.
Donc, pour rappel, voici d’abord une comparaison générale entre ce cliché d’entre 1923 et 1933 et une vue actuelle ayant le même cadre :
– La vue ancienne :
– Une vue actuelle :
Repérage en couleurs :
Afin de mieux comprendre la prise de vue, voici quelques éléments la composant mis en couleurs. Sous cette vue en perspective se trouve une vue du dessus de la même période et reprenant les mêmes couleurs pour les mêmes lieux afin de mieux appréhender le tout. La légende des couleurs sera en dessous.
– La vue en perspective avec des éléments colorés :
– Le même lieu vu de dessus avec les mêmes couleurs :
– Légende :
En mauve : l’ancien casino ;
En rouge : l’ancien cinéma Kursaal ;
En orange : les quais couverts de l’ancienne gare de marchandises ;
En vert (au sud des quais) l’ancien garage / cirque ;
En bleu foncé : probablement l’ancienne huilerie Dragon Noirel ;
En vert bleuté (sous le Kursaal) : le futur emplacement de la cité Gontard ;
En jaune : l’ancienne fonderie Coq ;
En bleu turquoise (à côté de la fonderie Coq) : l’ancienne fonderie Gueidan ;
En pontillés jaunes : les voies routières et piétonnes qui existaient en 1930 ,
En pointillés rouge : les voies du chemin de fer.
– L’emplacement de ces lieux superposés à une vue actuelle :
Notre champ de vision sur une vue aérienne :
Comparaison plus en profondeur :
J’ai repris les zones que j’ai mises en couleurs et m’y suis attardé en leur redonnant leurs dates d’apparition, de disparition et leur histoire afin d’évoquer, dans les grandes lignes, l’histoire et la mutation du quartier au XXe siècle.
Sur les vues ci-dessous, plus en détail, la recette est la même : deux vues avec le même cadrage, mais avec environ 90 ans d’écart. Les zones dont il sera sujet seront à chaque fois mises en évidence en jaune sur le cliché ancien.
–
– L’ancienne gare de marchandises (en orange sur les vues générales plus haut dans cet article) :
Ouverte aux voyageurs en octobre 1856, elle ne fut plus dédiée qu’aux seules marchandises à partir de décembre 1877. Nous voyons donc ici la gare de marchandises qui perdura jusqu’en 1980. Nous en voyons les voies (disparues en 1980), mais aussi et surtout les deux longs quais couverts. Si celui de droite fut démoli vers 1980, une moitié de celui de gauche servit pendant un temps aux locaux de l’ancienne gare routière de 1979 à 1999. Les lieux accueillent de nos jours une bonne partie du quartier des Allées Provençales. Article dédié ici.
– – –
– Le cinéma Kursaal et l’ancien garage central (en rouge sur les vues générales plus haut dans cet article) :
Ce bâtiment (vu ici de dos) accueillait deux activités : Un garage automobile, et un cinéma. Le cinéma Kursaal fut inauguré le 21 octobre 1911, il exista au sud de la place de la Rotonde durant une cinquantaine d’années environ. C’était à l’origine une salle de spectacle : l’Eden, inaugurée initialement le 9 juin 1886. Le bâtiment fut démoli au début des années 1960 et remplacé par un nouveau. Lieu évoqué dans cet article.
– – –
– Le futur emplacement de la cité Gontard (en vert bleuté sur les vues générales plus haut dans cet article) :
Comme dit plus haut, cette zone m’a été particulièrement très utile pour fixer une date maximale (1933) à ce cliché. La cité Gontard, conçue par Gaston Castel fut bâtie entre 1931 et 1933. Elle était à l’origine un ensemble de logement de type H.B.M. (habitations à bon marché). Sur le cliché, elle n’est pas encore présente, le terrain étant encore occupé par des champs (en jaune sur la droite de l’image), preuve que dans les années 1930, les environs immédiats du centre ancien avaient un caractère encore très rural. Bien que désormais enclavée entre de nombreux immeubles, la cité Gontard existe toujours.
– – –
– Le casino municipal (en mauve sur les vues générales plus haut dans cet article) :
Construit à partir de 1921, et initialement installé provisoirement, il a ouvert ses portes en 1923 (vu ici de dos). Bordé par un parking / parc planté de platanes, il comprenait aussi un restaurant qui fut d’abord nommé Brasserie Lorraine, puis Le Vendôme. Le tout fut démoli en 2003. – Article dédié ici.
– – –
– Le garage dans l’ancien cirque (en vert sur les vues générales plus haut dans cet article) :
Cette construction circulaire était un garage en 1930, mais à l’origine c’était une grande salle de spectacle ouverte au XIXe siècle. Un incendie la ravagea au début du XXe siècle n’en laissant que les murs. Elle fut ensuite reconvertie en un garage qui fut détruit au début des années 1960 lors de la construction de l’ensemble formant la résidence « Mirabeau » (dont la tour fait environ 40 mètres de haut). L’emplacement de cet ancien cirque correspond à peu près de nos jours à celui de l’actuelle place de Narvik.
– – –
– L’huilerie Dragon-Noirel (probablement mais pas sûr si c’est bien ce bâtiment – en bleu foncé sur les vues générales plus haut dans cet article) :
Ouverte au XIXe siècle, je ne peux pas affirmer si elle était encore en service en 1930. Les dernières parties du bâtiment furent démolies vers 1995-1996 (la cheminée avait disparu bien longtemps avant).
– – –
– La fonderie Gueidan (en bleu turquoise sur les vues générales plus haut dans cet article) :
Cette fonderie fut créée au début du XXe siècle, dans les locaux de l’ancienne chapellerie Leduc ouverte au XIXe siècle. La fonderie ferma ses portes dans les années 1950. Les bâtiments furent démolis au début des années 1960 lors de l’édification de la résidence « Rotonde ».
– – –
– La fonderie Coq (en jaune sur les vues générales plus haut dans cet article) :
Installée à cet emplacement au début du XXe siècle, elle y resta jusqu’à la fin des années 1970. Les bâtiments furent détruits dans les années 1980 et la zone fut utilisée un temps comme parking. Depuis 1992-1993, les lieux sont occupés par la résidence « Esplanade de l’Arche ». A noter que la rue qui longeait cette usine (qui relie l’avenue des Belges à la rue des Allumettes) porte toujours le nom de Victor Coq.
Cette liste est non exhaustive (les changements ont été très nombreux), libre à vous de chercher des différences en allant observer le cliché de plus près sur le site source en cliquant ici, il y a de quoi s’occuper.
– Pour finir, je me suis amusé a mélanger passé et présent en mixant la vue ancienne à la vue actuelle :
L'ajout de commentaires est momentanément désactivé.