Enjambant la vallée de l’Arc, au sud de la ville d’Aix-en-Provence, un viaduc se dresse. Réalisé dans le dernier quart du XIXe siècle, il fut l’un des éléments majeurs de ce qui fut alors la nouvelle ligne ferroviaire reliant Aix à Marseille.
Il fait tellement partie du décor qu’on ne fait plus vraiment attention à lui en passant en dessous. Pourtant, il fut, et est toujours, d’une utilité que l’on a tendance à oublier.
En plus de son utilité, il faut se rappeler qu’il fut construit au XIXe siècle, une période où les chantiers et les technologies étaient bien différents comparé à ce qui se fait aujourd’hui.
Nous allons aussi découvrir dans cet article que le pont a été représenté sur quelques œuvres d’arts mondialement connues et qu’il a subi quelques déboires lors de la seconde guerre mondiale.
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Ayant constaté que bien peu d’articles sur la toile lui étaient consacrés, j’ai décidé de combler ce manque par le présent article afin de faire découvrir au plus grand nombre son histoire. Pour retracer son passé, je me suis plongé, entre autre, dans les archives de la presse ancienne locale qui, au fur et à mesure du temps, décrivait l’avancée des travaux. Comme d’hab’ ce fut assez long, mais ce fut riche en infos.
– Précision : en ce qui concerne son nom, j’ai hésité entre viaduc « du coton-rouge » ou viaduc « de l’Arc de Meyran » (car il est plus ou moins à cheval sur les deux zones). Mais dans la presse ancienne c’est l’appellation « Arc de Meyran » qui revenait le plus souvent, raison pour laquelle j’ai opté pour celle-ci.
Rappel historique à propos du train et la ville d’Aix :
Le train est arrivé pour la première fois à Aix en 1856 avec l’ouverture de la ligne Aix-Rognac. Seulement voila, à cette époque, le train partant d’Aix ne desservait pas directement Marseille.
Pour cela il fallut attendre les années 1870, période où les premiers travaux de la nouvelle ligne entre Aix et Marseille allaient être réalisés.
La création de cette nouvelle ligne allait nécessiter de nombreuses modifications, notamment le déménagement de la gare de voyageurs. Située depuis 1856 en contrebas de la place de la Rotonde, le nouveau tracé imposait son déplacement plus au sud, là où elle se trouve toujours.
Mais un autre problème, de taille celui-ci, allait devoir être affronté : franchir la vallée de l’Arc. Et c’est à ce moment de l’histoire, au début des années 1870, que notre pont va entrer en jeu.
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Un plan pour mieux comprendre :
L’illustration ci-dessous, basée sur un plan d’environ 1860-1870, indique :
– En bleu : les lignes existantes avant la création de la ligne Aix-Marseille, et l’emplacement de la première gare près de la Rotonde ;
– En rouge : le tracé de la future ligne Aix-Marseille, et l’emplacement de la nouvelle gare qui fut construite à cette occasion, plus au sud ;
– En vert : l’emplacement du viaduc sur la ligne.
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Relier la ville d’Aix aux collines du Montaiguet – Une question de relief :
Le tracé de la ligne Aix-Marseille, partant d’Aix, allait logiquement vers le sud. Mais la ville d’Aix est quand même un peu en hauteur, et au sud de celle-ci, avant d’atteindre les collines du massif du Montaiguet, se trouve la vallée de l’Arc.
La distance à franchir était d’environ 500 mètres de long. Quant à l’altitude, elle était d’environ 20 à 25 mètres entre l’altitude des sommets à joindre et celle du fond de la vallée.
Le graphique ci-dessous, issu des donnés de l’I.G.N., nous montre le profil altimétrique de l’emplacement du pont. On y voit que le point nord se situe à 160 mètres et le point sud quelques mètres plus bas. Entre les deux, avec environ 20 mètres de différence, se trouve la vallée de l’Arc.
La construction du viaduc de l’Arc de Meyran :
1873 :
A partir de 1873, les choses commencent doucement. Cette année là, les premières parcelles aixoises sur laquelle allaient passer la future ligne vers Marseille furent acquises, majoritairement par expropriation (1).
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1874 / 1875 :
En 1874, au printemps, de nouvelles parcelles furent acquises en vue de la création du pont, et on commença l’abatage des arbres qui se trouvaient sur son tracé. La date du début du chantier fut alors fixée au 1er juillet 1874 (2).
Le viaduc fut construit en partant du nord, en direction du sud.
Les centaines (milliers ?) de pierres nécessaires à la construction du pont n’étaient pas extraites à Aix, mais à Meyrargues, à la carrière de Réclavier.
Une fois extraites de la carrière de Meyrargues, leur acheminement vers Aix pouvait débuter, par étapes :
1 – Elles étaient acheminées à Aix depuis la gare de Meyragues via la ligne de Pertuis ;
2 – Elles arrivaient ensuite à la gare d’Aix qui était alors encore située en contrebas de la Rotonde ;
3 – Enfin, une fois déchargées des trains à la gare du centre d’Aix, elles étaient amenées jusqu’au chantier situé 1,5 km au sud de la gare grâce à un rail provisoire reliant la ville et le chantier.
Le sable destiné à la fabrication du mortier devant lier ces pierres était, contrairement à ces dernières, bien local, car il était extrait de la rive gauche de l’Arc (rive sud), à l’emplacement même du chantier (3).
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Pour bien comprendre le côté « massif » de ce projet, voici quelques chiffres à propos du viaduc :
– Longueur totale du viaduc : environ 550 mètres ;
– Nombre d’arches : 38 ;
– Hauteur des arches : environ 20 mètres (23 mètres pour la plus haute) ;
– Largeur des arches : 10 mètres ;
– Profondeur des fondations des piles : 10 à 11 mètres ;
– Nombre de voies passant sur le viaduc : une seule (mieux que rien).
En avril 1875, le chantier en était au creusement des culées. A cette période, on trouva dans le sol une pierre gravée que l’on avait cru, un temps, provenir d’un pont qui aurait pu se trouver là il y a fort longtemps. Mais après de meilleures observations, la pierre en question ne s’est révélée qu’être une inscription funéraire gravée sur un caillou (4).
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Juillet 1876 :
En juillet 1876, soit un an après le début du chantier, l’état d’avancement du viaduc était majeur, car il ne restait plus qu’à réaliser les cintres des deux dernières arches, du côté de la rive sud (5).
Le 31 juillet 1876, la clé de la 38ème et dernière voûte fut posée. A cette occasion, un banquet organisé par la compagnie de chemins de fer et les entrepreneurs fut organisé sur le chantier pour les patrons et ouvriers (6).
Restait les finitions et la pose des rails.
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Novembre 1876 :
En novembre 1876, après environ deux ans et demi de travaux, le viaduc était indiqué par la presse de l’époque comme étant complètement achevé et recevait son ballast.
Au même moment l’ancienne gare de voyageurs, située en contrebas de la place de la Rotonde était démolie ; remplacée par la nouvelle plus au sud, qui était alors en cours de construction. Le transfert allait avoir lieu l’année suivante (7).
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15 Octobre 1877 :
Le lundi 15 octobre 1877 (8), fut la date du renouveau pour le train à Aix, grâce à l’ouverture de la nouvelle ligne directe Aix-Marseille.
A compter de ce jour là, la gare des voyageurs avait déménagé, ne se situant plus en contrebas de la Rotonde, mais plus au sud (la gare actuelle du centre-ville). De plus, le train allait désormais directement jusqu’à Marseille, et sans oublier le viaduc emprunté par la nouvelle ligne qui habillait désormais la vallée de l’Arc.
– Ci-dessous : le viaduc (en rouge) sur un plan levé en 1935 :
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Petite galerie de photographies anciennes du viaduc :
– Ci-dessous, une vue du pont depuis le sud par Charles Heirieis, réalisée entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle :
– Ci-dessous, une vue du viaduc traversé par un train à vapeur :
Ci-dessous, une vue du pont depuis l’ouest avec l’Arc passant entre ses piles :
Le viaduc et Paul Cezanne au XIXe siècle :
A priori, aucun rapport entre le peintre et notre viaduc. Et pourtant !
Bien que Paul Cezanne n’en ait pas fait son modèle en particulier, on retrouve pourtant l’édifice, sur certaines de ses toiles représentant la montagne Sainte-Victoire. En voici quelques exemples ci-dessous :
Le viaduc et la guerre en août 1944 :
Détail assez méconnu ou oublié de son histoire : le viaduc de l’Arc de Meyran fut dynamité par les soldats allemands, lors de leur retraite, en août 1944.
Deux arches au sud du viaduc furent alors coupées, supprimant une partie de la voie ferrée sur une longueur de 104 pieds (107 selon certaines sources), soit environ une trentaine de mètres (9) et (10).
Les arches démolies furent les 4ème et 5ème en partant du sud du viaduc (voir explication plus bas) :
Afin de remettre le pont en état provisoirement, les soldat américains du 343e régiment du génie réfléchirent à plusieurs solutions. Celle retenue, la plus rapide à mettre en œuvre, fut de bricoler une voie grâce à un canon sur rail qui se trouvait dans les environs.
Selon ce que j’ai compris, ils désossèrent la canon pour ne garder que sa plateforme et la placèrent sur le pont pour remplacer les voies disparues. Dix jours plus tard, soit le 29 août, le problème était réglé. Le viaduc était de nouveau praticable, du moins en attendant des réparations définitives effectuées plus tard :
On retrouve la mention de cette réparation dans un journal détaillant les activités du 343 régiment à l’été 1944 :
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Des cicatrices du dynamitage encore visibles :
Pour retrouver les arches exactes qui ont été abimés, j’ai mené l’enquête en comparant la forme des pierres sur les photos des arches détruites et sur place de nos jour (fallait avoir envie mais j’y suis parvenu…).
L’illustration ci-dessous figure mon repérage sur la face Est du pilier entre les 4ème et 5ème arches. J’ai pu y repérer 9 pierres identiques, ce qui est assez pour être sûr qu’il s’agit donc des arches 4 et 5 en partant du sud :
Sous la cinquième arche, on peut aussi observer les traces de raccords entre la structure initiale et la zone réparée :
Malgré ces quelques traces, il faut reconnaître que les réparations ont été faites très proprement.
Ci-dessous, un plan indiquant l’emplacement des deux arches détruites en 1944 (le tracé du pont est en rouge, les piles sont en vert) :
Deux faits divers :
Un tel édifice est forcement lié, au cours de son existence, à quelques drames. J’en ai relevé deux mais il y en a très probablement eu bien plus.
– En juillet 1931, un professeur d’origine grenobloise âgé de 34 ans, nommé Jouvin-Hugues Rey, se suicida en sautant du pont (11) ;
– En juin 1936, le chauffeur d’une locomotive se tua en tombant accidentellement de son train. L’homme, nommé François Frédéricci et âgé de 39 ans, s’était penché hors du train afin d’examiner la voie au moment où le train passait sur le pont. S’étant sans doute trop penché, l’homme bascula dans le vide pour finir aux pieds du pont (12) ;
Le viaduc et l’autoroute :
Le viaduc ferroviaire, voie de transport, traversait la vallée de l’Arc depuis la fin des années 1870.
Un siècle plus tard, à l’aube des années 1970, une nouvelle voie de communication commençait à se frayer un chemin dans les environs, et passant ni plus ni moins qu’entre ses piles : la future autoroute A8.
– Les travaux au niveau de ce secteur débutèrent en 1969 :
Le tracé du viaduc de nos jours en images :
Longtemps étendu au beau milieu de la campagne, les pieds du viaduc se sont, avec le temps, retrouvés envahis par l’urbanisation. Suivons son tracé du nord vers le sud en sept étapes :
1 – L’extrémité nord du viaduc débute parallèlement à l’actuelle avenue de l’armée d’Afrique :
2 – Puis, il enjambe perpendiculairement l’intersection entre les actuelles avenues Jean-Paul Coste et Gaston Berger (ouvertes dans le milieu des années 1970) :
3 – Passé ces avenues, le viaduc enjambe l’autoroute A8 (ouverte en 1970) :
4 – Une fois l’autoroute franchie, il traverse l’avenue de l’Arc de Meyran (ouverte en 1970) :
5- Passé ces voies, il continue sa route vers le sud, traversant un terrain, aujourd’hui vague, qui a accueilli au XIXe siècle une teinturerie de coton rouge (disparue), qui d’ailleurs donna son nom au quartier :
6 – Il franchi ensuite l’Arc au milieu de la végétation :
7- Enfin, il termine sa route aux abords du chemin du viaduc (pas la peine de vous expliquer l’origine du nom de ce chemin) :
C’est du solide !
Si l’on considère sa date d’achèvement comme celle indiquée dans la presse de l’époque, soit en novembre 1876 (mais mis en service officiellement en octobre 1877), le viaduc aura donc l’âge honorable de 145 ans en novembre 2021.
Il aura vu deux guerres, aura été dynamité, a connu un nombre incalculable de trains qui l’on emprunté, a connu de fortes crues de l’Arc et a survécu à tout cela malgré tout. Si il pouvait parler, il aurait bien des choses à raconter.
La prochaine fois que vous passerez en dessous, franchement, ayez une petite pensée pour lui, il le mérite amplement. 🙂
– Sources
(1) Le Mémorial d’Aix du 27 juillet 1873 (page 2 colonne 3)
(2) Le Mémorial d’Aix du dimanche 07 juin 1874 (page 2 colonne 2)
(3) Le Mémorial d’Aix du dimanche 3 janvier 1875 (page 1 colonne 2)
(4) La Provence du dimanche 04 avril 1875 (page 2 colonne 4)
(5) La Provence du dimanche 23 juillet 1876 (page 2 colonne 1)
(6) Le Mémorial d’Aix du dimanche 06 août 1876 (page 3 colonne 3)
(7) La Provence du dimanche 26 novembre 1876 (page 2 colonne 2)
(8) La Provence du dimanche 21 octobre 1877 (page 2 colonne 3)
(9) tothosewhoserved.org (page 451 – en anglais)
(10) https://history.army.mil (PDF – page 451 – en anglais)
(11) Le Petit Marseillais du 9 juillet 1931 (page 2 colonne 3)
(12) Le Petit Provençal du 1er juillet 1936 (page 6 colonne 5)
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