Vous avez lu le titre de l’article et avez eu peur ? Pas de panique 🙂
La tour de l’horloge, est toujours en place, située sur la place de l’hôtel de ville d’Aix-en-Provence, a été bâtie au XVIe siècle, entre 1510 et 1512. Du haut de ses cinq siècles d’âge, elle domine toujours la ville.
On passe devant elle presque sans y faire attention tant on a l’habitude de la voir. Seulement, si elle n’était plus là, on s’en rendrait vite compte (vous verrez à la fin de l’article). Elle, qui avec l’hôtel de ville forme un duo emblématique à Aix depuis bien longtemps. Imaginer l’un sans l’autre et la destruction de l’un d’entre eux, n’est même pas pensable et pourtant.
Car si les deux sont toujours debout de nos jours, il faut savoir que l’hôtel de ville aurait pu être bien seul depuis un bon bout de temps. C’est qu’il fut des périodes pas si éloignées où la tour de l’horloge a dérangé, tantôt dangereuse, tantôt encombrante, ou les deux en même temps.
Et si on peut encore la voir, c’est qu’elle a eu beaucoup de chance car sa démolition a été envisagée à plusieurs reprises au cours des siècles passés.
Retour entre les XVIIIe et XIXe siècles, la période sombre de la tour de l’horloge.
XVIIIe siècle :
1787 – Une tour fragile qu’il faut abattre sans attendre :
A la fin du XVIIIe siècle, la tour de l’horloge était là depuis plus de deux siècles et demi et tout laisse à penser que, depuis tout ce temps, son entretien n’avait pas été une si grande priorité aux yeux de la municipalité. Tant et si bien que la Dame était en train de sérieusement se dégrader.
Tout commença en août 1786 lorsqu’une partie de sa corniche s’écroula en contrebas. Un rapport en conclu alors à un très mauvais état de la tour, décrivant celle-ci comme étant « menacée d’une ruine imminente ». Au vu de la situation et surtout du coût trop élevé des travaux nécessaires à sa remise en état, le conseil municipal du 5 février 1787 délibéra de faire démolir la tour sans délai. On ne répare pas, on supprime !
En vue de la destruction de la tour, un avis de mise aux enchère de la démolition de l’horloge qui s’y trouve fut publié. On pouvait y lire le texte suivant :
Le public est averti que la Communauté a mis aux enchères la démolition de la grande Horloge de l’Hôtel de de ville, pour être délivrée au plus offrant, après trois enchères, de huitaine en huitaine, suivant le tableau d’enchères dressé au Greffe de la Communauté, où les offrants peuvent s’adresser, et où on les instruira des conditions des dites enchères.
Extrait d’un avis public concernant la démolition de la grande horloge en 1787 (*)
Mais curieusement (ou heureusement ?) l’affaire n’alla jamais jusqu’au bout et la tour resta en place, un sauvetage probablement dû à la pression des aixois, ne voulant pas perdre leur monument (1).
Malheureusement, ça n’était que le début car l’histoire allait se répéter au début du siècle suivant.
XIXe siècle :
1800 – 1801 – Un danger imminent ?
Environ treize ans après l’affaire de 1787, la tour était donc toujours là, et debout. Mais l’histoire allait se répéter, sans tarder.
Car entre fin 1800 et début 1801, le problème de l’état de la tour a refait surface. Un rapport fut donc commandé. Celui-ci indiquait (2) que la tour penchait vers l’est, avec une différence d’aplomb de 3.5 pouces (environ 10 cm) entre sa base et la base du balcon.
Mais ce même rapport ajoutait que la tour penchait peut-être de cette façon depuis sa construction, et qu’en l’absence de signes récents de fragilité, elle pourrait encore tenir debout, puisqu’elle l’avait fait jusque là. Il préconisait cependant d’effectuer des réparations sur les pierres de saillie et à certaines décorations, celles-ci étant dégradées et risquant, encore une fois de chuter, voire pire : de blesser des passants.
Rien de bien alarmant donc, car les dégâts étaient réparables, donc le risque évitable et la destruction aussi. Ce rapport a en quelque sorte, sauvé la tour, car cette fois-ci, la ville a payé les réparations. Pourquoi ? Une simple question d’économies.
Le rapport indiquait en effet la différence de coût entre la réparation du monument et sa démolition. Le montant estimé de sa réparation s’élevait à 1954 livres, contre 2800 pour sa démolition. Réparer était donc plus rentable que de détruire.
Finalement, le 5 février 1801 (3), le conseil de ville délibéra que des réparations devaient être effectuées sur la tour. Ceci, tout en citant l’exemple du cas de 1787, où la tour avait déjà été annoncée comme en ruine et qui pourtant était toujours debout depuis. En 1802, ces travaux étaient achevés.
L’histoire allait-elle encore une fois se répéter ? OUI !
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1880 – 1881 – Une tour dangereuse mais aussi gênante qu’il faut démolir :
Huit décennies après les dernières réparations, la tour avait tenu mais montrait à nouveau des signes de faiblesses (4). Vers 1880, la question de la démolition de la tour était à nouveau dans les esprits.
Mais sa seule fragilité ne fut pas l’unique raison de ce désir. Car en plus d’être jugée dangereuse, la voila maintenant encombrante.
En effet, à cette époque, la rénovation des vieux quartiers et l’alignement des rues pour y améliorer la circulation était un sujet cher à la municipalité. Il fut notamment évoqué au cours d’un conseil municipal en juin 1880 (5) et la tour de l’horloge posait justement problème. Le maire d’Aix à l’époque, Salomon Bédarrides, y tint alors les propos suivants :
… En même temps que les vieux quartiers disparaîtraient, l’hôtel de ville serait dégagé, l’horloge, monument ni antique, ni solennel cesserait d’être, à la grande satisfaction des passants qu’elle gène…
Le National du 27 juin 1880 (5)
Des alignements et des destructions ont certes bien été effectués à cette époque (notamment le pâté de maison accolé jusqu’en 1882 au nord de l’hôtel de ville – voir l’article sur la place des Cardeurs), mais en ce qui concerne la destruction de la tour de l’horloge, l’Académie d’Aix fit campagne pour qu’elle n’ait pas lieu (6).
Pour protéger définitivement le monument et empêcher la municipalité de vouloir, une fois de plus, détruire la tour, les solutions n’étaient pas nombreuses et l’Académie d’Aix demanda la plus sûre : le classement aux monuments historiques. Une proposition qui fut finalement validée par arrêté en date du 29 mars 1881.
Une heureuse décision relatée dans la presse de l’époque (7) :
Un autre extrait d’un autre journal saluant le sauvetage de la tour (8) :
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1881 – Un classement qui dérange :
Certes, en 1881 la tour de l’horloge était désormais classée et ne pouvait donc plus être détruite. Par conséquent, la municipalité devait alors revoir ses ambitions d’alignement et de démolition.
Au cours du conseil municipal du 21 avril 1881 (9), le maire, Salomon Bédarrides, ne cachait pas son mécontentement face a cette décision pour laquelle il n’avait pas été consulté et pour laquelle il n’avait pas eu son mot à dire. Il y évoqua :
Sa colère :
… le fait du classement a été officiellement dénoncé à la ville sans avis préalable. Mais les solliciteurs demeurent dans l’ombre, honteux peut-être d’un triomphe obtenu en l’absence du vaincu…
Le National du 21 avril 1881
Le souci d’accessibilité :
… avec la suppression [de la tour], l’hôtel de ville se trouverait au milieu d’une des plus belles places (…). Avec la conservation, [la tour] maintiendrait l’obstacle pour les passants, circulation alternée, accès insuffisants…
Le National du 21 avril 1881
La sécurité :
… l’unique question à résoudre est celle-ci : Quelle que soit l’intérêt historique, admettons-le même beaucoup plus grand qu’il n’est en réalité, faut-il par respect pour cet intérêt, sacrifier l’intérêt matériel des habitants menacés par la conservation du monument ? …
Le National du 21 avril 1881
De la déception et de l’incompréhension pour la municipalité en 1881 mais rien n’y a fait, l’arrêté n’a jamais été modifié et la tour ne fut donc jamais détruite.
XXIe siècle :
2020 – Toujours présente !
Malgré tant de mésaventures et un destin plus qu’incertain, la tour de l’horloge se dresse toujours sur la place de l’hôtel de ville. Suite à ces dernières péripéties, plus rien ne l’a inquiétée.
Depuis, elle a connu plusieurs opérations de restauration. Parmi les plus importantes, on peut citer celles de 1912, 1923 et 1972.
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Des modifications esthétiques récentes :
Note : Je ne m’attarderai pas sur les modifications anciennes qu’a connu la tour vers 1660 (disparition des échauguettes aux angles du balcon, remplacement du mur crénelé du balcon par une grille en fer, etc…). Je vais plutôt me pencher sur ce que l’on voit aujourd’hui.
Les restaurations opérées au début du XXe siècle on apportées quelques modifications à la tour de l’horloge, principalement sur sa partie supérieure. Il suffit de bien observer d’anciens clichés, pour y constater des différences avec son style actuel.
– En 1912 : Le cadran de l’horloge sud fut modifié et déplacé vers le haut de plusieurs centimètres.
– Et en 1923 : on ajouta des décors gothiques à l’horloge et aux niches situées de chaque côté de celle-ci. Lors de cette opération ces niches ont été décorées de deux statues symbolisant le Jour et la Nuit.
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La restauration de 1923 peu fidèle et trop imaginée ?
L’opération de restauration de 1923 fut critiquée à l’époque, certains estimant qu’elle ne correspondait pas à l’état d’origine de la tour et « faussait » donc en quelque sorte l’allure de l’édifice (10).
Face aux critiques, l’architecte mis en cause, Jules Formigé, affirma en 1924 « …la restauration du beffroi d’Aix, approuvée avant la guerre par la commission des Monuments Historiques est exécutée sans changements ; les documents d’archives ont démontré sa rigoureuse exactitude. Ceux qui m’attaquent, et qui le savent, ont d’ailleurs négligé de le dire… ». (11)
Cependant, plus récemment, Jean Boyer (né en 1914 – mort en 2004), qui fut ancien conservateur en chef honoraire du patrimoine et auteur d’une étude qui m’a en partie servie de source, indiqua lui aussi, que la restauration de 1923 n’était pas fidèle sur plusieurs points :
– l’ajout des statues était une erreur, car les originales, probablement disparues au XVIIIe siècle, représentaient l’archange Saint-Michel et l’Ange Gardien (et donc pas le Jour et la Nuit).
– Quant aux décors gothiques, il les jugeait inappropriés, car rien n’indiquait que la tour en avait possédé par le passé. De tels décors n’ayant jamais été visibles sur d’anciennes représentations du monuments.
Pour constater ces changements, voici, ci-dessous une comparaison entre l’état de la tour vers 1870 et son état après les restaurations et ajouts de 1912 et 1923. Le décor ajouté au XXe siècle a quelque peu alourdi l’allure légère qu’avait auparavant la façade sud de la tour :
Les décors gothiques entourant l’horloge et les niches sont parvenus jusqu’à nous. En revanche, les deux statues installées en 1923 ont été enlevées lors de l’opération de restauration de 1972 (12). Ce qui explique que de nos jours ces niches soient vides.
Ci-dessous, une comparaison entre l’état de la tour vers 1870, après 1923 et de nos jours :
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Petite question :
La tour de l’horloge est l’un des plus vieux monuments de la ville d’Aix. Classée depuis 1881, il ne peut, à priori, plus rien lui arriver. Mais, imaginons que l’une des municipalités d’autrefois ait décidé de la faire détruire pour une raison ou une autre, cela nous amène à la question suivante :
A quoi ressemblerait la place de l’hôtel de ville de nos jours si la tour avait été détruite ?
J’ai justement tenté de répondre à cette question en procédant à un montage photo où je l’ai faite disparaître. Le résultat est visible ci-dessous :
Il manque comme un truc là, vous trouvez pas ?
Une visite de la tour en vidéo pour finir :
Je vous propose, en guise de conclusion sur ce sujet, une vidéo de Jean-Pierre Garro où l’on peut découvrir le monument de l’intérieur :
Sources écrites :
(1) Jean Boyer : « Architecture et urbanisme à Aix-en-Provence à l’époque classique – La tour de l’horloge » – (1973) pages 28-29
(2) Ibid., pages 30-32
(3) Ibid., page 33
(4) Ibid., page 34
(5) Le National du 27 juin 1880 – page 2, 1ère colonne
(6) Jean Boyer : Ibid., page 34
(7) Le National du 10 avril 1881 – page 2, 3ème colonne (voir aussi : patrimages.culture.fr – PA00081109)
(8) La Provence du 10 avril 1881 – page 1, 2ème colonne et page 3, 1ère colonne
(9) Le National du 24 avril 1881 – page 1, colonne 3 et 4
(10) Revue « Le Feu » du 1er août 1924 – page 22
(11) Revue « Le Feu » du 1er septembre 1924 – page 23
(12) Jean Boyer Ibid., Page 34-36
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Sources annexes et iconographiques :
(*) L’avis de démolition de 1787 cité ici est visible sur un document à cette adresse – voir aussi : http://edikom.pro/aix/
(**) Photo de la tour de la grande horloge après 1923 – Carte postale – Cote : PHO. CPA. AIX. 0043 – Conservée à la bibliothèque Méjanes, Aix-en-Provence