Richelme.
Lorsque l’on entend ce nom à Aix, on l’associe immédiatement à la place du même nom.
Ce nom de famille fut donné à la place du marché à la suite d’une histoire de legs qui n’a pas du tout été suivi comme il avait été prévu à l’origine.
Et bien que pour ce « cas Richelme » c’est presque tout le temps une certaine Marie-Rose qui est évoquée, il faut, pour replacer correctement l’origine des faits, remonter dans l’arbre généalogique.
C’est en réalité avec Louis-Ferdinand Richelme, l’oncle de Marie-Rose, qu’il faut faire débuter l’histoire. Une histoire d’opéra, de villa, de legs non respecté, de musée resté à l’état de projet et d’abattoirs.
– Note : Cet article ne se veut pas exhaustif sur la vie de Louis-Ferdinand Richelme, mais au moins il retracera sa vie d’une façon homogène par l’assemblage de diverses informations que j’ai pu trouver (et cela se fit sur une longue durée). Il permettra ainsi de se faire une idée assez concrète de qui était le ténor Richelme.
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Le ténor Richelme :
Louis-Ferdinand Richelme, ténor, artiste lyrique, connut une grande carrière durant la première moitié du XIXe siècle. De nos jours, il est quelque peu oublié à Aix et dans le monde de la musique. Cet article sera l’occasion de le remettre en lumière au travers du fil de sa vie mais aussi par l’évocation de l’affaire du legs Richelme.
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Cet article sera divisé en deux parties :
1 – La vie de Louis-Ferdinand Richelme.
2 – L’histoire de la Villa Richelme et du legs qui a posé problème.
1 – Au commencement – Louis-Ferdinand Richelme :
Sa jeunesse à Aix :
Louis-Ferdinand Richelme naît à Aix le 20 septembre 1804 au n° 8 rue de la rue du Bœuf. Cette adresse correspond de nos jours à peu près à l’immeuble du n°10 de la rue Fernand Dol.
Son père, Jean-Pierre Richelme était un cordonnier originaire des Alpes de Haute-Provence. Sa mère quant à elle était née à Meyreuil. Au vu du cadre familial, on constate que rien ne le prédestinait à une grande carrière, et pourtant…
La rencontre entre Louis-Ferdinand Richelme et la musique a été probablement poétisée, et deux versions existent :
– La première de ces versions veut qu’à l’âge de quinze ans, alors employé par son père, il chantait au travail et fut repéré par des spécialistes du chant qui souhaitèrent s’occuper de l’éducation et du talent du jeune-homme en l’emmenant à Paris.
– La seconde version, qui serait la plus proche du vrai, dit que c’est vers l’âge de vingt ans que Louis-Ferdinand, alors employé d’une usine de teinture de coton rouge au bord de l’Arc, près du pont des Trois-Sautets, aurait découvert l’art lyrique et les capacités de sa voix mettant en avant ses compétences en la matière. Peut-être le cadre poétique des lieux avait-il aidé à libérer le talent du futur chanteur.
Il avait par ailleurs vite obtenu le surnom de « cantare » par les ouvriers et les passants qui s’arrêtaient, dit-on, pour écouter ses magnifiques vocalises.
Au vu de ses qualités, il fut invité à rejoindre des chorales qui donnaient des représentations en ville les vendredi et samedi soirs à Aix. Mais très vite, il se démarqua des autres chanteurs en raison de ses talents prodigieux.
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1826 – Départ pour Paris :
Repéré par le comte Villardy de Montlaur, grand amateur de chant ayant de bonnes relations dans le milieu, Louis-Ferdinand étudia au conservatoire de Paris du 22 avril 1826 au 2 août 1829. A cette période, les lieux étaient nommées École royale de musique et de déclamation. Il est important de savoir qu’y entrer à cette époque était loin d’être anodin, preuve que Richelme était doué. Il y travaillait de 06h00 à 22h00, inlassable, allant de progrès en progrès, façonnant sa voix et apprenant le théâtre pour parfaire son interprétation.
On retrouve une trace de son passage dans cette prestigieuse école dans un exemplaire de La Revue Musicale en 1827 où, à l’occasion de la cérémonie de remise des prix aux élèves, ce sont ces derniers qui devaient assurer le spectacle :
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1829 – Les débuts de Richelme et de sa carrière :
En 1829, alors âgé de 25 ans, il fit ses début à l’Opéra-Comique. Cependant, il voyait plus loin, rêvant d’autres horizons, souhaitant interpréter des œuvres d’un rang élevé, dans le registre du grand opéra.
Ainsi, au cours de sa vie, il sera amené à jouer dans de nombreuses villes du pays. A chaque représentation, il captivait son public de sa voix magnifique, sa diction élégante et sa tenue irréprochable.
Richelme avait néanmoins conservé une trace de son origine méridionale : son accent, qui parfois refaisait surface ! (#)
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1830 – Direction Lyon :
Le lundi 26 avril 1830, Richelme fait ses débuts sur la scène du Grand-Théâtre de Lyon. Bien que novice, sortant tout juste du Conservatoire, on vantait déjà ses qualités dans la presse, avec un public généreux en applaudissements :
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1831 – La consécration du ténor Richelme à Marseille :
Après Lyon, Richelme fit ses début dans son département à Marseille, à l’automne 1831.
Il y joua de très nombreuses fois, y faisant sa première apparition dans La Dame Blanche le 29 octobre 1831, suivi la même année par Les Deux Nuits.
En 1832 il y interprète Fra Diavolo, Le Philitre, Zampa (ce dernier ayant connu un grand succès), La Dame du Lac où encore Le Comte Ory créé par Rossini en 1828, dont la première à Marseille eu lieu le 3 janvier 1832. La presse évoqua le talent de Richelme lors de cette représentation :
En 1833, c’est au tour de Robert Le Diable, l’Italienne à Alger, Le Pré aux Clercs, Guillaume Tell.
En 1834 on retrouve Le Prisonnier d’Edimbourg, Marguerite d’Anjou, Lestocq, et Le Revenant.
Pour l’anecdote, il interpréta l’opéra Robert le Diable pas moins de 150 fois. Ce rôle était particulièrement dur à jouer pour lui en raison de la hauteur des notes. Par ailleurs, à la suite d’une trop grande succession d’interprétations, Richelme contracta une hernie du poumon.
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1836 – Richelme s’exporte en Belgique :
En 1836, on retrouve Louis-Ferdinand Richelme en Belgique où il interpréta plusieurs opéras à Liège et Bruxelles. Il fut engagé au théâtre de Liège et est mentionné sur quelques rares programmes de l’époque :
La presse belge avait mentionné son arrivée tout en émettant quelques réserves quant à sa capacité d’interpréter certains rôles :
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1837 – Direction Lille :
En 1837, c’est à Lille que Richelme fait ses débuts en tant que premier ténor de grand-opéra :
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1839 – Une petite pause s’impose
En janvier 1839, Richelme, de retour dans le sud de la France, dut stopper un temps ses représentations en raison de son état de santé :
Une fois remis, on retrouve le ténor plus tard la même année, en novembre 1839, de retour sur scène à Montpellier, qui visiblement n’avait rien perdu de ses capacités vocales :
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1843 – Sa dernière représentation à Aix :
Il est courant d’entendre que Louis-Ferdinand Richelme, au sommet de sa carrière, n’a jamais joué à Aix. Et pourtant.
En effet, les aixois appréciaient Richelme, allant voir ses représentations à Marseille. Mais Richelme vint aussi à Aix, très rarement cependant, tant et si bien qu’il se disait que lors de ses représentations, on faisait la queue de l’opéra (théâtre du jeu de paume) à la statue du roi René (en haut du cours Mirabeau).
La dernière représentation de Louis-Ferdinand Richelme à Aix eu lieu le mardi 4 avril 1843. Un concert avait été organisé au profit des sinistrés du séisme qui toucha la Guadeloupe le 8 février 1843 et qui fit près de 3000 morts.
Le (désormais) célèbre ténor Richelme y interpréta des extraits de Guillaume Tell et de Zampa, ponctués d’applaudissements répétés de la foule lui signifiant son adoration (2).
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Richelme professeur :
Facette méconnue de Louis-Ferdinand Richelme : l’enseignement.
Lorsqu’il mit un terme sa carrière d’artiste de scène, Richelme n’oublia pas le chant pour autant, partageant désormais ses connaissances. Lui, qui avait toujours voulu ouvrir une école de musique dans sa ville natale, le voila qui donnait désormais des cours de chant dans son appartement du n°26 de la rue Villeverte (actuel n° 26 rue Leydet).
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1844 – Une hernie qui mène à un mariage :
Depuis son arrivée à Marseille, ses trop fréquentes représentations lui avaient causé une hernie du poumon qui le faisait toujours souffrir. Ainsi, en 1844, il se rendit à Montpellier afin d’essayer de faire soigner son mal.
Sur place, il rencontra Antoinette-Marie-Agnes-Raymonde-Fernande Bonamaison (elle avait beaucoup de prénoms, oui) qu’il épousa en date du 26 novembre 1844 à Lansargues, ville natale de son épouse (3). Il se fixa désormais à Montpellier.
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1845 – Un décès précoce :
Il était fils d’ouvrier devenu artiste lyrique reconnu, ayant amassé une grande fortune au cours d’une carrière s’étant écoulée sur 14 ans, de 1829 à 1843. Marié depuis à peine plus d’un mois, Louis-Ferdinand Richelme mourut à Nîmes le 1er février 1845 à l’âge de seulement 40 ans (4). Ce jour là, il était en route pour Aix mais, trop souffrant, dû s’arrêter dans un hôtel nîmois où il y décéda à midi.
Sa santé avait commencé à faiblir à la fin des années 1830 en raison de l’excès d’efforts qu’il développait lors de l’interprétation trop répétées d’œuvres, fatiguant ses poumons. Le rythme et l’intensité de ses représentations n’ont fait que l’user prématurément. Richelme a, pour ainsi dire, donné son corps et sa vie pour sa passion.
Sa mort fut aussi évoquée à l’étranger, dans la presse belge où il avait joué en 1836 :
Richelme avait, selon son testament, tenu à être inhumé à Aix. La cérémonie ne se fit pas dans l’immédiat mais le lundi 27 octobre, soit 8 mois plus tard. Le cercueil traversa la ville, une partie de la cérémonie se fit dans l’église Saint-Jean-Baptiste du Faubourg, l’autre partie eu lieu à la cathédrale Saint-Sauveur. Il fut finalement inhumé au cimetière Saint-Pierre (***).
Peu avant son décès, il légua un capital conséquent à son épouse qui décéda le 10 février 1892, sans avoir eu d’enfants, et étant repartie habiter à Lansargues, d’où elle était originaire.
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Louis-Ferdinand Richelme et son projet d’école de musique mis en œuvre par Marius Lapierre :
Dans son testament en 1843, le ténor avait fait un legs de 10 000 francs à la municipalité d’Aix pour l’ouverture d’une école gratuite de musique. Mais en raison de divers soucis, le projet ne pu se faire et la ville n’eut finalement pas les fonds.
Il fallu attendre 1849, où Marius Lapierre, violoniste et admirateur de Richelme, se mit à donner gratuitement des cours de solfège. Au fil du temps les cours se diversifièrent et accueillirent d’avantage de public : le Conservatoire de musique d’Aix était né !
Si le ténor Richelme n’a pas créé le Conservatoire, on peut tout de même lui accorder le fait d’avoir jeté les bases du projet achevé par Marius Lapierre ! Et si Richelme n’avait pas été là, le Conservatoire existerait-il ?
La majorité de cette partie de l’article est en sources en (1)
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2 – Aix – Le Château Martelly / du Diable / La Villa Richelme :
Maintenant que nous avons évoqué la vie de l’artiste, il est temps de traiter le sujet de la demeure qu’avait acquise Richelme à Aix et l’affaire du legs qui lui est liée.
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Retour en 1832 :
Depuis 1831, Louis-Ferdinand Richelme était revenu dans le sud. Il avait beaucoup tourné en France et commençait à jouer à Marseille.
En 1832, grâce à ces économies, il acheta une bâtisse (mentionnée en tant que « bastide Guibert » sur le plan cadastral de 1830) située en périphérie sud-ouest du centre-ville pour 24 000 francs.
Le domaine, composé d’une maison et d’un terrain, était alors nommé Château du Diable ou Château Martelly. (Château du Diable, altération de Castrum duplulm => Château Double – Et Martelly du nom d’un chanoine de Saint-Sauveur).
– Ci-dessous, l’emplacement du château acquis par Louis-Ferdinand Richelme :
– Les lieux de plus près avec une comparaison du cadastre de 1830 et une vue aérienne actuelle :
Dans cette nouvelle demeure, il y installa son père (il avait entre-temps perdu sa mère), y faisait de la musique. Il y cultivait aussi un jardin et y invitait des proches.
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1843 – Le legs du château à son frère :
Le 20 septembre 1843, Louis-Ferdinand Richelme se sachant souffrant, légua dans son testament l’entièreté du château à son frère Marius. (Il fit aussi une foule de dons à diverses structures, trop nombreuses pour être nommées ici).
Au décès de Marius, c’est logiquement à sa fille, Marie-Rose Richelme, (nièce de Louis), que le château revint.
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1901 – Marie-Rose lègue le château à la ville d’Aix :
Dans son testament du 14 mai 1901, Marie-Rose Richelme, désormais veuve Millault et sans descendance, exprima un vœu : Elle léguait le château à la ville d’Aix, (renommé Villa Richelme) à la condition qu’on y ouvre un musée.
…Je lègue à la ville d’Aix, ma ville natale, ma campagne dite Villa Richelme, terroir d’Aix, quartier du Pigonnet. Je désire qu’elle y installe un musée de telle nature qu’elle avisera, et de préférence de peinture ou de dessin, qui sera appelé Musée Richelme… (*)
Marie-Rose Richelme mourut le 13 mars 1902.
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Une idée appréciée mais des interrogations :
L’idée d’un musée selon les conditions du legs fut reçu avec enthousiasme pour certains mais avec de sérieux doutes pour d’autres. En cause : l’éloignement du lieu par rapport à la ville.
Pour rappel, au début du XXe siècle, passé la manufacture d’allumettes (actuelle bibliothèque Méjanes), le décor n’était fait que de campagne. Aucune route, digne de ce nom ne reliait la Rotonde ou l’actuelle avenue des Belges à l’emplacement de la Villa Richelme, seulement des chemins.
Une idée fut cependant suggérée, créer une nouvelle voie partant de la petite Rotonde (actuelle place Anouar El Sadate) et qui aboutirait à la manufacture d’allumette. Cette voie aurait alors été nommée Boulevard Richelme (5). Cette voie fut bien créée, mais comme on le verra plus tard, les choses ne se passèrent pas vraiment comme prévu.
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Un legs accepté et des conditions à respecter malgré tout :
Reste que le legs avait été accepté par la municipalité. Non seulement lors du conseil municipal du 13 août 1902 et celui du 23 mai 1903, mais aussi par un décret du président de la République en date du 12 avril 1904 autorisant la ville à accepter le legs aux charges et conditions énoncées par le testament de Marie-Rose Richelme.
De fait, si la création du musée ne se faisait pas, c’est la totalité du legs qui tombait.
Seulement voila, en 1902, déjà, la ville indiquait qu’un tel projet était irréalisable à ce moment en raison des finances qui ne le permettaient pas. De plus, y avait-il besoin d’un musée supplémentaire ? Qui plus est en pleine campagne, ce qui aurait nécessité des aménagements d’accès.
Le Mémorial d’Aix du 6 septembre 1906 résumait ce bourbier sans début ni fin par cette conclusion :
Pas de legs, pas de Musée ; Il est impossible de créer un Musée (6)
(une conclusion qui est aussi incompréhensible que le problème qui se posait…)
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1909 – Des chevaux au lieu du Musée Richelme ?
En 1909, toujours pas de musée Richelme et les débats entre les pour et les contre continuaient. De son côté la société des courses d’Aix, alors en recherche de terrain pour l’implantation du futur hippodrome de la ville, pensa au terrain de la Villa Richelme. Vaste et aux abords de la ville, il aurait pu faire l’affaire. Mais après réflexion, trop de travaux de terrassement auraient été nécessaires (7). C’est finalement au domaine de Parade que l’hippodrome fut ouvert en 1911.
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1910 – Un Musée à la Villa Richelme mais pas celui prévu :
En 1910, la municipalité décida d’ouvrir à la Villa Richelme un musée commercial et agricole. Un musée donc, mais pas du tout celui souhaité selon le legs de Marie-Rose Richelme. Le destin des lieux commençait à prendre une autre tournure que celle prévue (8).
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1912 – Le boulevard Richelme ? Non, le boulevard Victor Coq :
En 1912, on ouvrit une nouvelle artère reprenant le tracé de celle évoquée comme devant être le Boulevard Richelme (entre la petite rotonde et la manufacture d’allumette).
– Ci-dessous, une vue du boulevard Coq :
Mais pas de chance, car si la voie fut bien créée, elle ne prit pas le nom de Richelme, mais celui de Victor Coq, l’industriel dont la fonderie longeait la voie. Le nom de Louis-Ferdinand Richelme commençait à s’évaporer.
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1918 – La Villa Richelme accueille des réfugiés Belges :
Suite à la première guerre mondiale, la ville accueillit 175 réfugiés Belges répartis dans trois lieux : le couvent des Ursulines, l’école des Arts et Métiers, et la Villa Richelme. (9)
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1928 – Et si on y édifiait les nouveau abattoirs ?
Question folle au vu de ce que l’on a vu plus haut à propos du legs et du musée mais c’est pourtant l’idée qui commença à germer à Aix.
A cette époque les abattoirs se trouvaient au quartier d’Orbitelle. Cependant, la création de l’hôtel du roi René, au quartier d’Orbitelle, imposait un périmètre de 1000 mètres autour duquel certains établissements ne pouvaient se trouver, notamment les abattoirs. Ces derniers devaient donc obligatoirement être déplacés ailleurs.
Et puis après tout, la ville possédait le terrain de la Villa Richelme, il était vaste, éloigné de la ville, ce qui épargnerait d’éventuelles nuisances aux riverains.
Cette idée fit grand-bruit, et la presse d’alors rappelait que si la ville avait consulté les héritiers pour trouver un arrangement quant à l’utilisation du terrain de la Villa, ces mêmes héritiers ne pouvaient, en principe, pas modifier le but du testament, il ne pouvaient que surveiller le respect et l’application de celui-ci. (10)
– Depuis l’acquisition des lieux par Louis-Ferdinand Richelme un siècle plus tôt, la superficie de la propriété avait probablement été agrandie lors d’acquisition de parcelles supplémentaires. En 1930, le terrain couvrait alors une très vaste surface, comme le montre la vue ci-dessous :
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1930 – Le destin des lieux scellé :
En février 1930, la ville délibéra que les abattoirs seraient bien édifiés sur le terrain de la Villa Richelme (11). Le respect du legs était donc purement et simplement balayé mais la ville allait avoir des abattoirs tout neufs. Ces derniers furent mis en service le 26 avril 1932 (12)
Si la maison de la Villa Richelme était encore debout, le terrain qui formait l’ensemble de la propriété était quant à lui sérieusement amputé.
– Comparaison ci-dessous du terrain avant et après l’implantation des nouveaux abattoirs :
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Pas de Musée Richelme à Aix :
Malgré le legs qu’avait fait Marie-Rose Richelme à la ville en 1901 et son souhait de voir la création d’un musée dans la demeure qu’avait acquise son oncle le célèbre ténor Louis-Ferdinand Richelme, il n’en fut rien.
Il n’en fut pas plus pour la voie qui devait porter le nom de Richelme et qui finalement porta celui de Victor Coq.
D’interminables débats ont ponctué le premier tiers du XXe siècle à ce sujet, mais au final ce sont les nouveaux abattoirs qui ont prit possession des lieux.
Il est cependant intéressant de souligner que le 6 juin 1932, un nouveau musée fut inauguré à Aix, celui du Vieil Aix, dans l’hôtel d’Estienne de Saint-Jean, qui accueillit certaines collections acquise par Henri Dobler et qui auraient dû être présentes au Musée Richelme (13).
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Le nom de Richelme à Aix – Pas Louis, mais Marie-Rose :
Le nom de Louis-Ferdinand Richelme n’a donc pas été donné à une voie mais ce nom est cependant présent à Aix sur une place.
Cependant, il est important de rappeler que si il y a une place Richelme à Aix, ça n’est pas une place Louis-Ferdinand Richelme, mais une place Marie-Rose Richelme.
L’ancienne place aux Herbes fut renommée (madame) Richelme par une délibération du 23 mai 1930, approuvée le 6 juin de la même année :
…il nous a paru que, donner le nom de Richelme à une place de notre Ville serait honorer d’avantage la mémoire de cette généreuse testatrice. C’est pourquoi je vous propose de bien vouloir donner le nom de Richelme à la place actuellement dénommée place aux Herbes… (**)
La place porte donc le nom de Richelme, mais honore la nièce du ténor.
Au vu du non respect des conditions du legs, tout porte à croire que cette dénomination fut décidée en guise de rattrapage ou de dédommagement à la va-vite. Utiliser correctement le domaine de la Villa Richelme selon le souhait de sa propriétaire n’avait pas été possible (ou voulu), mais la municipalité a peut-être souhaité se donner bonne conscience en faisant mine de laisser le nom de Richelme à Aix.
– La presse de l’époque soulignait ce fait :
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Au fait, pourquoi Marie-Rose et pas Louis-Ferdinand ?
– Avis personnel :
Pour ma part, je trouve que l’on peut néanmoins se demander pourquoi, au final, c’est en hommage de sa nièce que fut nommée la place. Marie-Rose Richelme a, certes, fait don de la villa, mais pourquoi ne pas avoir plutôt nommé la place en son hommage à lui, le ténor Richelme, reconnu pour sa carrière, sa voix, son succès et qui, grâce à l’argent qu’il avait gagné, fut l’acquéreur du domaine qui prit avec le temps le nom de Villa Richelme et qui devait accueillir un musée en son nom ?
On peut se demander pourquoi je m’interroge sur la chose et je ne souhaite pas lancer un quelconque débat, bien trop de paroles ont déjà été dites à ce sujet. Reste que, pour ma part, je ne comprends pas le choix de la nièce, donatrice, plutôt que celui de l’oncle, bien plus célèbre et acheteur des lieux (et rien à voir ici avec le problème homme / femme, juste une question de logique).
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La maison et le terrain restant :
Si l’ensemble que formait la Villa Richelme formé par le terrain et la maison avait été morcelé, et qu’une partie du terrain fut cédé pour les abattoirs, la maison quant à elle était toujours debout, bien que dans un très mauvais état, la faute à de trop longues discussions qui n’aboutirent pas, ou trop peu et qui, le temps passant, avaient vu les lieux se dégrader.
En 1941 le découpage continua lorsque la demeure et une partie du terrain d’une surface de 5600 m² furent rachetés par l’hôpital Montperrin (14). Bien qu’ayant été acquis par l’établissement hospitalier, les lieux ne furent pas occupés avant plusieurs années. On les retrouve d’ailleurs squattés en 1947 par quatre familles soutenues par l’Association Ouvrière et l’Association des Jeunes ménages (15).
L’utilisation de la Villa Richelme par l’hôpital Montperrin ne se fit qu’à partir de 1953. La demeure fut intégralement restaurée pour un coût de 40 millions de francs et le lieu fut destiné à l’accueil de fillettes atteintes de troubles psychiatriques. Ce nouveau service était composé de 50 lits, 8 dortoirs et 4 chambres (16).
– Ci-dessous, une vue de la Villa Richelme en 1959 avec, au loin, la place de la Rotonde :
– Ci-dessous, une vue de la façade nord et du portail de la villa en 1964 :
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L’urbanisation à partir de la fin des années 60 :
Depuis le début des années 60, un bidonville devenu très vite insalubre accueillant près de 500 personnes avait prit place aux abords de la villa. Celui-ci fut transféré dans une cité-transit au quartier de la Pioline en 1970. Le problème n’était pas pour autant réglé pour les familles mais la ville ne les avait plus sous les yeux (déplacer un problème au lieu de le régler n’est pas la solution mais c’est souvent la méthode la plus simple pour ne plus le voir).
A partir de 1969, au nord de la Villa Richelme, l’avenue de l’Europe fut percée en direction des nouveaux quartiers ouest de la ville.
– La vue ci-dessous nous montre l’avenue de l’Europe en chantier sur la gauche, bordé par le bidonville derrière les abattoirs. En jaune, la Villa Richelme :
A partir de 1971, c’est le prolongement de la sortie de l’autoroute A51, formée par l’actuelle avenue Henri Mouret qui fut percée, traversant ce qui avait formé, un temps, le terrain de la Villa Richelme.
– La vue ci-dessous, comparaison entre 1934 et 1971, met en évidence l’avenue de l’Europe en bleu, le prolongement de la sortie de l’autoroute en vert, les abattoirs en mauve et la Villa Richelme en jaune :
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La disparition de la Villa Richelme :
Réduit depuis 1932 avec la création des abattoirs, traversé par le prolongement de la sortie de l’autoroute depuis 1971, il ne restait à vrai dire plus grand chose de l’ensemble grandiose que formait la Villa Richelme, ancien Château du Diable, ou de Martelly acquis en 1832 par celui qui fut l’une des grandes voix de son temps : Louis-Ferdinand Richelme.
La bastide, dernière survivante du tout, fut démolie entre 1975 et 1978 (période déduite à partir des vues aérienne anciennes).
Entre 1986 et 1988 (période déduite à partir des vues aérienne anciennes) une nouvelle construction fut bâtie à l’ancien emplacement de la Villa Richelme. Ces locaux sont toujours la propriété de l’hôpital Montperrin et accueillent de nos jours l’hôpital de jour pour enfants.
En ce qui concerne les abattoirs ouverts en 1932 sur le terrain de la Villa, il furent détruits à la fin des années 90. Depuis 2001, c’est le Pasino qui en occupe l’emplacement.
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Richelme – Un ténor et sa villa :
Cet article fut long, et j’ai pourtant beaucoup condensé les sujets abordés, en essayant de ne pas trop prendre parti. Mais comment condenser d’avantage ? Il était nécessaire d’évoquer Louis-Ferdinand Richelme pour le remettre en lumière, ténor aujourd’hui tombé dans l’oubli (et au vu de son époque aucun enregistrement de sa voix n’existe donc cela aide encore moins à faire persister son souvenir).
Sa ville et ses habitants oublient souvent si c’est son nom ou celui de sa nièce qui est sur la place du marché. Et quand bien même on se souviendrait de son nom, on oublie parfois pourquoi il était célèbre.
Si son nom fut au XIXe siècle synonyme de vocalises et de talent, il devint au XXe siècle l’origine de débats autour d’un legs qui fit couler beaucoup d’encre, d’un musée qui n’exista que dans l’espoir de certains, mais surtout d’un terrain qui attirait les convoitises.
Le ténor Richelme est donc toujours un peu à Aix mais uniquement par le biais du don de sa nièce, sur la place qui porte leur nom. Mais absolument pas de la façon dont il aurait dû l’être. Entre volontés opposées, avis divers, remise en cause de la faisabilité du souhait de sa nièce, sa villa s’est purement évaporée, jusqu’à disparaître.
De nos jours, il ne reste plus aucune trace de la Villa Richelme.
Comparaison du décor entre 1930 et nos jours (bastide en jaune) :
Comparaison de la surface occupée par le domaine en 1930 et superposition sur la ville actuelle (bastide en jaune, surface en rouge) :
– Sources :
(#) Le Sémaphore de Marseille du 3 août 1858 (bas de page 1 colonne 1)
(1) Le ténor Richelme d’Aix – F.Vidal – 1906
(***) La Provence du 2 novembre 1845 (page 3, colonne 1)
(2) La Provence du 9 avril 1843 (bas de page)
(3) Acte de Mariage Richelme – Bonamaison – Archives de l’Hérault
(4) Acte de décès de Louis-Ferdinand Richelme – Archives du Gard
(*) ruesdaix.ag13 – Famille Richelme
(5) Le Mémorial d’Aix du 6 juillet 1905 (page 5, colonne 4) et (page 1, colonne 1)
(6) Le Mémorial d’Aix du 6 septembre 1906 (page 2, colonne 2)
(7) Le Mémorial d’Aix du 9 septembre 1909 (page 2, colonne 3)
(8) Le Mémorial d’Aix du 4 septembre 1910 (page 2, colonne 4)
(9) Le Mémorial d’Aix du 8 décembre 1918 (page 2, colonne 4)
(10) La République Aixoise du 8 septembre 1928 (page 1, entre de la page)
(11) Le Mémorial d’Aix du 2 mars 1930 (page 1, colonne 5)
(12) La République Aixoise du 23 avril 1932 (page 3, colonne 4)
(13) Le Mémorial d’Aix du 15 mai 1932 (page2, colonne 1)
(**) L’aixois par Thierry Brayer – Place Madame Richelme
(14) Le Mémorial d’Aix du 30 novembre 1941 (page 2, colonne 4)
(15) La Croix du 27 mars 1947 (page 4, colonne 6)
(16) Site de l’hôpital Montperrin – Historique
Photo d’entête de l’article par Sefer Azeri – Sous licence CC BY-SA 4.0