Au sud-est du centre-ville d’Aix-en-Provence, juste au sud de Montperrin, s’élèvent les bâtiments de la Faculté des Sciences. Cet ensemble, situé au quartier du Pigonnet ne fut construit que dans le milieu des années 90.
Nous allons voir qu’avant d’être bâtie, cette parcelle a accueilli l’un des premiers terrains de sports d’Aix et, chose assez insolite, elle a aussi fait en quelque sorte office de terrain d’aviation.
Les lieux – Le Pigonnet :
Plantons le décor : nous sommes ici dans le quartier du Pigonnet, non loin du centre-ville d’Aix, sur une butte, ne formant qu’un avec ce que l’on nommait autrefois le « Mont-Perrin ».
D’ailleurs, l’origine du nom du quartier du « Pigonnet » pourrait provenir du terme provençal « picoun », désignant un petit pic de montagne ou une colline (1).
Cette zone, autrefois principalement rurale et majoritairement occupée par quelques bastides, allait peu à peu faire parler d’elle à l’aube du XXe siècle.
Le terrain de sports du Pigonnet – Les débuts :
Tout commence en mars 1906, où une nouvelle société sportive naquit sous le nom de « Racing Club Aixois » (2). Cette société organisait diverses manifestations sportives, mais ne possédant pas ses propres terrains de sports, elle devait faire avec les moyens du bord et quelques terrains pas vraiment faits pour ça, comme celui du champ de manœuvre, autrefois près de l’actuel stade Carcassonne.
Les choses ont fini par changer avec la création des terrains de sport du Pigonnet en novembre 1906 (3). Ce nouvel aménagement, attendu, fut accueilli avec grand plaisir. Le Racing Club Aixois avait désormais un terrain consacré à l’organisation de compétitions sportives. Il arrivait aussi, lors de la fête nationale le 14 juillet, que des rassemblements y aient lieu.
Mais quelques années plus tard, c’est un tout autre spectacle, bien plus grandiose, qui allait se dérouler sur ce terrain.
Le terrain du Pigonnet et l’aviation :
Les débuts du XXe siècle ont été marqués par plusieurs révolutions, en particulier une : l’aviation. Et curieusement, les terrains de sports du Pigonnet ont accueilli des aviateurs et leurs engins (cette zone ne fut cependant pas la première, la campagne aixoise en avait aussi accueilli avant).
Le marquis de Villeneuve-Trans prend son envol :
Les 16 et 17 février 1911, un aviateur, le marquis de Villeneuve-Trans fut l’un des premiers à effectuer des expériences d’aviations au dessus d’Aix (4). Et quoi de mieux que le terrain de sports du Pigonnet comme terrain de jeu ?
La presse d’alors évoqua un vol réussi mais un atterrissage raté à chaque fois. Le marquis aurait souhaité reprendre ses expériences le 18, mais son monoplace, trop endommagé en raison des multiples avaries l’a forcé a renoncer.
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Roland Garros au terrain du Pigonnet en octobre 1911 :
En octobre 1911, le président du Racing Club Aixois voulut organiser une manifestation d’aviation sur le terrain du Pigonnet.
Il souhaitait qu’un jeune aviateur en particulier, âgé de 23 ans, vienne y faire quelques manœuvres. Un homme doué, qui n’avait son brevet de pilotage que depuis à peine plus d’un an, mais qui avait émerveillé par ses prouesses les marseillais quelques temps plus tôt, un certain Roland Garros (5). – et non, pas de tennis ici. Oui, c’est Roland Garros, mais pour rappel ce dernier était aviateur.
Cette manifestation fut finalement organisée les journées des 27, 28 et 29 octobre 1911. Tout avait l’air en place, Roland Garros était bien là, son vol était prévu pour 15h30, seulement voila : son monoplace, un Blériot, n’était pas à Aix mais à Pertuis, en réparation…
Ni une, ni deux, Roland Garros se rendit alors en voiture jusqu’à Pertuis. Puis à 16h10, au Pigonnet, on entendit un son au loin, on vit un point qui grossissait rapidement puis une voix cria « Le voila ! ». C’est en effet par la voie des airs qu’il regagna le terrain à Aix.
Le ciel était gris mais la foule était venue très nombreuse pour admirer les prouesses de l’aviateur virtuose, virevoltant au gré de « terrifiantes évolutions », pour reprendre les termes de la presse ancienne.
L’avion se posa alors et les spectateurs acclamaient Garros. Des gendarmes à cheval durent calmer la foule qui, prise dans son enthousiasme, se trouvait un peu trop agitée.
Peu après, les mécaniciens redémarrèrent l’avion, qui après s’être élancé sur une cinquantaine de mètres décolla. Il partit en direction de l’ouest, survola les alentours, puis, après quelques minutes revint se poser au Pigonnet, enchainant au passage les manœuvres acrobatiques sous les regards de la foule ébahie (6) et (7) et (8).
Deux ans plus tard, le 23 septembre 1913, alors âgé de 25 ans, Roland Garros fut le premier à réaliser une traversée aérienne, sans escale, de la Méditerranée. Un vol entre Fréjus (France) et Bizerte (Tunisie) de 730km dont 500 au dessus de la mer, le tout en moins de 8 heures.
Les sports au Pigonnet :
Les compétitions sportives organisées aux terrains du Pigonnet étaient variées avec entre autre : du basket, du football ou encore du rugby.
Le temps passant, les activités se sont diversifiées et les terrains de sports du Pigonnet accueillirent à partir des années 30 des compétitions de moto-ball, un sport apparu quelques années plus tôt et que l’on pourrait décrire rapidement comme étant une pratique du foot à moto (11) (ce sport se pratiquait aussi à Aix sur les terrains se trouvant autrefois derrière les facultés le long de la voie ferrée).
La transformation des terrains de sports du Pigonnet :
A partir des années 50, les lieux ont perdu en superficie car une moitié de la parcelle fut occupée par des constructions liées à l’hôpital de Montperrin. Puis, avec le temps, ils ont fini par complètement perdre leur vocation sportive, ayant été remplacés par d’autres lieux en ville.
Le délaissement du terrain a eu pour conséquence de mettre en évidence une curiosité : de probables vestiges archéologiques.
On y distinguait du ciel ce qui pouvait s’apparenter à des trace de fondations d’anciennes constructions ainsi qu’une grande marque longiligne (fossé ou voie ?) qui traversait le terrain de part en part (13) :
Malgré leur présence et le fait qu’ils aient été photographiés et recensés sur le site du ministère de la Culture (14), je n’ai rien trouvé à propos d’éventuelles fouilles qui aient été menées sur place. Ces traces et leurs éventuels vestiges seraient donc restés non datés.
Les terrains de sports du Pigonnet et les éventuels vestiges qui s’y trouvaient ont définitivement disparu lors de la construction des bâtiments de la Faculté de Sciences, vers la première moitié des années 90.
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L’ancien emplacement des terrains de sports du Pigonnet mélangés à une vue actuelle :
Ci-dessous, nous pouvons observer l’emplacement exact qu’occupaient les terrains de sport du Pigonnet grâce à un montage où j’ai croisé une vue de 1934 et une vue actuelle. J’y ai fait ressortir les bâtiments actuels sur les terrains (en noir et blanc) qui occupaient autrefois la zone :
– Sources :
(1) Le Mémorial d’Aix du 8 octobre 1906 (page 2, colonnes 2 et 3)
(2) Le Mémorial d’Aix du 25 mars 1906 (page 2, colonne 4)
(3) Le Mémorial d’Aix du 18 novembre 1906 (page 3, colonnes 1 et 2)
(4) Le Mémorial d’Aix du 19 février 1911 (page 2, colonne 2)
(5) Le Mémorial d’Aix du 26 octobre 1911 (page 2, colonne 5)
(6) Le Mémorial d’Aix du 2 novembre 1911 (page 2, colonne 5)
(7) Le National du 5 novembre 1911 (page 4, colonnes 4 et 5)
(8) L’intransigeant du 4 novembre 1911 (page 3, colonne 2)
(9) Le Mémorial d’Aix du 5 novembre 1911 (page 1, colonne 3)
(10) La Provence Nouvelle du 10 juillet 1910 (page 1, colonne 4)
(11) L’Auto-Vélo du 15 août 1934 (page 2, colonne 2)
(12) Le Radical de Marseille le 25 avril 1938 (page 3)
(13) « Carte archéologique de la Gaule » (Aix-en-Provence, Pays d’Aix et Val de Durance 13/4) : page 475, n°514 – Florence Mocci & Nura Nin – 2006
(14) Vestiges recensés sur le site pop.culture.gouv.fr