Que vous soyez habitant d’Aix ou non, une simple visite dans le quartier Mazarin suffira pour que votre regard soit obligatoirement attiré par l’église Saint-Jean-de-Malte qui, vous l’aurez compris, sera le sujet du jour. Il faut dire qu’avec sa flèche haut perchée et son allure générale rappelant les édifices religieux du Nord, elle est loin de passer inaperçue.
Pour rappel, elle se trouve au sud du Cours Mirabeau à l’est du quartier Mazarin au bout de la rue Cardinale.
– D’un point de vue historique:
Sa construction fut lancée vers la fin du XIIIe siècle et on suppose qu’elle fut bâtie à l’emplacement d’un établissement (ou temple) plus ancien. A ses débuts elle se situait donc hors des remparts dans une zone que l’on nommera plus tard le « Faubourg Saint-Jean » qui est devenue la zone qui entoure l’actuelle rue d’Italie. Bien qu’ayant été bâtie au Moyen-Age, son architecture (intérieure et extérieure) actuelle est majoritairement due aux travaux effectués au XVIIe siècle par Jean-Claude Vianny qui était alors prieur de Saint-Jean de 1667 à 1720.
Le plan ci dessous, vers 1650, représente la zone qui deviendra le quartier Mazarin. On y distingue l’église ainsi que le prieuré tel qu’il était avant les travaux effectués par le prieur Viany au XVIIe siècle.
Parmi ces travaux, ont peut citer l’ajout de chapelles ainsi que la « refonte » de l’ancien prieuré.Le nouveau prieuré bâti à la suite des travaux du XVIIe siècle accueille aujourd’hui une partie du musée Granet depuis le XIXe siècle.
Comme bien des édifices ayant traversé les siècles, les anecdotes et autres particularités la concernant ne manquent pas. Cet article sera donc l’occasion de faire un Top 10 des choses que vous ne saviez peut-être pas à propos de l’église Saint-Jean-de-Malte. C’est parti!
1 – Le plus haut clocher de la ville :
Pour commencer, abordons ce qui se voit le mieux: le clocher. Avec ses 67 mètres de haut, il est le plus haut de la ville dépassant de quelques mètres celui de la cathédrale Saint-Sauveur.
Il est vrai que sur les vues générales de la ville on dirait que c’est celui de la cathédrale qui parait le plus élevé mais cela est simplement du au fait que cette dernière est édifiée sur un terrain plus élevé que Saint-Jean-de-Malte. Si l’on mesure la hauteur réelle de la base au sommet du clocher, c’est Saint-Jean-de-Malte qui l’emporte.
– Et si vous vous demandez quelle est la vue de tout là haut, voici la réponse:
2 – Une première pour le style gothique en Provence :
L’église Saint-Jean-de-Malte peut en effet se vanter d’être le tout premier (et donc le plus ancien) monument construit dans un style gothique en Provence.
3 – L’Orage de 1754 :
Cette anecdote nous provient d’un ouvrage devenu peu évident à trouver aujourd’hui, il a pour nom « Les rues d’Aix » et nous le devons à l’auteur Ambroise Roux-Alphéran qui l’a écrit en 1846-1848:
En novembre 1754, un orage frappa la ville, la foudre tomba sur le clocher. La boule et la croix latine en fer qui se trouvaient en lieu et place de la croix que nous pouvons voir aujourd’hui furent détruites. Sans les réparations qui furent effectuées à l’époque, la flèche entière aurait pu s’écrouler. L’actuelle croix fut installée en septembre 1755.
4 – La course au clocher :
– Note: Tout d’abord, avant de vous conter l’anecdote ci-dessous, une précision s’impose:
Elle est issue d’une publication littéraire appelée « La Revue de Paris » plus précisément du tome 4, édité en 1834. Je mettrai le lien du livre dans les sources, c’est à partir de la page 42. Le portrait d’Aix qui y est dressé par ses auteurs manque cruellement d’objectivité, mais fait preuve de justesse quand à l’état de la ville à cette époque et aux dates de constructions des édifices. Nous ferons donc confiance aux auteurs, certes vides de toute neutralité, mais fiables en tant que source. En utilisant les différentes précisions historiques mentionnées, on pourrait en déduire que ces événements avaient lieu sur une période couvrant probablement les XVIIe ou XVIIIe siècles.
– Voici cette histoire:
Au cours d’une fête qui avait pour nom la Fête de l’Ordre, se pratiquait une sorte de « course au clocher », mais que l’on aurait tout aussi bien pu qualifier de « course à la mort ». Le but était simple: celui qui était capable d’aller attacher un bouquet et un nœud de rubans à la croix située au sommet du clocher percevait une prime de 10 écus. Les curieux étaient attirés par ce spectacle, ponctué bien trop souvent de chutes, qui vu la hauteur de l’édifice ne pouvaient qu’être fatales. Les magistrats finirent par abolir cette pratique considérée comme barbare, au grand déplaisir des amateurs du genre.
Pour rappel, le clocher culmine à 67 mètres de haut…
(Et comme je le précise encore, il est difficile de dater ces événements et si oui ou non ils ont réellement eu lieu).
5 – Les cloches confisquées… et leur retour :
A l’origine, il faut savoir que le clocher comptait 4 cloches. Seulement, lors du siège de Toulon mené par Napoléon Bonaparte en 1793, tout le matériel en fonte disponible en Provence fut réquisitionné pour être fondu et ainsi en faire de l’armement comme des canons. On confisqua donc 3 cloches et le clocher ne conserva qu’une cloche (la plus lourde) d’un poids de 1260 kg. Cette dernière cloche qui est toujours en place de nos jours aurait été coulée en 1670 à partir d’une cloche plus ancienne datant de 1470. Mais l’histoire ne s’arrête pas là…
Car en 2013 les trois cloches manquantes firent leur retour à Saint-Jean-de-Malte. En effet en 2012, le préfet maritime de la méditerranée sur recommandation du maire de Toulon, a fait don à l’église de morceaux d’un canon du XVIIIe siècle. Symboliquement, ces morceaux ont été ajoutés au bronze destiné à la création de nouvelles cloches et c’est ainsi que 200 ans plus tard, les cloches sont revenues. Elle ont chacune leur propre prénom: Jeanne, Gérard et Augustine. Tout est bien qui fini bien.
Après avoir été exposées dans l’église durant quelques temps, elles retrouveront leur place dans le clocher en 2018. Il aura donc fallu attendre pas moins de 225 ans pour que l’église retrouve toutes ses cloches !
6 – Le souci de la symétrie ?
Les portes de la façades sont encadrées par deux hautes tours octogonales qui au premier abord on l’air de deux sœurs jumelles, mais si celle de gauche date du XIVe siècle, sachez que celle de droite ne fut ajoutée qu’au XVIIe siècle en 1691 soit plus de 300 ans plus tard! Peut-être faut-il voir ici un souci du détail afin de donner une forme de symétrie à la façade. Le balcon situé entre ces deux tours et qui les relie date lui aussi de 1691.
7 – Une ancienne tour de défense désormais habitée :
Comme je l’ai dit plus haut, l’église se situait hors des remparts à ses débuts et ne possédait pas réellement de protection. Pour combler cette lacune, trois tours de défense furent alors érigées entre la fin du XIIIe siècle et le début du XIVe siècle. De ces trois tours, une seule est parvenue jusqu’à nous, elle fut transformée en habitation au XVIIe siècle et est toujours visible depuis la rue d’Italie.
Notons qu’il faudra attendre ce même XVIIe siècle pour que cette zone soit enfin entourée par les remparts et donc intégrée à la ville lors de la création du quartier Mazarin.
8 – Le chevet de l’église de nouveau visible :
Toujours dans la rue d’Italie juste à côté de l’ancienne tour, on peut observer le vitrail du chevet (l’arrière) de l’église.
Il faut savoir que cette partie n’est visible que depuis le milieu du XIXe siècle car elle avait été murée lors des travaux effectués par le prieur Viany au XVIIe siècle et une maison (détruite en 1855) avait même fait son apparition dans ce qui forme aujourd’hui ce petit renfoncement fermé par une grille.
9 – Le tombeau des comtes de Provence :
Le transept abritait autrefois le tombeau des comtes de Provence et celui de Béatrix de Provence édifiés au XIIIe siècle.
Malheureusement il ne reste plus rien de ces constructions aujourd’hui et celle qui s’offre à nous dans le transept nord date de 1828 et n’est qu’une bien vague copie de l’original qui fut détruit en 1794 (plus d’infos dans les sources). Notons que deux ans plus tôt en 1792, suite à la Révolution et à la dissolution de l’ordre de Malte, l’église fut déclarée bien national et par la suite transformée en magasin à fourrages (stockage de paille et de foin). Elle fut finalement rachetée en 1802 pour devenir église paroissiale.
10 – Les tableaux de l’ancien Palais Comtal :
Pour rester sur le sujet des comtes de Provence sachez qu’il y avait, jusqu’au XVIIIe siècle le Palais des comtes de Provence qui se trouvait là où nous pouvons voir aujourd’hui le Palais de Justice.
Cet ancien palais aujourd’hui détruit contenait plusieurs tableaux, dont ceux-ci qui sont à présent dans l’église Saint-Jean-de-Malte et qui font aujourd’hui partie des rares vestiges de ce lieu disparu.
– Celui-ci d’André Boisson se trouvait dans l’une des chapelles du palais:
– Et ces trois œuvres par Nicolas Pinson en 1673 étaient présentes dans la grande Chambre du Parlement:
Comme nous venons de le voir, cette église déjà remarquable par son esthétique et son âge, l’est tout autant au vu de son histoire ponctuée par bon nombre d’événements.
Plus proche de nous dans le temps, je tiens à rendre un petit hommage en rappelant que sur le parvis de cette église se trouvait un marronnier (visible sur la vue à 360° ci-dessus) depuis bien des années mais il fut abattu le 9 Février 2015, visiblement en raison de son état.
Voici ce qu’il en restait deux jour après sa disparition:
Vous pouvez visualiser ce lieu à 360° tel qu’il était en octobre 2014 grâce à la vue ci-dessous – Photo : © Aix en découvertes :
Un petit « coup de gueule » avant de finir…
Je ne veux pas avoir le rôle de l’éternel insatisfait mais il faut bien reconnaître que cette église mériterait mieux en ce qui concerne les indications disponibles sur place à propos de son histoire et des œuvres qu’elle contient. Car il est fort regrettable que:
– Certaines chapelles sont trop peu, voir pas du tout éclairées, notamment celle qui contient les trois œuvres de Nicolas Pinson issues de l’ancien Palais Comtal qui sont dans une obscurité quasi-totale.
– Il y a trop peu (voir pas) d’indications sous les œuvres présentes et leurs auteurs ne sont pas mentionnés.
– L’histoire de l’édifice est tout juste « survolé » sur place, je ne demande pas à ce qu’une thèse à propos de cet édifice relate son histoire car les touristes n’en auraient que faire, mais l’approfondir d’avantage ne serait pas un mal.
Malgré tout je me dois de mentionner et remercier la dame qui s’occupe de l’accueil et qui a su parfaitement me renseigner et m’orienter comblant ainsi la carence en infos sur place.
– Sources:
Roux Alpheran: Les Rues d’Aix.
moinesdiocesains-aix.cef.fr
Lien du livre à propos de la course au clocher sur Google Books ci-dessous:
La Revue de Paris
Restauration de l’ancien Mausolée des Comtes de Provence (Archives Municipales)
Gravures des anciens tombeau des comtes de Provence – Gallica – B.N.F.
Plan de 1650 par Ziegler: Wikimedia
Et un immense merci à la personne qui m’a fourni
certaines photos de sa collection et qui se reconnaîtra sûrement.
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