Aix en Provence et ses ruelles, c’est une histoire qui dure et qui ne date pas d’hier. Si une grande majorité de celles-ci fut probablement élargie pour des raisons pratiques, il reste tout de même une minorité de petites voies qui ne sont quasiment jamais bercées par la lumière du jour. Et même si certaines ne sont pas des plus accueillantes pour nos narines ou que d’autres ont beaucoup changé au fil du temps, elles n’en sont pas moins dénuées d’histoires, au contraire.
Cet article n’a pas pour but de toutes les recenser, mais plutôt de s’attarder sur certaines d’entres elles qui font partie des plus étroites du centre ancien. Nous en profiterons pour revenir sur l’histoire et l’origine des appellations de ces petites rues qui méritent malgré tout que l’on s’y engouffre.
Pour nous aider, voici un plan qui situe ces rues (ça peut toujours aider):
Maintenant que nous avons le plan on peut y aller, c’est parti!
1 – La traverse de l’Annonerie-Vieille :
Nous commencerons par cette ruelle à laquelle on accède en remontant l’actuelle rue Bédarrides. Elle se situe sur la droite en montant et offre peu de choses à voir hormis ses proportions qui à elles seules suffisent à la rendre particulière.
Peu ragoutante et ne voyant jamais le soleil, on comprend pourquoi elle n’est pas dans les guides touristiques. D’un point de vue historique, la zone dans laquelle se situe cette ruelle fut intégrée à la ville vers le XIIIe siècle.
Pour expliquer l’histoire de cette traverse, je suis obligé de parler de la rue Annonerie-Vieille:
L’origine de son nom:
Je l’ai nommée « traverse » mais elle est aujourd’hui la continuité de la rue Annonerie-Vieille ce qui n’a pas toujours été le cas. Nous allons donc nous attarder sur l’appellation de ces deux voies afin d’être le plus clair sur le pourquoi du comment:
– La rue Annonerie-Vieille:
L’entrée « principale » de cette rue fait quasiment face à celle de la Verrerie. Pour comprendre son nom un peu étrange, il faut se référer au latin, le terme « annona« désigne aussi bien les denrées, l’approvisionnement ou encore les récoltes de l’année. Et quand on apprend que c’est dans cette rue que se trouvaient les anciens greniers publics où étaient stockés les grains et les denrées en vue d’être vendus au marché, on comprend tout de suite mieux l’origine du nom de cette rue.
Sur la vue aérienne ci-dessous on distingue:
– En jaune: l’emplacement probable des anciens greniers publics destinés au stockage des denrées
– En rouge: l’étroite traverse qui relie à angle droit les rues Bédarrides et Annonerie-Vieille
Ces anciens greniers publics étaient en quelque sorte les ancêtres de l’édifice qui est l’ancienne halle au grains bâtie quelques siècles plus tard et qui accueille aujourd’hui la Poste entre les places Richelme et de l’Hôtel de Ville. Au bout de cette rue se trouvait une placette que l’on devine encore aujourd’hui.
Maintenant que nous connaissons la rue Annonerie-Vieille « principale », passons à l’étroite traverse qui nous intéresse et qui relie cette rue à la rue Bédarrides:
– L’étroite « traverse » Annonerie-Vieille:
Elle eu plusieurs appellations: « rue Marrante », du nom d’une famille qui y aurait vécu, puis au XVIIe siècle elle eu le nom de « Traverse de Garron » (toujours le nom d’un de ses habitants).
A partir de 1811, année à partir de laquelle bien des nom de rues furent modifiés en ville, une nouvelle numérotation fut mise en place. Ce changement amena à ce que cette traverse soit réunie à la rue Annonerie-Vieille (voir cet article pour plus d’infos sur les changements de noms de rues). A compter de cette date, celle qui fut la « rue Marrante », puis la « Traverse de Garron », ne forme désormais plus qu’une seule et même rue avec la rue Annonerie-Vieille.
2 – La rue La Baratanque (ou Baratenque) :
Direction la rue Méjanes qui mène à la Place Richelme. Sur le coté ouest de cette rue, on distingue une ruelle inaccessible au public. Ce passage aujourd’hui privatisé et fermé par une grille mène à l’ancienne Place aux herbes, qui aujourd’hui accueille l’actuelle « fontaine du sanglier » l’accès à cette ruelle est là aussi fermé par une grille.
Son nom, qui diffère selon que l’on se fie au panneau (La Baratanque) ou selon les écrits anciens (La Baratenque), serait celui d’une jardinière qui y était autrefois établie. Pour ce qui est du percement de cette ruelle, il faut remonter à l’année 1652 selon l’auteur Roux Alphéran.
3 – La rue Esquicho-Coude :
Autrefois nommée « Esquicho-Couidé », c’est peut-être la rue étroite la plus célèbre d’Aix. On lui donna ce nom car on prétendait que le passant qui s’y aventurait devait serrer les coudes pour ne pas en toucher les bords tant elle est étroite. L’expression était quelque peu exagérée mais il faut reconnaître qu’elle n’est vraiment pas large.
Au XVIe siècle, une famille du nom de Serre qui y vivait, lui avait donné son nom ce qui n’a visiblement pas duré puisque la rue a aujourd’hui retrouvé son nom d’origine. Au débouché de cette rue sur la rue Campra, on peut admirer un oratoire orné d’une Vierge noire: Notre-Dame-de-Grâce. Daté de 1663, il serait le plus vieux de la ville encore en place de nos jours. Cependant, seul l’oratoire (le réceptacle) daterait de cette période, la statuette semblant être plus récente.
4 – La partie supérieure de la rue des Cordeliers :
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la rue des Cordeliers a sa place dans ce classement, du moins sa portion supérieure qui va du croisement avec la rue de la Verrerie à la place de l’Hôtel de Ville.
Il faut en effet savoir que dans ses premiers siècles d’existence (à compter des XIIe ou XIIIe siècle) cette rue était appelée « Esquicho-Mousquo » et était si étroite que, disait-on, une mouche aurait eu toutes les peines du monde à s’y faufiler (d’où son nom).
Là aussi comme pour la rue Esquicho-Coude, l’exagération était probablement bien présente mais selon les dires elle était tout de même bien plus étroite que la large rue qu’elle est aujourd’hui. Avec le temps et les multiples agrandissement de la ville, elle fut prolongée et a connu plusieurs élargissement jusqu’à obtenir l’allure que nous lui connaissons.
Et si jamais vous auriez encore des doutes sur cette curieuse appellation, levez (bien) les yeux au croisement de cette rue et de la place de l’Hôtel de Ville, vous y découvrirez un panneau en provençal qui le confirme.
– Les Inclassables :
Il y a d’autres lieux qui auraient pu s’ajouter à ceux mentionnés plus haut. Ce ne sont pas des rues à proprement parler, bien que selon la manière dont ont les aborde, ils pourraient tout aussi bien l’être. Voila pourquoi je les mentionne quand même avec leur numéros sur le plan, mais à part dans le texte.
5 – Le goulet d’étranglement du Passage Agard :
Le passage Agard (voir cet article) pourrait tout autant être considéré comme une rue ou du moins, un passage (d’où son nom). Bien qu’assez étroit, il est tout de même dans l’ensemble bien plus large que les rues évoquées précédemment. Dans l’ensemble mais pas dans sa globalité, car vous avez sûrement remarqué son fameux goulet d’étranglement extrêmement étroit lorsqu’on y entre par le Cours Mirabeau. Pour comprendre pourquoi cette partie du passage n’est pas aussi large que le reste de ce lieu, il faut remonter à l’époque de sa création:
Il faut tout d’abord savoir que depuis le XIVe siècle se trouvait sur ce lieu l’ancien couvent et l’église des Grands Carmes. A la révolution, les parties de l’ancien couvent et de l’église (dont la nef s’est écroulée en 1740) furent confisqués par l’état et revendus par morceaux. Bien des édifices religieux subirent le même sort à cette époque. Ces petites parties du cloître ou de l’église connurent divers propriétaires au fil du temps. Au XIXe siècle de 1846 à 1849, Félicien Agard alors directeur des Salins du Midi, tenta d’en racheter toutes les parties afin de créer un passage reliant le Cours à l’actuelle place de Verdun. Seulement voila: impossible pour lui d’acquérir le N°57 sur le Cours Mirabeau… Seule solution, s’en accommoder tant bien que mal et faire avec, quitte à rendre cette entrée plus étroite que l’autre. C’est ainsi que depuis sa création on se bouscule pour y entrer côté Cours et ça n’est pas près de s’arrêter…
Note: des vestiges de certaines chapelles de l’église des Carmes sont encore visibles dans la parfumerie située dans le Passage Agard.
6 – La petite impasse sur le Cours Mirabeau :
Une impasse sur le Cours Mirabeau? Curieux n’est-ce pas…et pourtant! Aujourd’hui située entre un bureau de tabac (installé dans l’ancien Hôtel du Chevalier Hancy) et le Monoprix (installé dans l’ancien Hôtel d’Estienne d’Orves), on distingue une petite porte menant à un passage en cul-de-sac. Cette porte menait autrefois à une impasse qui permettait d’accéder à une maison qui ne se trouvait pas sur le Cours mais dans la rue Courteissade qui lui est parallèle au nord. Bien qu’obstruée on distingue malgré tout la très faible largeur de cette ruelle.
Et si aujourd’hui elle est fermée par une porte ça n’est pas par hasard. A l’origine ouverte à tout le monde, cette petite voie d’accès se transforma assez rapidement en un « couloir empesté ». J’ignore la date d’installation de la première porte, mais on sait qu’en 1768 elle fut remplacée suite à une procédure opposant les propriétaires des deux hôtels de chaque côté de l’impasse pour que » le public ne transforme pas l’impasse en sentine ».
Ces rues sont loin d’être les seules à avoir une bien faible largeur dans le centre ancien mais comme dit plus haut, j’ai cherché celles qui étaient les plus étroites.
Plusieurs autres ruelles très étroites existaient aussi dans le quartier qui entourait l’ancien Palais Comtal jusqu’à la fin du XVIIIe siècle mais ces dernières ainsi que le Palais disparurent lors de grands travaux à la suite desquels furent bâtis les anciennes prisons et l’actuel Palais de Justice (voir cet article).
Bien que l’on dise souvent que la curiosité est un vilain défaut, n’hésitez pas à en faire preuve en allant vous perdre au cœur de certaines de ces ruelles, afin de mieux découvrir sur place et par vous même l’ambiance qui y règne si ça n’est pas déjà fait.
– Sources:
Roux Alphéran – Les Rues d’Aix (1846-1848)
Marcel Provence – Le Cours Mirabeau
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