Note: Avant toute chose, il est bon de préciser que bien qu’ils aient été rapportés par divers auteurs, ces faits n’ont jamais pu réellement être prouvés. Il faut donc garder beaucoup de recul quand à la véracité des événements. En revanche, les parties où est évoquée l’histoire de la rue et et l’état de la ville à l’époque, sont avérées.
A la racine de cette l’histoire :
La sombre anecdote (ou légende) qui va vous être contée aujourd’hui, nous a été rapportée par plusieurs auteurs.
La source la plus ancienne est Jehan de Bourdigné en 1529 dans son ouvrage « Histoire agrégative des annales et chroniques d’Anjou et du Maine ».
[feuillet CLXXI – consultable en ligne]
Au XVIIe siècle c’est l’auteur local Jean Scholastique Pitton en 1666 dans son « Histoire de la ville d’Aix, capitale de la Provence ».
[page 240 – consultable en ligne]
Au XVIIIe siècle, c’est encore un local, Pierre-Joseph de Haitze, qui nous en ressert un verre dans son « Histoire d’Aix » (livre V, paragraphe 42).
Puis, au XIXe siècle, l’histoire refait à nouveau surface avec l’auteur aixois Ambroise Roux-Alphéran dans le premier tome de son ouvrage « Les Rues d’Aix » paru en 1846-1848.
A mon tour donc…
Les lieux, d’un point de vue historique.
Ces faits se sont déroulés dans l’actuelle rue du Bon-Pasteur, au nord du centre ancien, tout près de là où elle débouche sur la rue Gaston de Saporta, à deux pas de la cathédrale Saint-Sauveur.
Nous allons donc remonter le temps, jusqu’en l’an 1476, période où se sont déroulés les faits. A cette époque, la ville était bien moins étendue que de nos jours cette partie de la ville est par ailleurs très ancienne puisqu’elle était déjà intégrée dans le périmètre de la ville antique (voir les cartes des évolutions d’Aix).
Au XVe siècle, la rue du Bon-Pasteur portait le nom de « rue du Puits-Chaud » dans sa partie haute. On lui donna ce nom en raison d’un puits alimenté par les eaux thermales qui se trouvait dans cette rue.
Elle prit le nom de « Bon-Pasteur » au XVIIe siècle lorsque dans sa partie inférieure (qui va du croisement de la rue Venel jusqu’au thermes et qui s’appelait alors la rue des Trabaux) fut établit une maison hospitalière pour femmes repenties que l’on nommait « Les filles repenties » ou encore « Les filles du Bon-Pasteur ». Cet établissement qui perdura jusqu’à la fin du XVIIIe siècle se situait précisément sur les terrains situés à l’angle entre la rue du Bon-Pasteur et la rue du Cancel.
Pour mieux comprendre, rien de mieux que le plan ci-dessous :
Les faits :
Plantons le décor, nous voici dans la partie supérieure de la rue du Bon-Pasteur ou plutôt « rue du Puits-chaud » à l’époque.
C’est en ce lieu que se serait déroulée l’execution du dénommé Léon Asturg vers 1476.
Léon Asturg était juif, et le malheureux fut accusé d’avoir proféré des « blasphèmes injurieux contre la Saint-Vierge ». Le roi René qui en fut informé, le fit mettre en prison et chargea des docteurs en théologie de le catéchiser.
Mais Asturg, inébranlable, continua de blasphémer. Au vu de son comportement, le roi René le fit juger. Le malheureux fut alors condamné à: « estre despouillé tout nud sur ung eschaffault dressé au droit de sa maison, et là estre escorché tout vif ».
La communauté juive d’Aix qui en fut informée, prit alors la décision de réunir la somme de 20000 florins afin de faire pardonner Léon Asturg, et ainsi le voir libéré.
Une douzaine d’entre eux se rendit donc auprès du roi afin de lui proposer le « marché ». Mais le roi n’apprécia absolument pas que l’on demande le pardon pour un blasphème, et en raison de cette insolente proposition, il doubla la sentence : désormais, non seulement Asturg devait être exécuté, mais par les siens.
En effet, exécuté par ceux qui étaient venus l’aider. C’est qu’à l’époque, il y des choses avec lesquelles on ne marchandait pas et la religion était bien placée dans le classement.
Notre douzaine de bonshommes, ne s’attendant absolument pas à une telle réaction du roi modifièrent alors leur proposition par une autre, plutôt étonnante mais habile pour eux : désormais les 20000 florins ne serviraient plus à gracier leur ami, mais à les dispenser de l’exécuter. Etrangement, le roi accepta la proposition et empocha l’argent.
Au final, Léon Asturg fut donc exécuté, mais par des hommes masqués.
L’histoire aurait pu s’arréter là mais un auteur du XVIIIe siècle, que je n’ai pas cité en début d’article a mentionné un détail lié à cette affaire. Pierre-Joseph de Haitze (1656-1737), a indiqué dans l’un de ses ouvrages qu’afin de perpétuer le souvenir de cette exécution, une colonne aurait été dressée sur les lieux même des faits.
Roux-Alphéran, rapporte de son côté que vers la fin du XVIIIe siècle, on pouvait effectivement encore voir les restes d’une colonne contre le mur de l’ancienne église de l’oratoire qui formait l’angle entre la la rue des guerriers et la rue du Puits-Chaud.
Le plan ci-dessous indique, en vert, l’ancien emplacement de l’ancienne église de l’oratoire. La croix rouge indique l’emplacement des vestiges de colonne (selon ceux indiqués par Roux-Alpheran) :
Seulement voila, cette église, détruite en 1799 a été bâtie en 1638, soit bien après l’execution de Léon Asturg. De plus Alpheran ajoute que De Haitze aurait très bien pu se tromper quand à l’origine de la colonne.
Une colonne dont il ne reste absolument rien de nos jours.
Légende ou pas ?
Cette histoire n’est donc visiblement pas prouvée, mais en y regardant de plus près, certains détails peuvent nous amener à penser le contraire (ou pas). En effet, au vu de l’époque et des tensions religieuses qui y existaient, un tel fait accompagné d’une telle sentence est tout à fait probable.
On peut aussi indiquer le faible écart entre la date des faits (1476) et le livre de Jehan de Bourdigné en 1529 soit seulement 53 ans après avec les faits. L’auteur aurait-il pu être au courant des faits par des témoins de l’execution ?
Les versions de Pitton (en 1666) et Roux-Alpheran (en 1846) n’apportent rien à celle de Jehan de Bourdigné (en 1529). Seule celle de Pierre-Joseph de Haitze (au XVIIIe siècle) diffère avec l’ajout de la fameuse colonne dans son histoire.
Quoi qu’il en soit, et c’est typique de ce genre d’histoires traversant les siècles et les auteurs, la version originale est peut-être moins fidèle à celle qu’on en a faite. A noter que cette histoire pourrait aussi tout simplement ne jamais avoir eu lieu et n’être que pure invention.
Libre à chacun(e) de se faire sa propre idée, et c’est ainsi que plus de 500 plus tard, le mystère demeure et demeurera sans doute encore longtemps.
– Sources :
Jehan de Bourdigné : « Histoire agrégative des annales et chroniques d’Anjou et du Maine » – 1529 – [feuillet CLXXI – consultable en ligne]
Jean Scholastique Pitton : « Histoire de la ville d’Aix, capitale de la Provence » – 1666 – [page 240 – consultable en ligne]
Ambroise Roux-Alpheran : « Les rues d’Aix » – 1846-1848 – (Tome 1 – Chap. : « Partie supérieure de la rue du Bon Pasteur »)
Les versions de l’histoire en textes :
1 – La version de Jehan de Bourdigné en 1529 dans « Histoire agrégative des annales et chroniques d’Anjou et du Maine » – Feuillet CLXI et les quatre suivants :
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