Dans un article précédent, j’avais abordé les anciennes portes fortifiées d’Aix qui avaient été détruites au XIXe siècle (modélisations visibles ici et replacement là où elles se trouvaient visible ici). Si ces portes ont bien entouré la ville, elles ne furent pas les premières. Bien d’autres ont existées avant elles, étant à chaque fois détruites et reconstruites à chaque agrandissement de la ville, suivant la ligne de remparts alors modifiée.
– – –
La « première » porte Saint-Jean :
Avant d’aller plus loin, je précise ici que je vais parler de la « première » porte Saint-Jean.
Pourquoi la « première » ? Je m’explique : J’avais recréée l’ancienne porte d’Italie, aussi nommée porte Saint-Jean. Située au débouché sud de l’actuelle rue d’Italie, elle remontait à l’agrandissement d’Aix au XVIIe siècle lors de la création du quartier Mazarin. Mais cette porte Saint-Jean n’était pas la première. Elle était en réalité la « seconde », une sorte de « descendante » d’une autre qui portait le même nom mais qui se trouvait anciennement plus au nord. Car, ne l’oublions pas, il y a eu un « avant » quartier Mazarin.
Cet article sera donc l’occasion de découvrir cette ancienne « première » porte Saint-Jean, qui n’est donc pas la même que celle que j’avais abordé par le passé sur le site. Celle de cet article étant plus ancienne d’environ deux siècles.
– – –
Dans un premier temps, nous observerons les lieux sur des plans anciens, puis dans un second temps nous observerons les lieux sur des représentations en trois dimensions que j’ai modélisé :
– Localisons le secteur qui va nous intéresser dans cet article :
1 – Remontons le temps avant la création du quartier Mazarin avec des plans anciens :
Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, la ville était bien plus réduite. Ses remparts sud ne s’étendaient alors pas au delà de l’actuelle ligne nord du cours Mirabeau, qui d’ailleurs n’existait pas encore, la zone qu’il occupe n’étant alors encore formée que par des fossés.
Et c’est à l’emplacement formé par le débouché sud de l’actuelle rue Thiers et du pâté de maison qui l’entoure que se trouvait l’ancienne (première) porte Saint-Jean.
Sa construction remonterait aux alentours du XVe siècle mais sa configuration, dans son dernier état, remonte à la seconde moitié du XVIe siècle, lorsque le rempart fut étendu vers l’est lors de la création du quartier Villeneuve (quartier qui comprend entre autre les rues de Lacépède, la place Miollis, la Mule-Noire, Emeric David, etc…). Cependant, bien que le rempart ait été étendu, la porte n’a pas été déplacée pour autant.
– Les lieux à l’époque, décrits sur une vue actuelle :
La vue ci-dessous nous indique où passait le rempart et où se trouvait la porte jusqu’à la moitié du XVIIe siècle au sud de la ville.
1 – Il longeait la rive nord de l’actuel cours Mirabeau ;
2 – Puis venait rejoindre l’ancienne porte Saint-Jean qui était légèrement décalée par rapport au débouché sud de la petite rue Saint-Jean ;
3 – Passé la porte fortifiée, il fléchissait légèrement vers le sud-est puis repartait vers l’est ;
4 – Longeant le sud du quartier Villeneuve, il rejoignait l’actuelle place Miollis (ancienne Plate-Forme) puis repartait vers le nord (non visible sur la photo).
Bien qu’en dehors des murs de la ville, la zone au sud n’était pas déserte, on y trouvait notamment des artisans, des auberges comme « Le Logis Saint-Eloi », une chapelle nommée « Notre-Dame des Anges » (détruite vers 1750), sans oublier l’église Saint-Jean de Malte qui fut bâtie à partir du XIIIe siècle.
Les lieux à l’époque, décrits sur une vue ancienne :
Gardons exactement le même angle et les mêmes couleurs que la vue ci-dessus, mais avec un plan daté du début du XVIIe siècle (vers 1620). Malgré les époques, on arrive à se repérer. Nous y retrouvons notre rempart bordé par un fossé, la porte fortifiée et une partie des rues au nord qui sont toujours d’actualité. La partie sud en revanche a beaucoup changé :
La porte Saint-Jean et ses abords au XVIIe siècle :
Zoomons sur ce plan pour observer les lieux d’encore plus près :
Voyons maintenant en détails, ci-dessous, ces lieux car certains éléments doivent être mis en évidence :
– En rouge : la porte Saint-Jean ;
– En jaune : le rempart ;
– En marron longeant le sud du rempart : les fossés ;
– En vert : le moulin possédé par les Margalets depuis 1573 (2) ;
– En bleu : l’écluse qui amenait l’eau vers le moulin (2) ;
– En orange : une fontaine ;
– En mauve : le terrain occupé à partir de 1635 par les religieux Carmélites (3).
– – –
Le moulin de la porte Saint-Jean :
Comme aperçu plus haut, un moulin à eau existait à la gauche de la porte Saint-Jean, juste à l’extérieur de la ville. Il avait pour rôle de moudre le blé, pour en faire de la farine destinée aux boulangers d’Aix. Remontant au moins à la fin du XVIe siècle, le moulin était la propriété de la famille Margalet depuis 1573 (4).
Pour alimenter le moulin en eau, une canalisation avait été aménagée sous plusieurs rues à l’est afin d’acheminer de l’eau d’un ruisseau souterrain vers le bâtiment (5). La canalisation se trouvait à l’air libre arrivée au niveau du devant de la porte Saint-Jean, créant une sorte de petit cours d’eau face à l’entrée sud-est de la ville d’alors.
Le pont Moreau :
Le canal du moulin passant face à la porte, un pont l’enjambait afin de le franchir et rejoindre la ville. Ce pont n’est pas vraiment visible sur l’illustration ci-dessus. Ce dernier était nommé « pont Moreau », une appellation qui proviendrait de la transformation du nom de la famille « Maurel », qui en avaient financés les travaux de reconstruction (6).
Retrouver l’emplacement exact qu’il occupait n’est, à mon sens, pas facile, car la configuration des lieux change sensiblement d’une illustration à l’autre. Et quand on connait la précision des plans à l’époque, ça aide encore moins…
Dans les deux cas illustrés ci-dessus, qui datent du XVIIe siècle (donc la même période), le pont qui devrait enjamber l’écluse et rejoindre la porte Saint-Jean n’est pas explicitement visible (je suis myope mais pas aveugle).
Il reste cependant un plan très intéressant et plus précis, visible ci-dessous.
Il fut réalisé en janvier 1648 par Jean Lombard, lors de l’agrandissement projeté au XVIIe siècle qui a vu naître le quartier Mazarin. Ce plan semble laisser supposer que le pont ne se trouvait pas dans l’alignement exact de la porte mais à sa gauche, à proximité du moulin. Certes, un pont enjambant l’écluse est bien représenté sur le plan qui va suivre mais il est indiqué comme faisant partie des modifications d’alignements projetés; il ne serait donc pas celui que l’on recherche ici. Celui visible étant là, mais seulement représenté à l’état de projet, donc pas encore existant.
– En rouge : la porte Saint-Jean ;
– En jaune : le rempart ;
– En marron longeant le sud du rempart : les fossés ;
– En vert : le moulin ;
– En bleu : l’écluse qui amenait l’eau vers le moulin ;
– En orange : une fontaine ;
– En mauve : le terrain occupé depuis 1635 par les religieux Carmélites ;
– En noir : les alignements et modifications projetés en vue de la création du quartier Mazarin (vous noterez que le pont présent fait partie de ces alignements projetés).
Au vu de ce plan, et selon moi, le pont Moreau ne pouvait, par déduction, que se trouver à la droite du moulin, passant alors entre le moulin et l’écluse et n’étant donc pas encore dans un quelconque alignement :
Je peux me tromper, mais c’est ce qu’il me semble de plus logique au vu des éléments en ma possession (voir mes explications détaillées dans la seconde partie de cet article).
En superposant ce plan à une vue actuelle, on constate que si le tracé du rempart suivait la ligne de l’actuelle rue Tournefort, il n’en était pas de même partout.
En effet, il semble qu’il ne suivait pas le tracé exact de l’actuelle rue de la Mule-Noire, étant séparé parallèlement d’elle de quelques mètres vers le sud-ouest puis vers le sud. Quant à la porte Saint-Jean, elle non plus n’était alignée avec aucune rue.
Le nouveau projet d’alignement, lié à la création du quartier Mazarin, consistait justement (d’où son nom !) à aligner les constructions et les routes en prolongeant notamment l’actuelle rue Thiers vers le sud, dans l’alignement de l’actuelle rue d’Italie.
La disparition de la première porte Saint-Jean et la construction de la nouvelle, plus au sud :
Suite au projet d’agrandissement de la ville qui a nécessité divers alignements, la porte Saint-Jean, première du nom, fut détruite et reconstruite 300 mètres plus au sud-est, le long de la nouvelle ligne de remparts, au niveau du débouché sud de l’actuelle rue d’Italie :
La seconde porte Saint-Jean que j’avais modélisée à partir de gravures anciennes :
Pour en revenir aux modifications qu’a connu la première porte Saint-Jean et ses abords, on peut supposer que l’écluse a probablement été remaniée elle aussi, devenant alors complètement souterraine (supposition de ma part car elle n’est plus visible sur les plans postérieurs à la seconde moitié du XVIIe siècle).
La disparition du moulin :
Au début du XVIIIe siècle, le terrain où se trouvait le moulin fut acheté par Henri Gautier. Il y construisit une partie de sa maison puis en 1726, demanda l’autorisation de détruire le moulin afin d’agrandir sa demeure. Le moulin disparu alors, pour laisser place à l’hôtel Gautier du Poët (ou juste du Poët), qui se dresse toujours à l’est du cours Mirabeau (7). Cet hôtel fut inscrit aux Monuments Historiques par un arrêté en date du 3 novembre 1987 (8).
2 – La recréation de la (première) porte Saint-Jean en 3D :
Malgré mes quelques doutes sur l’emplacement du pont Moreau, qui pourraient quelque peu fausser mon résultat, je me suis basé sur les plans d’époques ci-dessus (de Maretz et Lombard) pour tenter de recréer cette première porte Saint-Jean et ses abord en trois dimensions. Le tout a été réalisé avec le logiciel Sketchup et beaucoup de patience.
Je rappelle donc encore une fois que le résultat ci-dessous n’est qu’une TENTATIVE DE RECONSTITUTION de la porte Saint-Jean et ses abords, tels qu’ils étaient vers 1620-1640.
Je suis parfaitement conscient que certains éléments ont forcément pu différer : architecture de la porte fortifiée ?, remparts crénelés et leurs proportions ?, couleurs des murs ?, emplacement de ce satané pont Moreau ?, largeur de l’écluse et des fossés ? etc…
Mais j’ai fait ce que j’ai pu avec ce que j’avais et des documents d’un autre temps. Ce travail nous donnera malgré tout une idée plus précise que de simples plans en 2D à propos de la configuration des lieux dans la première moitié du XVIIe siècle.
– – –
Les lieux recréés en 3D observés sous plusieurs angles :
Vu de dessus, et comme sur les plans observés précédemment, on retrouve la porte, les remparts et les fossés qui les bordent au sud. On observe aussi l’écluse et le moulin ainsi que la fontaine :
La vue ci-dessus superposée à une vue actuelle pour situer le tout :
La vue ci-dessous, vers le nord-ouest, nous permet d’observer en perspective les lieux.
– En bas de l’image (près des maisons) se trouve le début de l’actuelle rue d’Italie, tandis que la zone à gauche (ancien monastère et jardin des Carmélites) est formée de nos jours par le haut du cours Mirabeau et l’église des Oblats.
La vue ci-dessous est orientée vers le nord. La ville est dans la partie supérieure de l’image, au delà des remparts. Sur la gauche on retrouve la fontaine, puis le moulin et l’écluse.
– Passé le petit canal, on distingue deux petits bâtiments (l’un à droite du moulin, l’autre plus loin à droite de la porte fortifiée) ces deux constructions étaient des corps de garde.
La vue si dessous, elle aussi en perspective, montre les lieux vers le nord-est.
– A l’extrême droite de l’image, on observe le débuts de deux chemins qui forment les actuelles rues de l’Opéra et Joffre.
La vue ci-dessous, orientée vers l’est nous montre la ligne de rempart, coupée par la porte. La ville est sur la gauche de l’image.
– On y distingue les fossés au pieds des remparts. L’écluse et le moulin sont aussi visibles
– La zone à la droite de l’image est aujourd’hui occupée par l’actuelle place Forbin.
La vue ci-dessous, prise vers le sud, nous montre la porte Saint-Jean vue depuis l’intérieur de la ville. Les remparts sont visibles au centre de l’image, de part et d’autre de la porte.
– A droite de la porte fortifiée, adossé au rempart, on observe un petit bâtiment que j’ai représenté avec un toit anguleux. C’était une auberge nommée « Le Logis des Trois Perdrix ».
La vue ci-dessous, orientée vers l’ouest nous montre la ligne de rempart, coupée par la porte. La ville est sur la droite de l’image.
– On y distingue les fossés au pieds des remparts. L’écluse et le moulin sont aussi visibles.
– En bas de l’image, sur la gauche, le long du fossé, on observe un chemin qui deviendra la rue de l’Opera.
– Tandis que le long du rempart en bas, coté ville, on peut observer ce qui deviendra la rue de la Mule Noire.
Voici la vue approximative qu’un voyageur devait observer en arrivant à Aix dans la première moitié du XVIIe siècle par la zone formant de nos jours le débouché nord de l’actuelle rue d’Italie :
Voici la vue approximative qu’un voyageur devait observer en arrivant à Aix au début du XVIIe siècle par l’emplacement formant de nos jours le haut du cours Mirabeau (qui n’existait pas encore). On observe la fontaine de dos au premier plan, le moulin à gauche et la porte Saint-Jean au fond entourée par les remparts :
– – –
L’emplacement du pont Moreau sur ma modélisation – explication :
Comme dit précédemment, définir l’emplacement précis de ce pont m’a causé bien des soucis. Car selon là où il se serait trouvé, il pourrait fausser mon travail si je ne l’avais pas replacé au bon endroit.
Cependant, et après avoir bien observé le plan de Maretz représentant les lieux vers 1620, j’ai remarqué des détails qui me poussent à opter pour le fait qu’il se soit situé à proximité du moulin.
En effet, observons ce plan ci-dessous, mis à côté de la modélisation. On remarque qu’aux abords directs de la porte Saint-Jean, avant le canal, se trouvaient de chaque côté, deux murs fermés par une porte ou une grille (représentés en rouge). Et c’est seulement une fois franchi ces limites que l’on pouvait, par exemple, accéder au moulin. Et donc pourquoi pas à la porte ? :
Par conséquent (et toujours selon moi) le pont n’aurait pu se trouver que dans ce périmètre, entre ces deux murs. Le cheminement serait logique, toujours selon moi :
1 – franchir l’un de ces murs ;
2 – puis passer sur le pont qui enjambe le canal du moulin (pont en jaune sur les illustrations ci-dessus) ;
3 – et enfin passer devant les deux corps de garde installés juste après pour accéder à la porte Saint-Jean.
Ce pont aurait pu se trouver pile dans l’alignement de la porte, quelques mètres à l’est de là où je l’ai placé, mais alors, à quoi bon avoir des murs fermés chacun par une grille ou une porte si c’est pour avoir un pont qui permettrait de les éviter en contournant le tout ? C’est mon idée, j’ai peut-être faux mais ça me paraît logique. J’aurais aimé un témoin visuel mais plus un seul n’est en vie. Les joies de s’intéresser à des sujets un peu trop lointains…
Tant pis. Je reste sur cette idée pour le moment. Je suis preneur d’infos complémentaires mais à conditions qu’elles soient sourcées.
Pour finir :
De nos jours, il ne reste plus rien de cette première porte Saint-Jean et des remparts qui l’entouraient, tous disparus suite à l’agrandissement d’Aix survenu à la moitié du XVIIe siècle. Plus rien ? Ou pas.
En effet, bien qu’il ne reste rien des construction en elles mêmes, il faut admettre que ces fortifications ont en quelque sorte laissé leur empreinte dans la configuration du bâti actuel.
Pour preuve :
– Le tracé de l’actuelle rue de la Mule-Noire reprend, à quelques mètres près, le tracé de la courbure de l’ancien rempart.
– L’îlot bâti qui se trouve en haut du cours Mirabeau, et celui entre la rue Thiers et la rue de la Mule Noire ne sont que le résultat de l’occupation des lieux, autrefois, par la porte fortifiée, le moulin, et la courbure que formait le rempart.
L’illustration ci-dessous résume le fond de ma pensée quant la la persistance de « l’empreinte » de cette porte dans les lieux actuels.
– En jaune : les limites du bâti actuel ;
– En surimpression : la configuration du bâti des lieux au début du XVIIe siècle ;
– Ecrits en blanc : les noms des lieux actuels ;
– Ecrits en noir : les nom des lieux qui existaient là au XVIIe siècle.
Voila pour ce que je pouvais dire et faire à propos de cette ancienne porte. Je rappelle que des inexactitudes ont pu se glisser ça et là bien que j’ai essayé d’être le plus précis possible en fonction de ce que j’avais.
Sources :
(1) Plan d’Aix par Jacques Maretz (vers 1620) : B.N.F. / Gallica
(2) Ambroise Roux Alpheran – « Les Rues d’Aix » – 1846-1848- pages 227-228 sur l’édition de 1985
(3) Jean Boyer – Architecture et urbanisme à Aix-en-Provence aux XVIIe et XVIIIe siècles – Du cours à carrosses au cours Mirabeau – 2004 – (page 69)
(4) Marcel Provence « Le cours Mirabeau » – 1953 – page 227 de la réédition de 1976
(5) Robert Ambard – « Aix Romaine » – 1984 – page 75
(6) Ambroise Roux Alpheran : Ibid.
(7) Jean Boyer : Ibid. Page 88
(8) Inscription aux Monuments Historiques de l’hôtel du Poët