– Article mis partiellement à jour le 18 décembre 2020 pour le retour du monument à Victor Leydet.
Le sujet du jour : la place Jeanne d’Arc, située à quelques mètres de la place de la Rotonde.
Nous verrons que les lieux ont beaucoup changé dans la seconde moitié du XIXe siècle. Nous aurons aussi l’occasion de revenir sur ce qui s’y trouvait autrefois, ainsi que sur l’évolution de la place jusqu’à nos jours.
Au commencement :
Intéressons nous au quartier Villeverte, qui fut créé au tout début du XVIIe siècle. Ce quartier créé à partir de 1605 est délimité par plusieurs rues : la rue d’Entrecasteaux au nord, la rue de la Couronne à l’est, la place de la Rotonde au sud, et le cours Sextius à l’ouest.
La zone qui nous intéresse aujourd’hui est la partie sud de ce quartier, autrefois bordée par le rempart qui séparait alors la ville de ce qui forme l’actuelle place de la Rotonde.
Le plus simple est de se référer au cadastre de 1828 en le comparant à une vue actuelle :
On y voit que le rempart (en noir sur le plan cadastral) passait sous la ligne sud des maison de l’actuelle rue Leydet. On remarque que la présence de ce rempart avait aussi eu pour conséquence de créer une ruelle aujourd’hui disparue : la lice-Villeverte. Au passage, ce nom de Villeverte, vient du fait que ce quartier a été bâti sur des prairies.
Un problème de niveau :
A la fin du XVIIIe siècle, la place de la Rotonde fait son apparition (sans la fontaine dans un premier temps) et la route formant l’actuelle avenue Bonaparte est retracée. Seulement voila, avec tous ces travaux, beaucoup de remblayage a été effectué.
Du fait de ces opération de remblayage, la partie située juste au sud du rempart avait une particularité : le niveau de son sol y était beaucoup plus bas que celui de la route et de la place de la Rotonde nouvellement créées qui l’encerclaient, leur sol ayant été rehaussé.
Voyez sur la vue ci-dessous la zone en question mise en évidence :
Si cette zone triangulaire encadrée en rouge sur mon illustration avait son niveau plus bas que de nos jours, c’est que cette partie était un reste des anciens fossés entourant les remparts de la ville (1). A cette époque, la majorité de ces fossés avaient été comblés à Aix pour la création des boulevards, excepté cette petite zone qui fut une des dernières (voire la dernière ?) à avoir été mise à niveau avec ce qui l’entourait.
Avant d’aller plus loin, ouvrons une parenthèse sur ce qui se trouvait là :
Un lavoir :
Cette zone abritait non seulement des constructions, adossées au remparts, mais aussi un lavoir qui perdura jusqu’au XIXe siècle. Ce lavoir est aussi visible au n°238 sur le plan cadastral au début de cet article. Il est aussi visible sur le plan cadastral original de cette parcelle en cliquant ici (deux bassins rectangulaires près des remparts vers le bas de la feuille). Sa fonction de lavoir est indiquée dans le détail du cadastre consultable en cliquant ici.
Ce « lavoir des Banos », car c’est ainsi qu’il était nommé, était alimenté par l’eau provenant du trop-plein de la fontaine des Augustins (1) située une centaine de mètres plus loin.
Cela pourrait paraître étonnant de trouver un lavoir à cet endroit. Mais ce serait trop vite oublier que jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle, une bonne partie de la ville était encore entourée de remparts, ce lavoir se trouvant alors à l’extérieur des murs de la cité, hors la porte des Augustins.
Pour y voir plus clair, voici, ci-dessous, un plan représentant les limites des lieux vers 1850, à partir d’une photo actuelle :
Vers 1840, le lavoir alors jusqu’ici ouvert à tous les vents, fut recouvert d’un hangar. (1)
1849 : Le lavoir sans eau, une question de breuvage !
Le matin du lundi 19 octobre 1849 (2), le fermier du lavoir accompagné de quelques dames arrivèrent sur place pour laver leur linge…
Seulement voila, pas d’eau ! Notre cher fermier mena alors l’enquête afin de savoir où avait bien pu passer le liquide. Il toucha au but dans ses recherches mais la raison de l’absence de l’eau avait de quoi le laisser sans voix, de par la raison très… particulière !
En effet, comme indiqué en début d’article, ce lavoir était alimenté par le déversoir de la fontaine des Augustins, située non loin de là. Or, pendant la nuit, un fabriquant de piquette avait épuisé à plusieurs reprises le bassin de la fontaine afin de produire de grandes quantité de son breuvage !
Résultat : Plus d’eau dans le bassin de la fontaine des Augustins, donc plus d’eau pour le lavoir des Banos !
La mise à niveau de la zone et la disparition du lavoir :
C’est un décret daté du 23 juin 1859 (3) qui a tout changé. Ce décret indiquait (entre autre) que :
…l’agrandissement de la place dite Grande-Rotonde, au moyen de l’occupation des immeubles situés entre la rue Lice-Villeverte et cette place, et dont l’emplacement ainsi que celui du rempart à démolir, seront réunis à son sol…
La Provence du 15 septembre 1859 (3)
L’idée était donc d’agrandir la place de la Rotonde en détruisant le rempart et les constructions accolées à ce dernier. Et aussi en mettant les sols au même niveau.
Les grands travaux (et la fin du lavoir) arrivèrent quelques mois plus tard, en octobre 1859 (4) :
…le lavoir dit des Banos disparaît aussi sous le marteau pour que le vaste terrain en contrebas de la route impériale 96 (ndlr : l’actuelle av. Bonaparte – plus d’info ici) et de la lice Villeverte puisse être comblé.
Le Mémorial d’Aix du 2 octobre 1859 (4)
Adieu rempart et constructions qui y étaient adossées, adieu lavoir des Banos. Dites désormais bonjour au sol plat !
Le lavoir disparu, le trop plein de la fontaine des Augustins avec lequel il était alimenté n’est pas resté sans utilité pour autant, car l’eau fut désormais utilisée par la gare ouverte en 1856 en contrebas de la place de la Rotonde (1).
1862 – On plante !
Une fois le rempart détruit et le terrain remblayé, ainsi mis à niveau avec la place de la Rotonde et la route impériale 96 (tracé de l’actuelle avenue Bonaparte – plus d’info ici), il a été décidé lors de la séance du conseil municipal du 14 janvier 1862 (5) que cette nouvelle place serait plantée de marronniers disposés en quinconce.
1880 – Un kiosque à musique apparaît :
Dès 1874 (6), il est demandé par la Musique Militaire la construction d’une estrade où les musiciens pourraient jouer avec une bonne acoustique mais le lieu pour l’accueillir reste une question, en plus de celle du coût.
En début d’année 1879 (7), les choses se précisent car on apprend que la ville a pensé à cette place peuplée de marronniers pour évoquer, non plus la construction d’une estrade, mais un kiosque pour un coût de 5000 à 6000 francs de l’époque.
Il faudra attendre le dimanche 28 novembre 1880 (8) pour voir l’inauguration du kiosque par les musiciens.
Le 4 janvier 1881, la ville prit d’ailleurs un arrêté interdisant la circulation sur la route (l’actuelle avenue Bonaparte) passant à proximité du kiosque lorsque la musique jouait en raison de la forte foule qui s’y réunissait (9).
1894 – La place des Marronniers devient la place Jeanne d’Arc :
Nommée à l’origine « Quinconce des Marronniers » ou « Promenade des Marronniers » ou encore « Place des Marronniers » (en raison de ces arbres qui l’ornaient), il fut décidé lors du conseil municipal du 9 mai 1894 que la place porterai désormais un nom plus officiel : celui de « Place Jeanne d’Arc » (10).
Entre la fin des années 40 et le début des années 50, le kiosque à musique disparaît. La place devient alors peu à peu un parking :
A la fin des années 50, un square orné d’un bassin est créé, réduisant la place du parking. Cette configuration square-parking restera en place jusqu’entre la fin des années 80 voire le tout début des années 90 :
Dans les années 90, après la disparition du square, les lieux retrouvèrent leur fonction de parking.
Depuis des travaux de requalification de la place en 2012, la place Jeanne d’Arc s’est vue recouverte d’un nouveau revêtement et est redevenue piétonne.
Comparons ci-dessous l’état de la place avant et après ces travaux de requalification :
Une place et ses monuments :
En plus du kiosque à musique, la place Jeanne d’Arc a accueilli des monuments.
Le monument dédié à Victor Leydet (article détaillé) :
Le monument à Victor Leydet été inauguré aux abords de la place de la Rotonde le 18 décembre 1910 (11) :
Pour la petite histoire, la sculpture et le buste en bronze qui l’ornaient ont été fondus durant la seconde guerre mondiale. Si le buste a été remplacé par un autre en marbre, dans les années 50, provenant du caveau de la famille Leydet (et plus petit que l’original), ce ne fut pas le cas pour la sculpture féminine qui ne resta qu’un souvenir.
Puis, en 1979, le monument dédié à Victor Leydet a été déplacé sur la place Jeanne d’Arc.
En 2012, au début des travaux de requalification de la place de la Rotonde, ce monument fut enlevé des lieux (12). Le but actuel fut de réinstaller un buste identique àqui fut sculpté à l’origine.
Grace au moule original par Auguste Carli, qui existe toujours dans les réserves du musée Granet, un nouveau buste en bronze a pu être réalisé.
Son inauguration, ou plutôt son retour sur la place Jeanne d’Arc a eu lieu le 18 décembre 2020, une date qui ne doit rien au hasard, car cela fera 110 ans jour pour jour depuis son inauguration originale (source : Aix Le Mag n°39 nov-dec 2020, page 8)
– Le voici ci-dessous, de retour sur la place jeanne d’Arc, le 18 décembre 2020 :
Le monument au morts :
Inauguré sur la place le 11 novembre 2013, cette fontaine est l’œuvre du sculpteur Jean Lamore.
Selon son auteur : « …Ce monument sort des cadres habituels classiques. J’ai voulu offrir quelque chose de différent. Aix est une ville piétonne par excellence, j’ai souhaité que cette oeuvre interpelle les passants, et pas que lors des dates commémoratives. C’est une lionne, plutôt qu’un lion. Des lions, il y en a déjà beaucoup à Aix… c’est le symbole de la protection. Notamment de la mémoire, avec ce gisant à la place du cœur… » (13)
Et maintenant ?
Nous sommes partis d’anciens fossés au bord des remparts et d’un lavoir pour arriver à notre époque avec cette place Jeanne d’Arc.
Parler du passé n’est pas trop difficile, quand on sait où chercher et surtout, quand on trouve des sources (voyez à la fin de cet article, j’en ai utilisé beaucoup pour le rédiger et ainsi retracer les faits qui ont amené à sa création).
En revanche pour son avenir, on peut chercher partout, rien ne nous l’apprendra et je n’ai pas de dons de voyance. Par conséquent, il ne nous reste plus qu’à laisser faire le temps et voir comment cette place évoluera.
Sources :
(*) Avis sur l’arrentement du lavoir des Banos, appartenant à la commune situé hors la porte des Augustins / Mairie d’Aix – Affiche conservée à la bibliothèque Méjanes – cote : Aff. 1843.08.19, 1
(1) Le Mémorial d’Aix du 4 octobre 1874 (pages 2 à 3) – cote JX0042
(2) La Provence du 22 octobre 1849 (page 2 – 3ème colonne) – cote JX012
(3) La Provence du 15 septembre 1859 (page 2 – 1ère colonne) – cote JX012
(**) Vue du cadastre napoléonien dréssé en 1828 – © Archives Municipales d’Aix-en-Provence (feuilles L2 et L6)
(4) Le Mémorial d’Aix du 2 octobre 1859 (page 2 – 2nde colonne) – cote JX0042
(5) Le Mémorial d’Aix du 19 janvier 1862 (page 2 – 4ème colonne) – cote JX0042
(6) La Provence du 10 mai 1874 (page 3, 1ère colonne) – cote JX013
(7) La Provence du 23 février 1879 (page 3 – 1ère colonne) cote JX013
(8) La Provence du 5 décembre 1880 (page 2 – 2nde colonne) cote JX013
(***) Vue du kiosque et de la place plantée de marronniers sur un plan de 1897 – Makaire – © Galica/BNF
(9) Arrêté : [interdiction de circuler sur la route longeant la place des marronniers, pendant que la musique militaire joue] / Ville d’Aix / 4 janvier 1881 – Affiche conservé à la bibliothèque Méjanes – cote : Aff. 1881.01.04
(10) Le Mémorial d’Aix du 13 mai 1894 (page 2 – 3ème colonne) cote JX0042
(11) Le Mémorial d’Aix du 18 décembre 1910 (page 2 – 3ème colonne) cote jx0042 et Le Mémorial d’Aix du 22 décembre 1910 (page 2 – 2ème colonne)
(****) Aix en Provence. Monument Victor Leydet : [carte postale] – Carte postale conservée à la bibliothèque Méjanes – cote : PHO. CPA. AIX. 006
(12) Mais où est passé le monument à Victor Leydet : acantari.overblog.com
(*****) [Monument Victor Leydet] : [photographie] / James D. Basey – Carte postale conservée à la bibliothèque Méjanes – cote : PHO. BAS. 25
(13) La Provence (web) – Article du 12 novembre 2013 – par Julien Danielides