Article mis à jour le 10 janvier 2021 – Initialement publié le 31 janvier 2020 – Ajouts d’éléments supplémentaires.
En 2018 je vous proposait de découvrir le petit patrimoine des Milles puis, début 2020, c’est une chronologie du village (non exhaustive) que j’ai évoquée. Suite logique du sujet millois : l’origine de son nom.
Un unique nom, mais deux versions :
Le sujet de l’origine du nom du village des Milles a depuis longtemps été sujet à des contradictions.
En effet, selon les époques les avis ont divergé et deux versions ont été proposées et mises en opposition. Le but de cet article sera de développer chronologiquement ces deux hypothèses à l’aide des textes qui ont traité du sujet au cours des XIXe et XXe siècles.
Même si je me permettrai de donner mon avis en fin d’article, je souhaite en premier lieu mettre en avant ces deux versions qui divisent encore.
Version n°1 – La borne antique :
Au XIXe siècle, les auteurs de la Statistique du département des Bouches-du-Rhône publiée en 1824 (1) indiquent que le nom du village proviendrait de la présence d’une borne romaine située sur un pont passant au dessus de l’Arc à proximité du village actuel :
…Les Milles, en latin Millia, en Provençal Leis Mielos ; hameau sur l’Arc qui tire son nom d’une borne militaire dont on trouve encore les débris tout près du pont. Cette borne était la quatrième en partant d’Aix pour venir à Marseille. La voie romaine passait alors par cet endroit…
Statistique du département des Bouches-du-Rhône (1) – Page 867 – Publié en 1824
….Ce nom des Milles vient sans doute de la borne militaire qui était sur ce pont. Des Milles la voie Aurelienne littorale d’Aix à Arles se rendait en ligne droite jusqu’à Marseille en passant par le relais du Pin, Septèmes, les Aygalades, les Crottes et les collines de Saint-Lazare…
Statistique du département des Bouches-du-Rhône (1) – Page 309 (note b) – Publié en 1824
Certes les romains mesuraient les distances en milles, mais l’emplacement géographique de cette borne antique (en admettant qu’elle ait existé) n’est pas clairement indiqué par ceux qui en ont rapporté son existence.
Le pont évoqué dans la Statistique, où ce serait trouvée cette borne, n’existe plus, car le pont le plus ancien encore en place aux Milles (celui situé au nord de la place Aimé Gazel) ne fut construit qu’à partir de 1845, donc après 1824 et la publication du document mentionné ci-dessus.
Version n°2 – un patronyme :
Au XXe siècle, des recherches et découvertes archéologiques ont remis en question l’idée de la borne romaine qui aurait donné son nom au hameau des Milles.
En 1907, les auteurs de l’ouvrage Les Antiquités de la vallée de l’Arc-en-Provence, (2) proposent une hypothèse radicalement différente. Pour eux, la voie antique ne passait tout simplement pas par Les Milles mais légèrement plus au sud-est, à proximité de Luynes, rejetant les affirmations de la Statistique de 1824 :
…Les auteurs de la Statistique, qui opéraient sur la carte inexacte de Cassini, portent dix-neuf milles et font passer la voie par le hameau des Milles, ce qui allonge le parcours et ce qui est en opposition avec les découvertes archéologiques faites depuis l’impression du dit recueil. (…) Le sol de la Via Aurelia avait été retrouvé non loin de Luynes à plus d’un mètre de profondeur…
Les Antiquités de la vallée de l’Arc-en-Provence (2) – page 107 – publié en 1907
Si l’on s’en tient à cette version révisée au XXe siècle, le tracé de la voie romaine ne serait pas passé par le hameau des Milles, il n’y a donc aucune raison qu’une borne indiquant cette voie ait pu se trouver à proximité du village.
Toujours selon les auteurs de cet ouvrage, l’origine du nom des Milles serait donc bien différente et serait à aller chercher du côté du patronyme des habitants des lieux :
…C’est à tort que l’on a recherché l’étymologie du nom de ce hameau dans la présence supposée d’une borne militaire. Cette petite agglomération s’appelait autrefois le Plan d’Aillane et prit le nom des Milles depuis la deuxième moitié du XVIIe siècle, du nom patronymique d’une famille très nombreuse qui y habitait…
Les Antiquités de la vallée de l’Arc-en-Provence (2) – page 108 – publié en 1907
1916 – Le retour de la version n°1 et de la borne antique :
En 1916, Michel Clerc publie l’ouvrage Aquae Sextiae – Histoire d’Aix-en-Provence dans l’antiquité (3). Malgré l’hypothèse émise en 1907 sur une origine patronymique, pour lui, rien de cela : il s’en remet à l’idée initiale de la voie romaine qui aurait bien pu passer par les Milles, et au nom du village qui aurait donc pu être liée à une borne antique ; le tout en se basant sur la Statistique du XIXe siècle :
…A quatorze milles de Marseille et à quatre milles d’Aix, sur la rivière de l’Arc, est le village des Milles, où les auteurs de la Statistique indiquent une pierre sur le pont. Bien que cette pierre ait disparu, le nom même du village est assez significatif et montre que la route passait par là…
Michel Clerc – Aquae Sextiae, Histoire d’Aix-en-Provence dans l’antiquité (3) – pages 231-232 – publié en 1916
Il ne fait pas pour autant l’impasse sur les affirmations de l’ouvrage Les Antiquités de la vallée de l’Arc-en-Provence publié en 1907 mais relève un manque de preuves :
…Pour les auteurs des Antiquités de la vallée de l’Arc-en-Provence, le nom actuel du village des Milles ne serait pas antique ; il ne daterait que de la seconde moitié du dix-septième siècle, et viendrait du nom patronymique d’une famille très nombreuse mais les auteurs ne fournissent aucun texte à l’appui de ce dire, qui n’est aussi qu’une hypothèse…
Michel Clerc – Aquae Sextiae, Histoire d’Aix-en-Provence dans l’antiquité (3) – page 232, note 1 – publié en 1916
1984 – Le retour de la version n°2 et du patronyme :
Robert Ambard (qui a, entre autres, beaucoup œuvré aux recherches historiques de l’oppidum d’Entremont) publia en 1984 l’ouvrage Aix Romaine (4).
Son avis est à l’opposé de celui donné en 1916 par Michel Clerc. Pour Ambard, le nom des Milles n’indiquerait pas un nombre ordinal, mais relèverait bien d’une origine liée au nom de famille des habitants des lieux :
…Le nom ne correspond pas à un nombre ordinal. Pour la bonne raison qu’il s’agit d’un patronyme : celui d’une famille de cultivateurs installée dans le courant du XVIIe siècle au lieu-dit le Plan d’Aillane (où les ont peut-être appelés les Puget-Barbentane, seigneurs de Saint-Pons) et qui ont fait souche…
Robert Ambard – Aix Romaine (4) – page 172 – publié en 1984
Il appuie ses propos en se basant sur des cas de lieux similaires dans la région qui ont vu leur dénomination être liée au nom de ceux qui s’y sont installés :
…Les exemples en abondent. Sans trop s’éloigner d’Aix, les Bonfillons, les Cabassols, les Astiers, les Figons, les Chabauds et des dizaines d’autres en portent témoignage (…) Même chose pour les bastides, elles prennent très souvent le nom de leur nouvel acquéreur…
Robert Ambard – Aix Romaine (4) – page 172 – publié en 1984
Qu’en penser ?
En dehors de ce que l’on vient de voir, on trouve aussi une histoire qui mentionne des bergers / cultivateurs originaires de la région d’Arles, alors nommés « Mielle » (ou un dérivé) et qui, au cours de la période de la transhumance, auraient pris pour habitude sur leur chemin de faire une halte à proximité d’une source située au Plan d’Aillane. Le temps passant, il auraient fini par s’y installer définitivement, créant au XVIIe siècle, le « hameau des Mielles » qui est devenu Milles. Une histoire qui rejoint l’idée d’une origine patronymique.
Décortiquons tout cela avec les preuves en notre possession :
– En ce qui concerne la version n°1 (une borne militaire) :
Il ne reste rien de la borne, en admettant qu’elle ait existé. Nous n’avons aucune indication précise de son emplacement géographique, et rien du pont indiqué dans la statistique du XIXe siècle car celui-ci n’est pas le même que le plus vieux pont encore debout aux Milles (la statistique date de 1824, le pont le plus vieux du village de 1845, ça n’est donc pas le même. On ne sait donc pas où se trouvait le pont mentionné en 1824). Cette piste devient donc un impasse.
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– En ce qui concerne la version n°2 (un patronyme) :
Ici, nous avons des éléments :
1 – Premièrement, le nom « Mielle » :
Comme dit plus haut, le nom des bergers / cultivateurs aurait été « Mielle ». Un nom qui déformé aurait donné « Mille ». En observant d’anciens actes provenant de l’église des Milles, notamment du début du XVIIIe siècle, on retrouve à de nombreuses reprises la mention du lieu qui n’était pas encore nommé « Les Milles » mais… « Les Mielles ». Preuve que ce nom existait et était présent dès les commencements du village :
2 – Deuxièmement, le nom « Mille » :
Toujours dans des documents d’archives des registres paroissiaux de ce que l’on nommait alors la paroisse de la Magdeleine de la plaine d’Aillane (ou d’Ailhane), on retrouve aussi le nom de famille « Mille », qui y était porté depuis, au moins, le XVIIe siècle.
En effet, étant donné que l’on y trouve mention des décès de personnes nommées Mille dès 1701, au début XVIIIe siècle, on peut logiquement en déduire qu’elles étaient nées au XVIIe siècle et donc que ce nom y était déjà porté dès cette époque, au moins.
Pour appuyer ma pensée, prenons l’acte ci-dessous :
On y apprend qu’un certain Charles Mille a été enterré en cette paroisse le 9 février 1701. Certes, rien ne nous dit qu’il est né avant le XVIIIe siècle (il aurait pu mourir en très bas-âge, à moins d’un an), cependant il y a la mention de ses parents, notamment son père, Claude Mille, qui est forcément né au siècle précédent et qui portait donc déjà ce nom au XVIIe.
Ainsi, la présence de la mention « Les Mielles » pour nommer le hameau / village et l’existence du nom « Mille » dès le XVIIIe siècle, voire avant, sont des éléments qui renforcent d’avantage l’idée d’une origine patronymique.
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– Ainsi, en reprenant les registres religieux de 1701 à 1792, on peut observer les appellations suivantes :
A partir de 1701 : Les Mielles – Paroisse de la Magdeleine du plan (ou plaine) d’Aillane (ou d’Ailhane) ;
En 1718 : Dernière mention trouvée du nom « Mielles » – (dans ce que j’ai pu trouver) ;
A partir de 1729 : Paroisse Sainte-Magdeleine des Milles ;
A partir de 1740 : Paroisse des Milles ;
A partir de 1752 : Paroisse du hameau des Milles / Paroisse des Milles ;
Mon avis personnel sur la question :
Cet avis n’engage que moi et moi seul. Nous avons donc :
1 – D’un côté, il y a l’absence de preuves concrètes qui indiquerait que le nom du village tient son nom d’une borne antique située sur un pont le long de la Via Aurélia d’Aix à Arles. Cela n’indique pas pour autant que cette histoire est fausse, cependant, plus aucune trace n’est là. Ni pont, ni borne, ni localisation précise, juste des témoignages.
2 – Face à elle, il y a l’origine patronymique, qui se voit réellement confortée par d’avantages d’éléments, comme des actes qui mentionnent « Les Mielles » (et pas encore Les Milles), et d’autres qui font remonter le nom de famille plusieurs siècles en arrière, à une période qui correspondrait à celle de la formation du hameau, soit vers les XVII-XVIIIe siècles. Le nom de famille « Mille » est, par ailleurs, toujours porté dans le village.
Au vu des éléments que j’ai pu observer, je penche pour l’idée du fait que l’origine du nom du village des Milles, pourrait être lié au noms de famille « Mille » ou « Mielle » qui y est représenté depuis une date correspondant à celle supposée de sa fondation (vers ou avant le XVIIe siècle). Michel Clerc trouvait que l’origine patronymique manquait de preuve, toujours est-il qu’en l’état actuel des choses c’est la version pour laquelle j’en ai trouvé le plus.
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Une question qui divise encore aujourd’hui :
La question divise encore aux Milles car au cours de discussions avec des millois, j’ai pu constater à de très nombreuses reprises que, si la version patronymique a ses adeptes, la version de la borne antique a, elle aussi, bon nombre de défenseurs dans le village.
Une question qui a donc divisé, qui divise et qui divisera encore dans le futur.
Pour d’avantage d’informations sur l’histoire du village des Milles, n’hésitez pas à consulter mes deux précédents articles sur le sujet en cliquant ci-dessous :
La chronologie des ces lieux :
Le petit patrimoine qui fait ou a fait le village :
– Sources :
(1) Statistique du département des Bouches-du-Rhône – page 867 et page 309 – publié en 1824.
(2) Les Antiquités de la vallée de l’Arc-en-Provence – page 107 et page 108 – publié en 1907.
(3) Michel Clerc – Aquae Sextiae – Histoire d’Aix-en-Provence dans l’antiquité (3) – pages 231-232 – publié en 1916.
(4) Robert Ambard – Aix Romaine – page 172 (voir aussi note 27 de la page) – publié en 1984
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