Article initialement publié le 4 avril 2015 – réécrit et augmenté le 13 mai 2020
Le lieu que nous allons découvrir aujourd’hui se situe à deux pas du Parc Jourdan, à l’angle des actuelles avenues Maurice Blondel et Benjamin Abram face au Rectorat à l’emplacement où se dresse l’immeuble qu’occupent de nos jours l’immeuble ci-dessous ainsi que les numéros 7 et 9 de l’avenue Abram.
Une ancienne maladrerie :
En ce lieu se trouvait autrefois la maladrerie Saint-Lazare, un lieu qui fut destiné à l’accueil des lépreux dès le XIIIe siècle et dont il ne subsiste absolument plus rien de nos jours.
Retour plusieurs siècles en arrière pour découvrir l’histoire des lieux...
Un peu d’histoire :
Tout d’abord, rappelons que les maladreries ou léproseries, étaient des lieux destinés à l’accueil des lépreux afin que ces derniers ne soient pas en contact avec la population. Dans la majorité des cas, ils étaient situés extra-muros, protégeant ainsi la population des malades.
Pour ce qui est de l’appellation « maladrerie », elle viendrait du terme « ladre » (le nom que l’on donnait au lépreux au Moyen-Age). Ce mot proviendrait d’un assemblage des mots malade et ladre. Par contraction, ils donnèrent le terme maladrerie (1).
Les « vieilles maladreries » :
Avant d’aborder la maladrerie Saint-Lazare qui se trouvait à proximité de l’actuelle avenue Benjamin Abram, il faut signaler une maladrerie plus ancienne qui aurait existé dès avant le XIIIe siècle à Aix. On trouve en effet mention de « maluterris veteribus » ou « malauterie veteres » (vieilles maladreries) dans un acte de 1255. Etant alors qualifiées de « vieilles maladreries » cette année là, on pourrait en déduire qu’elles n’étaient déjà plus utilisées, faisant remonter leur apparition à une date antérieure à 1255.
Celle-ci serait à localiser dans un périmètre limité, de nos jours, par les actuels cours Gambetta, celui des Poilus et l’avenue des Déportés de la Résistance (2) :
Ces « vieilles maladreries » furent transférées au cours du XIIIe siècle au bord de ce que l’on nommait le chemin de Marseille (3), une zone située, de nos jours, le long de l’actuelle avenue Benjamin Abram, face à la cité universitaire du même nom.
A cette époque, la route de Marseille était bien différente de celle que l’on connait de nos jours. On sortait de la ville par l’extrémité sud de la rue Bédarrides, de là le chemin suivait le tracé de l’actuelle rue de la Masse, puis empruntait la rue Laroque et l’actuelle avenue Malherbe puis débouchait sur l’actuelle avenue Benjamin Abram. Cette route continuant ensuite vers le sud :
Au XIIIe siècle lors du transfert de la maladrerie, les remparts sud de la ville d’Aix se limitaient approximativement au tracé de l’actuelle rue Espariat. La maladrerie se trouvait à bonne distance de la ville, environ 500 mètres.
La maladrerie Saint-Lazare :
Entrer à Saint-Lazare :
Contrairement aux autres hôpitaux d’Aix à cette époque, où l’on ne restait que quelques jours pour retrouver la santé, quand on entrait à Saint-Lazare, c’était jusqu’à sa mort (4).
Les malades, (ou supposés) pouvaient s’y présenter spontanément, c’est ce qui leur étaient par ailleurs recommandé. Car si une personne était suspectée, et n’avait pas fait les démarches nécessaires, dans le cas par exemple du refus de finir dans une maladrerie, elle pouvait être dénoncée et une procédure pouvait alors être ouverte contre elle. Il en résultait le plus souvent vers un examen médical approfondi afin de savoir si oui ou non elle était contaminée. L’autorité municipale souhaitait prendre un maximum de précautions pour les habitants.
Si les examens ne révélaient rien, la personne se voyait remettre un certificat de bonne santé. Cependant, les résultats n’étaient pas définitifs et en cas de doute, une contre-visite pouvait être demandée, comme l’indiquent des documents du XVe siècle (5).
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La configuration de Saint-Lazare :
Obtenir une description précise des lieux à une telle époque n’est pas chose aisée, cependant, on sait par des documents du XVe siècle qu’ils comprenaient des maisonnettes où vivaient les admis, une église avec clocher et un cimetière à proximité de celle-ci, une fontaine était aussi présente (6).
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La vie des admis à Saint-Lazare :
Les admis de Saint-Lazare n’étaient pas intégralement cloîtrés entre les murs du domaine de la léproserie. Plusieurs documents indiquent leur présence à proximité des portes de la ville mais des restrictions devaient probablement être en place en ce qui concernait leur accès à l’intérieur de celle-ci (7).
Quant à leur ressources, elles étaient variées et en fonction de leur niveau de vie :
– Ceux qui en avaient les moyens : Ils pouvaient confier la gestion de leurs ressources à une personne de confiance, qui aurait alors été chargée de les entretenir au cours de leur vie.
– Ceux qui étaient les plus pauvres : Ils dépendaient principalement de la charité des aixois. Des habitants ont ainsi légué certaines sommes ou organisé des quettes pour la maladrerie. Le conseil municipal, de son côté, employait au XVe siècle un quêteur attitré à la perception d’aumônes pour les lépreux (un information qui laisse supposer que les lépreux ne pouvaient entrer en ville pour y faire la quête eux-mêmes). Il était aussi possible de cultiver une parcelle de terre à proximité de la léproserie, comme l’indique un document du XVIe siècle, encore fallait-il que celui qui le souhaitait en ait la force physique. Au sein même de la maladrerie, on trouve aussi trace de pensionnaires qui léguèrent à d’autres des animaux, ou des biens (8).
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L’inhumation à Saint-Lazare :
En ce qui concerne les inhumations des défunts, celles-ci pouvaient se faire dans le cimetière mais aussi dans l’église de la maladrerie. Toutefois, des documents des XIVe et XVe siècles indiquent que des pensionnaires de Saint-Lazare ont aussi été inhumés au sein même de la ville, notamment aux cimetières de Saint-Sauveur, du couvent des Carmes, des Prêcheurs, ou des Augustins, voire dans les églises liées à ceux-ci (9).
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La fin de la maladrerie Saint-Lazare :
Partant du peu de documents que j’ai trouvé, je ne peux fournir qu’une période au cours de laquelle Saint-Lazare a disparu, et qui serait à fixer au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle.
On constate que les lieux sont encore mentionnés dans un document listant les dépenses de la ville d’Aix en 1753 et qui indique que la ville a versé 182 livres à la maladrerie Saint-Lazare cette année là :
Mais bien qu’existant encore 1753, le lieu était-il encore dédié à l’accueil exclusif des lépreux ? Ou était-il devenu plus général tout en ayant gardé le même nom ? Aucune idée.
L’auteur Ambroise Roux-Alpheran indique qu’en 1768 les lieux furent reconvertis en dépôt de mendicité pour y enfermer les mendiants surpris en état de vagabondage sur le territoire (10). Il faut probablement voir la fin définitive de la fonction de maladrerie pour ces murs cette année là.
En avançant dans le temps, en 1828, on retrouve les constructions à cet emplacement sur le cadastre, mais désormais morcelées en de multiples parcelles.
En 1840, les lieux étaient présentés dans la presse comme étant « …la maladrerie (…) dont les bâtiments existent encore, mais qui est complètement abandonné, comme hôpital, depuis longtemps… » (11)
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Les bâtiments de la maladrerie au XXe siècle :
L’ensemble, ou du moins une partie, a perduré jusqu’au XXe siècle comme on peut le voir sur d’anciennes photos aériennes. La forme générale des lieux a très probablement changé au fil du temps en raison des divers travaux effectués par les nouveaux acquéreurs qui s’y sont succédé.
Le tout, en ruines en 1960, a fini par définitivement disparaître vers 1964 en vue de la construction de nouveaux immeubles, comme on peut le voir sur la comparaison ci-dessous :
– Sources écrites :
(1) Centre national des ressources textuelles et lexicales
(2) Jean Pourrière : Les hôpitaux d’Aix-en-Provence au moyen-âge (1969) pages 21-22, note 22 / pages 45-46 /
page 146, note 19
(3) Jean Pourrière : Ibid. page 52
(4) Jean Pourrière : Ibid. page 139
(5) Jean Pourrière : Ibid. page 140
(6) Jean Pourrière : Ibid. page 144-145
(7) Jean Pourrière : Ibid. page 148
(8) Jean Pourrière : Ibid. page 150-151
(9) Jean Pourrière : Ibid. page 149
(10) Ambroise Roux-Alpheran – Les rues d’Aix (1846-1848) : Chap. La Rotonde
(11) Le Mémorial d’Aix du 8 novembre 1840 (page 1, colonne 3)
– Sources iconographiques :
Plan d’Aix en 1575 : Gallica – BNF
Plan d’Aix en 1666: Gallica – BNF
Plan d’Aix en 1753 par Devoux : Wikimédia
Plan d’Aix en 1828 (cadastre napoléonien – A.M. d’Aix)
Plan d’Aix en 1848 par Gasquy : Gallica – BNF
et pour les vues aériennes anciennes : Remonter le temps (service de Géoportail)