Le souvenir de l’édifice qu’était le palais comtal a souvent été évoqué ici. L’édifice a disparu à la fin du XVIIIe siècle et son emplacement est aujourd’hui occupé en partie par le palais de justice et l’ancienne prison devenue Cour d’Appel.
Entre 2016 et 2018 des vestiges de ce lieu ont été mis au jour lors des travaux de la place de Verdun et on a coutume de dire qu’il ne reste rien du palais, ou presque. Presque, car on mentionne souvent les trois colonnes provenant de l’ancien mausolée antique intégré au palais. Trois colonnes intégrées entre temps sur trois fontaines de la ville (Augustins, Bellegarde et Saint-Louis).
D’autres vestiges sont aussi visibles depuis mai 2019, sous verre dans le sous-sol de la place Verdun.
Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, ces vestiges ne sont pas les seuls encore visibles du palais disparu…
Des tableaux sont toujours là :
Car s’il est une chose qui est souvent oubliée, ce sont les tableaux qui ornaient les nombreuses pièces qui composaient l’édifice. Car non, bien que la démolition ait fait des ravages, tous n’ont pas disparu. Il faut cependant les chercher, car suite à la destruction des lieux, certaines de ces œuvres ont été éparpillées en ville.
Le but de cet article n’est pas d’en dresser une liste complète mais de tenter d’en rechercher et surtout d’en retrouver certains.
Je vais vous épargner cette recherche, du moins, une partie. Cela nous permettra également de découvrir les noms de leur auteurs et de les replacer dans l’édifice de l’époque.
Je tiens à préciser qu’afin de corriger les distorsions qu’avaient les tableaux lors de mes prises de vues (problèmes dû aux angles et à la hauteur à laquelle ils sont accrochés), je me suis attelé à un travail de correction des perspectives afin de leur redonner leurs proportions d’origine.
La thèse de Jean Boyer :
Avant même de commencer à énumérer certaines de ces œuvres, je dois mentionner un document qui m’a beaucoup aidé pour ce sujet :
Mon principal support d’informations fut une thèse présentée le 2 mars 1970 par Jean Boyer (conservateur en chef honoraire du patrimoine, 1914 – 2004) devant la faculté des Lettres et Sciences Humaines d’Aix-en-Provence. Une thèse qui a pour titre « La peinture et la gravure à Aix-en-Provence aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles (1530-1790) » (1).
Composé de 188 pages, ce document est une source d’une impressionnante richesse en ce qui concerne les artistes (aixois ou non) qui sont passé par les environs entre les XVIe et XVIIIe siècles. Au total : ce sont plus de 300 artistes et une très grande quantité d’œuvres (encore existantes ou disparues) qui sont recensés dans cette thèse. Je remercie au passage Philippe Ferrand qui m’a fait découvrir ce document.
Ceci fait, on peut commencer la visite !
Direction l’église Saint-Jean de Malte :
Cette église située dans le quartier Mazarin renferme en effet quelques tableaux provenant de l’ancien palais des comtes de Provence, réalisés par différents artistes :
Trois tableaux de Nicolas Pinson :
– A gauche : Le jugement de Salomon (340 x 170 cm)
– Au centre : Le Christ en croix entre la Vierge et Saint-Jean et Sainte-Madeleine (335 x 170 cm)
– A droite : Le jugement de Salomon (340 x 170 cm)
Ces trois tableaux aux hautes dimensions ont été réalisés par Nicolas Pinson en 1673 (peintre originaire de Valence et présent à Aix de 1668 à 1673), pour décorer la Grand Chambre du Parlement de l’ancien palais comtal.
Déplacés au couvent des Prêcheurs lors de la démolition de l’édifice, on les retrouve quelques temps plus tard au dépôt des Andrettes. Ils furent finalement attribués à l’église Saint-Jean de Malte en date du 18 Brumaire An XI, soit le 9 novembre 1802.
De nos jour, ces trois tableaux se trouvent dans une même petite chapelle latérale de l’église. Du coup, s’y retrouver, entouré de ces œuvres, c’est un peu comme se retrouver dans la Grand Chambre du Parlement de l’ancien palais, lieu où ils étaient là aussi installés tous les trois.
Toujours pour le palais comtal, Pinson réalisa un tableau de grandes dimensions là aussi (345 x 695 cm pour 34 m² !) : La justice de Trajan. Sauvé lui aussi de la démolition, il ne se trouve pas dans cette église mais fut légué au musée d’Aix (Granet) en 1820 par Augustin et Henri d’Estienne d’Orves (2).
Peintures de Nicolas Pinson pour le palais comtal aujourd’hui disparues (liste non exhaustive) :
Vers 1669, Pinson réalisa 5 tableaux aujourd’hui disparus pour la Grand Chambre du Parlement :
– Numa Pompilius faisant dresser un autel et un temple à la justice,
– Alexandre rendant la justice à Timocléa,
– Agamemnon choisissant des vieillards pour juges,
– Le jugement d’Abdolominus,
– Et enfin, un tableau pour un plafond représentant la Justice dont on a les mesures : 22 x 12 pans, soit environs 500 x 300 cm.
Curiosité, ce dernier tableau semble avoir continué d’exister après la démolition du palais car il figurait à l’inventaire du dépôt des Andrettes de l’an X (entre sept. 1801 et sept 1802 env.) depuis, il semble que toute trace de cette œuvre ait disparue.
Vers 1670, il réalise trois autres tableaux pour le palais, eux aussi disparus :
– Le passage du Rhin,
– L’histoire de cette femme qui fit retourner Trajan de la guerre pour lui faire rendre justice de la mort de son enfant,
– L’histoire de la femme qui fait la preuve de l’innocence de son mari par le feu devant Othon III.
Enfin, pour la chapelle du Parlement, Nicolas Pinson réalisa aussi cinq tableaux représentant des scène des la vie de la Vierge. Ces tableaux auraient, un temps du moins, été sauvés car indiqués comme présents en 1791 aux Jésuites dans la chapelle de la congrégation des Dames.
Deux tableaux d’André Boisson :
1 – L’Annonciation et La mort de la Vierge :
Dimensions de l’Annonciation : 205 x 135 cm
Dimensions de La mort de la Vierge : 270 x 220 cm
Ces deux tableaux ont été réalisés par André Boisson (1643-1731) en 1678-79 pour la chapelle de la Cour des Comptes du palais comtal selon la promesse le 19 mars 1678 par Boisson de faire 6 tableaux pour la chapelle de la Cour des Comptes :
« …lun pour lautel qui representera lannonciation de la sainte vierge qui se trouve deja avoir esté fait par led. Boisson celuy du plafond qui representera lassomption et les autres quatre pour les deux costés de lad. chapelle qui representeront la nativité de la Vierge, la présentation de la Vierge au temple, la visitation de sainte Elisabeth, le trepassement de la Vierge a lhuile sur toile de largeur et hauteur nécessaires. Livraison dans un an au prix de 600 Livres dont 60 comptant… ».
Citation de la promesse d’André Boisson du 19 mars 1678 – Thèse de Jean Boyer – page 88 (voir sources en fin d’article)
Lors de la démolition du palais, il furent déplacés dans l’église des Grands Carmes et sont aujourd’hui à Saint-Jean de Malte.
Du projet initial comprenant six tableaux, quatre ont été sauvés. Deux (L’annonciation et La mort de la Vierge) se trouvent à Saint-Jean de Malte comme on vient de le voir, tandis que deux autres : La naissance de la Vierge (225 x 240 cm) et La Visitation (225 x 240 cm) se trouvaient à la Madeleine (après, eux aussi, avoir transité par l’église des Grands Carmes). La Madeleine étant en travaux et fermée depuis le 4 mai 2006 (3), je ne suis pas en mesure de vous dire où se trouvent ces tableaux aujourd’hui.
Les deux toiles restantes disparues sont L’assomption de la Vierge et La présentation de la Vierge au temple.
Chacune de ces 6 toiles avait un emplacement destiné : L’annonciation était prévue pour l’autel, La mort de la Vierge, La naissance de la Vierge, La visitation et La présentation de la Vierge au temple devaient décorer les murs de la chapelle, tandis que L’assomption devait en décorer le plafond.
Direction l’église du Saint-Esprit :
Un tableau de Michel-François Dandré-Bardon :
Le Christ en croix :
Initialement attribué à Carle Vanloo, ce tableau, en réalité de Dandré-Bardon (1700-1783), est de grandes dimensions (285 x 105 cm). Décorant initialement la salle d’audience de la Cour des Comptes du palais comtal il a lui aussi voyagé en ville.
Suite à la démolition du palais, il est déplacé en 1779 dans l’église des Grand Carmes puis au dépôt des Andrettes. Enfin, il fut attribué à l’église du Saint-Esprit en date du 18 Brumaire An XI, soit le 9 novembre 1802.
Refaisons un saut par l’église Saint-Jean de Malte…
Puisque nous évoquons Dandré-Bardon et toujours en lien avec le palais comtal, attardons nous sur une toile de cet artiste qui se trouve dans l’église Saint-Jean de Malte.
Une toile qu’il a réalisé nommée La religion chrétienne ou La Théologie (250 x 150 cm) :
Elle aussi fut attribuée à tort et dans un premier temps à Carle Vanloo. Selon Jean Boyer, elle pourrait (car c’est pas sûr) être l’un des tableaux qui décorait la salle d’audience du palais. Elle aussi était présente un temps dans l’église des Grands Carmes à la toute fin du XVIIIe siècle, avant de rejoindre Saint-Jean de Malte.
Le musée Granet contient lui aussi dans ses collections un tableau de Dandré-Bardon provenant du palais comtal. Il a pour nom : Auguste punissant les concussionnaires (ou Auguste punissant les gouverneurs coupables de péculat). C’est un tableau immense : 240 x 628 cm.
Cette toile du musée qui aurait été peinte à Rome vers 1729 a beaucoup voyagé en ville. Décorant initialement le bureau d’audition ou la salle d’audience, elle fut, elle aussi, déplacée dans l’église des Grands Carmes suite à la démolition du palais. Au début du XIXe siècle, elle fut installée dans le palais de justice alors nouvellement bâti. On la retrouve ensuite dans le catalogue du musée d’Aix (Granet) à partir de 1862.
Retour à l’église du Saint-Esprit…
Revenons à l’église du Saint-Esprit pour observer un retable ou triptyque :
Une œuvre anonyme :
Retable du Parlement ou Triptyque de l’assomption :
Cette œuvre composée de 5 peintures formant un ensemble composé d’un panneau central et de deux volets remonterait à 1505 et provient de la chapelle du Parlement de l’ancien palais comtal.
Sa principale caractéristique est que les visages des douze apôtres visibles sur la toile centrale seraient en réalité ceux des membres du parlement créé en 1501.
De son coté, Jean Boyer, dans sa thèse de 1970 a tranché, il en doute fortement. Tout comme de la date de sa réalisation qui selon lui devrait plutôt remonter à 1520-25 ce qui correspondrait d’avantage à son style. Qui a tort et qui a raison ? Grande question.
Le tableau est anonyme mais, toujours selon Boyer, il aurait pu avoir été réalisé par un certain Manuel Genovese (dit Lomellini) originaire de Racconiggi (nord-ouest de l’Italie), car il a remarqué certaines similarités entre des tableaux de l’artiste et les toiles de ce retable. Là aussi, rien de sûr pour autant.
Des tableaux survivants :
Comme vous avez pu le voir, ces tableaux sont des survivants. En plus d’avoir été sauvés de la destruction du palais, ce qui déjà est une sacrée épreuve, ils ont transité dans divers lieux, traversant les siècles, avant de se trouver là où ils sont aujourd’hui.
Je me permet cependant une remarque : le manque de leur mise en valeur, surtout dans l’église Saint-Jean de Malte, particulièrement les trois tableaux de Nicolas Pinson se trouvant dans l’une des chapelles nord qui, à chaque fois que je m’y suis rendu, n’était pas du tout éclairée, et c’était la seule à être dans le noir complet, hasard ou pas, dommage. La visibilité de « La Mort de la Vierge » par André Boisson, elle aussi dans l’une des chapelles nord de Saint-Jean de Malte n’est pas au top non plus, bien qu’elle, au moins, soit éclairée.
Dernier rappel : cette liste ne se veut en aucun cas exhaustive, et si le sujet vous intéresse, n’hésitez pas à vous tourner vers la thèse de J. Boyer mentionnée en début d’article.
Sources :
(1) La thèse de Jean Boyer : « La peinture et la gravure à Aix-en-Provence aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles (1530-1790) » –
Tableaux de Nicolas Pinson : pages 157 à 161
Tableaux d’André Boisson : pages 88 à 89
Tableaux de Michel-François d’André-Bardon : pages 104 à 106
Retable du Parlement : pages 29 à 30
(1 bis) Voir aussi le résumé de la thèse de Jean Boyer sur Persée.fr :
(Villard André. Jean Boyer. La peinture et la gravure à Aix-en-Provence aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles (1530-1790). Préface de François-Georges Pariset. Paris et New York, Gazette des Beaux-Arts, 1971. In-4°, 188 pages, 146 illustrations. ( Extrait de La Gazette des Beaux-Arts, t. LXXVIII.). In: Bibliothèque de l’école des chartes. 1973, tome 131, livraison 1. pp. 360-363) www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1973_num_131_1_449957_t1_0360_0000_001
(2) www.grandsaintjean.org
(3) Aixendialogue décembre 2007 – Page 34
Mise à jour des sources au 10 juin 2019 : Je tiens à ajouter à propos de ce sujet qu’un CD-ROM accompagné d’un livret furent édité en 2009 par la ville d’Aix à l’occasion des 600 ans de la naissance du roi René (1409-2009). Ils retracent l’histoire du quartier du palais comtal au fil des siècles. Le CD ROM offre quant à lui une modélisation en 3D (par Jérémie Terris) du quartier et du palais comtal, de l’antiquité à nos jours. Je me suis servi de ce support comme source complémentaire pour la localisation des tableaux dans le palais. A sa sortie il était disponible en vente à l’office de tourisme, je ne sais pas s’il est encore édité. Il fonctionnait très bien à sa sortie mais fonctionne désormais très mal, voire plus du tout sur les navigateurs actuels en raison de problèmes de compatibilité du plug-in utilisé. Dommage.
Je fais suite à votre commentaire, en effet j’ai oublié de mentionner dans l’article que je me suis aussi basé sur le cdrom de la reconstitution 3d du quartier du palais comtal (un super boulot d’ailleurs cette modélisation !)
Je ne sais pas si il est toujours vendu, je l’avais acheté il y a plusieurs années.
J’ai pensé, un temps, à ajouter des captures issues de celui-ci mais je ne l’ai finalement pas fait pour d’éventuelles questions de droits d’auteur, sait-on jamais.
J’ai comparé entre la thèse de Jean Boyer et les lieux où sont les tableaux sur le cdrom et tout correspond.
Je vais ajouter la mention de ce cdrom aux sources de l’article, merci de me l’avoir rappelé, ça pourrait intéresser des lecteurs
Cordialement.