– Avant-propos :
Cet article a été particulièrement difficile a rédiger en raison d’un manque cruel de documentation concrète, qui ma donc demandé beaucoup (mais beaucoup) de recherches. La raison majeure est que beaucoup de textes que j’ai trouvé n’étaient pas sourcés, ou très mal (voire pas du tout). Difficile donc, dans ces conditions pour moi de retrouver des textes originaux, pas tronqués et complets.
Par pitié, lorsque vous affirmez quelque chose dans un livre ou sur un site web (n’importe où en général), sourcez vos textes correctement, surtout lorsque le document est consultable en ligne ! Ca pourra servir à tout le monde et ça vous évitera d’être accusés d’inventer des choses.
De plus, dans mes sources, qui sont toutes indiquées à la fin de cet article, il y a eu des contradictions et des approximations : je sais. Je demanderai donc aux pros de la seconde guerre mondiale et de l’aviation d’excuser ma non-spécialisation du sujet. Ce site se veut simple, raison pour laquelle j’ai évité certains détails qui m’ont parus trop complexes à aborder, le travail demandé pour cet article ayant déjà été suffisamment lourd. Et tant que j’y suis, je sais, les photos sont de faible qualité mais j’ai fait avec ce que j’ai trouvé.
Ceci étant dit, allons y (ça va être long).
Les avions, Aix et ses alentours :
Le village des Milles, au sud-ouest d’Aix-en-Provence possède, de nos jours, un aérodrome. Au cours de son existence, ce terrain créé à l’aube des années 40, a servi à un aéroclub mais aussi à l’armée de l’Air avec l’ancienne base 114. De nos jours, il n’accueille plus que des vols privés.
Mais ce terrain ne fut pas le premier à accueillir des avions sur le territoire d’Aix.
En effet, dès 1911, au moins, des pionniers en aviation se risquèrent à voler sur un terrain situé dans l’actuel quartier du Pigonnet. Un terrain rudimentaire, certes, mais qui suffisait pour l’époque
Le temps passant, les choses n’allaient pas durer, la technologie se perfectionnant et l’aviation devenant un domaine à part entière.
Quand on parle d’aviation sur Aix et son pourtour, on pense forcément à la base d’Aix-les-Milles ; mais aussi à Marignane et son aéroport ; et peut-être, aussi, aux pionniers du terrain du Pigonnet.
Mais il est autre un terrain d’aviation qui a existé au sud des Milles, un peu plus oublié celui-là et qui était là avant celui qui existe toujours. Il n’a pas duré longtemps mais a connu un existence parsemée de divers rôles et occupants.
Le terrain d’aviation de Lenfant :
– Précision, selon les écrits le terrain (qui doit son nom au château tout proche) est nommé « Lenfant » ou « Lanfant ». J’ai choisi « Lenfant » car c’est celui que j’ai vu le plus souvent revenir, mais les deux semblent valables.
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1934 – Un nouveau terrain d’aviation va naître aux Milles :
Depuis le début du XXe siècle, l’aviation civile était en plein essor et des clubs de pratiquants s’étaient formés ça et là. Cependant, le manque d’infrastructures dédiées à l’accueil d’avions dans les environs de Marseille freinait quelque peu son épanouissement local et surtout son accessibilité au plus grand nombre.
Pour pallier à cette carence, l’association de l’Aéro-Club de Provence, à l’origine fixée à Marignane, fit l’acquisition en 1934 d’un terrain situé au sud-ouest du village des Milles, entre Aix et Marseille.
– Ci-dessous, un plan indiquant l’emplacement du terrain qui était situé près du château de Lenfant, au sud des Milles :
– Ci-dessous : la même vue des lieux sur un plan de 1934 :
Ce terrain, avec son panorama verdoyant, placé entre deux grandes villes, et non loin d’axes routiers importants, fut un choix qui a été stratégiquement pensé pour attirer clients et visiteurs (1).
Le financement de l’achat, d’un montant de 300 000 francs d’alors fut réparti de la manière suivante :
– d’un côté, 200 000 francs à la charge de l’Aéro-Club de Provence avec un emprunt à 5% sur 15 ans (les membres – dont le casino d’Aix qui a versé 50 000 francs) ;
– de l’autre, 100 000 francs à la charge du ministère de l’Air (donc l’Etat).
Les travaux furent lancés officiellement le jeudi 9 mai 1935 (2), soit un an après l’acquisition du terrain. Pour l’inauguration du chantier, le ministre de l’Air de l’époque, Victor Denain, s’était déplacé en personne.
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1936 – L’inauguration du terrain d’aviation de Lenfant de l’Aéro-Club de Provence :
L’année suivante, en mai 1936, l’association quitta Marignane pour le nouveau terrain d’aviation de Lenfant, alors nommé Aix-Marseille, tout juste achevé (3).
L’aérodrome fut inauguré le 30 mai 1936 avec l’accueil de l’évènement du 4ème tour aérien du sud-est, au cours duquel pas moins de 44 avions et 100 aviateurs étaient présents (4).
En observant à l’emplacement de l’aérodrome, on observe que là où les cartes antérieures à 1936 n’indiquaient rien de particulier, celles d’après mentionnent le terrain d’aviation :
L’inauguration officielle (pour le protocole), de cet aérodrome « Aix-Marseille », sur ce terrain de Lenfant eu lieu quant à elle le 3 octobre 1936 en présence du Général Keller qui représentait le ministre de l’Air (5)
Le Bulletin de la navigation aérienne d’octobre 1936 donne beaucoup de détails sur ce terrain d’aviation :
Le terrain accueillait non seulement des aviateurs professionnels mais s’ouvrait aussi à d’autres activités dédiées à un public plus large, notamment par le biais de compétitions de modèles réduits d’avions où chacun pouvait s’adonner à l’aviation à sa façon (6) :
En 1942, l’Aéro-Club organisait toujours fréquemment des activités de ce type. (7)
1939 – Un second aérodrome construit au nord :
Avant de continuer d’évoquer le terrain de Lenfant, il est indispensable de parler de l’autre aérodrome des Milles, les deux ayant été, un temps, liés, comme on le verra plus loin.
Pour rappel, l’aérodrome de Lenfant – Aix-Marseille – de l’Aéro-Club de Provence était privé (bien que l’Etat, comme on l’a vu plus haut, l’ait financé au tiers).
Mais l’Etat, de son côté, lança en 1939 la construction d’un autre aérodrome, situé à 4 kilomètres au nord-ouest de celui de Lenfant. L’implantation de ce nouvel aérodrome, qui deviendra avec le temps l’aérodrome – Aix-Les-Milles – modifia drastiquement le décor, coupant alors l’ancien chemin d’intérêt commun n° 12 qui reliait Les Milles à Saint-Pons. Cette césure, due à cette implantation a eu pour conséquence de former une impasse, celle connue de nos jours sous le nom de la Badesse.
Il est vrai que l’Etat, plutôt que de créer un nouveau terrain d’aviation, ailleurs, aurait pu se contenter de mettre la main sur l’aérodrome de Lenfant et l’agrandir. Mais on peut supposer qu’il ait été jugé que le terrain de Lenfant était entouré par trop de reliefs, en comparaison avec le nouveau terrain au nord, qui lui était bien plus plane (8).
Les aérodromes des Milles et l’occupation allemande :
Au cours de la seconde guerre mondiale, dans les années 40, l’armée allemande qui occupait la région prit possession de nombreux domaines et infrastructures, dont les deux terrains d’aviation qui se trouvaient aux Milles : celui de Lenfant « Aix-Marseille » au sud et celui situé entre l’Arc et la voie ferrée « Aix-Les-Milles » à l’ouest.
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L’aérodrome de Lenfant utilisé en 1943 :
Ci-dessous, on peut observer l’occupation du terrain de Lenfant en 1943, où des avions sont nettement visibles :
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Un chemin débuté en 1943 à l’aérodrome nord :
A partir de 1943, les vues aériennes nous montrent la création d’une route ayant probablement pour but de faciliter le transports de matériel et véhicules allemands en divers lieux des environs.
Sur une longueur de 2 km, celle-ci partait du terrain d’aviation d’Aix-Les-Milles au nord, traversait la voie ferrée, puis le chemin départemental n°9 et obliquait vers le sud-ouest pour aboutir au domaine de Riquetti (où se trouve l’actuel golf).
– La vue ci-dessous, datée de décembre 1943 montre ce chemin (en rouge) ainsi que certaines défenses qui se trouvaient aux alentours :
– Ci-dessous (pour repère) la même vue en 2020 :
Ce chemin semble, au vu des photographies aériennes, ne pas avoir été prolongé ou modifié d’avantage durant l’occupation allemande. C’est en tout cas ce que j’en ai déduit au vu de ces photos aériennes.
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L’occupation allemande aux Milles :
La revue The Cornhill Magazine publia en 1947 un récit de l’auteure Thérèse Lavauden qui évoquait le village des Milles durant la seconde guerre mondiale. On pouvait y lire (traduit en français par mes soins – version originale en source au n° (9) :
Les années de guerres ont laissé de curieux souvenirs dans les annales des Milles.
Celles-ci commencèrent par la réquisition de la grande briqueterie par le gouvernement de Vichy, qui s’en est servi comme centre de tri et de camp de concentration pour juifs et Météques . Ce terme définissait les réfugiés allemands et italiens expatriés avant la guerre par les deux dictateurs et accueillis sur le sol français par la Troisième République. Puis les rafles ont commencé, et sur les ordres d’Hitler, Pétain emprisonna les exilés d’Europe centrale aux Milles.
La détresse de ces premières victimes d’internement en France, dans cette vaste et insalubre geôle, les séparations déchirantes, la faim, la soif, la fièvre et le froid, et les efforts des villageois d’alléger tant que possible les souffrances de ces malheureuses victimes du racisme, et aider et encourager leur évasion, ont tous été enregistrés par Léon Feuchtwanger dans le journal de sa captivité aux Milles, – Le Diable en France – .
Puis vint l’occupation allemande. L’envahisseur a mis sa botte sur les aérodromes de La Valette et Campredon, dont les sites avait été rachetés avant la guerre par le ministère de l’Air, à deux « hobereaux » appauvris.
Dès que les opérations allemandes en Méditerranée ont commencé, l’armée d’occupation s’est installée aux Milles, et la réquisition des logement commencèrent. Un des plus grands mas seigneuriaux de la plaine, a été choisi comme quartier général dans un but secret, qui a nécessité l’expulsion de son propriétaire. Il a été demandé à ce dernier par le commandement allemand de se retirer lui-même, ainsi que ses effets personnels au plus vite que possible.
La vérité nous oblige à raconter que quatre soldats ont été placés à sa disposition pour déplacer quelques meubles dans l’habitation du village d’où, pendant trois ans, il guettait en silence la fortune de sa bastide et pesé les chances de survie de ses pierres et arbres vénérables.
La pierre fine de Simiane et Bibémus, dont les tons chauds rappellent le miel et les abricots, et qui jusqu’alors n’avait servi qu’à construire les hôtels particuliers d’Aix à sa périphérie et les fermes de sa campagne, a été amenée aux Milles et renforcée par une armature de béton, pour servir d’indestructible protection à des citernes et des réservoirs.
Tous les jours à l’aube, chasseurs et bombardiers allemands partaient pour la Sicile. Les Millois, qui regardaient le départ, se réjouissaient le soir en comptant ceux qui n’étaient pas revenus. La nuit, les équipages survivants, hagards et poussiéreux, se bousculaient aux portes des bordels que la Kommandantur avait installé et peuplé des déportées de Pologne et de cagoles de Marseille.
Et, comme l’un de ces bordels était dans une vaste ferme, autrefois consacrée à l’élevage de porcs, le nom de Cochonniers est venu naturellement pour décrire ces établissements dans le dialecte local.
Les Allemands n’ont commis aucune atrocité aux Milles. Les habitants, comme ceux de centaines de villages, ont appris à vivre, sans jamais regarder l’envahisseur en face, mais le regarder sans cesse. [Fin de l’extrait du texte de Thérèse Lavauden – original en source en (9)]
1944 – La libération et le terrain de Lenfant devient un D.T.C. :
En août 1944, l’armée américaine libéra la Provence et, sans dire que l’on remplaça un occupant par un autre, elle prit possession des lieux désertés par les allemands qui avaient fuit ou avaient été fait prisonniers.
A partir de 1945, le terrain d’aviation de Lenfant allait connaître une nouvelle vie. Devenu désormais camp de l’armée américaine, il accueillait aussi le D.T.C. de la D.B.S.
– D.T.C. pour Disciplinary Training Center – Autrement dit : Un centre de formation disciplinaire.
– D.B.S. Pour Delta Base Section : Le nom du secteur sud-est de la France, divisé en trois zones où Aix et Marseille faisaient partie du secteur de la zone A.
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1945 – Le terrain de Lenfant accueille le D.T.C. des Milles :
En France il existait à l’origine au moins trois D.T.C. (10) :
– le D.T.C. de la base Delta pour la région Marseillaise ;
– le D.T.C. de la base Loire pour la région du Mans ;
– et le D.T.C. de la base Seine pour la région parisienne.
Celui des Milles, tout comme les autres, était un camp de formation, mais plutôt de redressement (que j’abrègerai en D.T.C. car c’est ainsi qu’ils étaient nommés) et était réservé au confinement – où plutôt à l’enfermement des soldats américains ayant enfreint les règles militaires, ou les règles tout court.
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Le D.T.C. des Milles décrit dans un journal américain en octobre 1945 :
Si l’on s’en tient à la gazette publiée par les soldats du camp de Calas (installé plus à sud à cette époque), le D.T.C. des Milles était décrit ainsi, en 1945 par l’armée américaine – article que j’ai traduis de l’anglais au français pour une meilleure compréhension, l’article original est consultable dans les sources en (11) :
Chaque occasion de se frayer un chemin vers la liberté se trouve au Centre de Formation Disciplinaire près d’Aix, où les hommes apprennent le sens d’une discipline stricte, et y sont traités individuellement.
La réhabilitation est la clé de voûte du site. Des hommes condamnés à des peines allant de six mois à 80 ans, qui font leurs preuves et qui montrent la promesse de devenir de bons citoyens sont proposés pour la clémence après y être resté trois à six mois. Quand un homme est libéré, il est renvoyé à Calas et traité comme n’importe quel autre soldat.
4 000 détenus y vivent dans des tentes pour deux personnes avec un sol en bois. Le programme commence au réveil à 06h15 et suivi du déjeuner une demi-heure plus tard. Il est suivi a 08h00 par de la gymnastique et le reste de la matinée est consacré à l’exercice d’infanterie.
En raison de leurs activités vigoureuses, les stagiaires reçoivent des rations militaires complètes. De 13h00 à 16h00, les stagiaires reçoivent d’avantage d’exercices d’infanterie. Pendant les 45 minutes suivantes, ils pratiquent le défilé de retraite formel ; qui est l’un des plus parfaitement exécutés de l’armée.
Le souper est de 17h30 à 18h30. À 19h00, les prisonniers doivent être dans leurs tentes. Deux paquets de cigarettes sont autorisés aux stagiaires par semaine. Ils sont autorisés à écrire un message par semaine et le courrier entrant est distribué une fois par semaine le dimanche.
Avant la fin de la guerre, les stagiaires étaient préparés à des affectations dans la division d’infanterie et apprenaient par conséquent des matières telles que l’usage du fusil, de la mitrailleuse et du mortier. Mais maintenant, l’accent est mis sur la citoyenneté.
Les stagiaires suivent, une heure par jour, un cours d’histoire du gouvernement et des États-Unis. Ils ont leurs propres sous-officiers, qui obtiennent le grade au mérite et portent des rayures à l’envers. Certains privilèges supplémentaires sont accordés à ces hommes.
Sur les 4037 prisonniers confinés ici, qui vont du simple soldat au colonel, 621 sont de la section de la Delta Base. D’autres viennent de toute l’Europe. Selon le colonel Hempstead, quelque 1 200 cas sont désormais classés comme étant sous contrôle et vers la clémence . On estime que 154 hommes seront réintégrés à partir du D.T.C. entre le 10 et le 16 octobre. [Fin de l’article du The Delta stage – Official staging area publication du 10 octobre 1945 – en source en (11)]
–
Cette description qui, avons-le a quelques airs de propagande, donnée par les américains eux-mêmes, nous montre un lieu qui se voudrait exemplaire, une sorte d’usine à recadrer des délinquants ou criminels en en faisant de bons petits citoyens américains, presque sympa, où tout coulait fluidement.
Mais c’était, il faut rappeler avant tout : un camp de prisonniers.
Description rapide du D.T.C. des Milles par un ancien détenu (10) :
– Entouré d’une double clôture de barbelés électrifiés d’environ 6 mètres de haut ;
– Des chiens de gardes se trouvaient entre ces deux rangées de clôtures.
– Des tours de gardes placées tous les 50 mètres environ ;
– Des soldats armés de mitrailleuses veillaient à éviter les moindres évasions ou débordements ;
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Les soldats américains aux Milles :
L’histoire a fait des américains les grands sauveurs de la France, à force de l’entendre, de l’écrire et de le lire, on finirait presque par les imaginer comme des super-héros parfaits.
Mais ce serait presque oublier qu’il étaient des êtres humains, vivant dans des conditions particulières, à une époque particulière, avec leurs qualités certes, mais aussi leurs faiblesses.
– Reprenons le témoignage de T. Lavauden à propos des Milles pendant la guerre dont une partie été retranscrite plus haut :
Le jour suivant la libération, les femmes des Milles, en l’honneur des libérateurs, ont ressorti le vin caché sous les dalles des puits et des allées de jardin.
En dehors des premiers jours d’exultation et d’action de grâce, l’occupation américaine n’a laissé aucun souvenir heureux aux Millois. Les paysans qui, on ne peut le nier, avaient été impressionnés par la discipline allemande (pendant l’occupation, il n’y a pas eu un seul cas de vol, ivresse ou voies de fait dans le village, la peine infligée aux soldats par leurs chefs étant trop féroces) n’a pas manqué de lui opposer une armée qui, victorieuse, était trop vulnérable aux femmes et à la boisson.
Les femmes de Provence sont des femmes au foyer extrêmement propres et excellentes. Les vomissements incontrôlés d’ivrognes sur les carreaux de cuisine et les couvre-lits, les humiliantes familiarités des libérateurs envers les jeunes filles paysannes, dont la chasteté est aussi inattaquable que celle des vestales de l’antiquité, a abaissé la valeur du prestige américain aussi vite que celle du dollar s’est envolé sur le marché international.
Aux Milles, dans le parc du château de Lenfant, les Américains ont créé un bagne pour des milliers de condamnés pour vol, homicide involontaire et viol, qui y ont été emprisonnés. Ils ont été amenés à la gare dans des cages, jetés dans les camions blindés qui les attendaient, enfilés comme des saucisses, et emmenés au camp de prisonniers qui était entouré de fils sous tension.
Malgré cela et les engins ainsi que les meutes de chiens féroces hurlant autour du camp, nombre d’entre-eux ont réussi à s’échapper. Lorsqu’ils sont pris, ils ont été immédiatement abattus, et non pendus comme le rapporte la légende locale.
Ceux condamnés à perpétuité ont purgé leur temps en faisant les cent pas autour de l’enclos comme des animaux. En pleine bataille, ils ont marché jusqu’à trente kilomètres par jour au rythme du tam-tam, qui ne s’est jamais arrêté.
Ces faits, plus que les autres de l’occupation, obsèdent toujours l’esprit de la population locale. [Fin de l’extrait du texte de Thérèse Lavauden – original en source en (9)]
–
Ce témoignage, modifie quelque peut la perception du soldat américain dans les écrits et le texte quelque peu « propagandesque » du journal des soldats de Calas.
– – –
Le D.T.C. des Milles dans un rapport officiel de la fin de l’année 1945 :
Il existe un rapport très intéressant et riche en détails, dont j’ai eu beaucoup de mal à trouver le scan en intégralité – (voir sources en (*)). Il est daté de la fin de l’année 1945 et établi par le colonel Julien C. Hyer qui effectua une visite d’inspection au D.T.C. des Milles. Ce document, nous donne beaucoup de détails sur les lieux.
– Extraits (le document fait une douzaine de pages au total) :
On y apprend que les prisonniers y étaient incarcérés pour de multiples faits (liste non exhaustive) :
– Désertion ;
– Meurtre et tentative de meurtre ;
– Viol et tentative de viol ;
– Homicide involontaire ;
– Ivresse en service ;
– Surpris en train de dormir en service ;
– Tentative d’évasion du D.T.C. ;
– Mauvaise conduite face à l’ennemi ;
– Déshonneur du service ;
– Vol et tentative de vol ;
– Revente d’objets au marché noir ;
– Insubordination ;
– Pillage ;
– Usage de stupéfiants ;
– Occupation d’une chambre avec une civile ;
– Bigamie ;
– Abandon de poste ;
– Sodomie (? – ce motif était bel et bien inscrit dans le rapport).
– Au total, en septembre – octobre 1945, période de la visite des lieux par J.C. Hyer, le camp accueillait environ 4000 prisonniers. Ils y étaient décrits comme très disciplinés, dans des locaux et tenues jugés propres et avec une nourriture servie comme étant excellente.
– Le planning y était quant à lui décrit comme très (mais très) rigide, les prisonniers y marchant et creusant non-stop du lever au coucher du soleil, sept jours par semaine avec très peu de temps de pauses, excepté pour se nourrir, se changer et dormir de courtes nuits.
– Ils se statufiaient dès que la voiture d’un officier approchait à une centaine de mètres, les saluaient poliment, et faisaient de leur mieux pour avoir une attitude exemplaire afin de pouvoir quitter au plus tôt le camp.
– Selon le rapport, le camp était surveillé par une vingtaine de chiens agressifs, très entrainés, pour éviter toute évasion. Toute suspicion de ségrégation raciale y était réfutée en avançant le chiffre de 25% de soldats noirs.
– L’adage dominant y était : « si j’avais su ce que ce lieu était, je n’aurais rien fait pour m’y retrouver ».
– Pour tenter de comprendre les causes qui pouvait avoir amenées les soldats à commettre des délits et crimes, le rapport évoquait l’alcoolisme dans près de 50 % des cas et la fatigue due aux combats dans 30 % des cas. Le pourcentage restant étant d’autres raisons diverses et variées comme le mental des soldats qui s’amenuisait au fil des jours.
– Le rapport évoquait par ailleurs le manque de psychiatres assez spécialisés en la matière pour traiter les prisonniers.
– – –
Les sanctions au D.T.C. des Milles :
Comme vu plus haut, le camp accueillait des prisonniers inculpés pour divers faits, du simple vol jusqu’à des faits bien plus graves. Les sanctions étaient proportionnelles aux délits, et dans la majorité des cas, la peine minimum était rarement inférieure à quelques mois d’incarcération.
– Avant de découvrir le rapport du colonel Julien C. Hyer , je n’avais trouvé que deux cas où la peine de mort fut prononcée, indiqués dans le volume n°29 des European Theater Operations Board of Review Opinions (12). Il y était évoquée la condamnation à mort de deux soldats, exécutés pour meurtres et viol commis en Allemagne.
– Mais en trouvant le rapport du colonel Julien C. Hyer établi fin 1945, on constate que les chiffres pourraient être bien plus élevés, car il contient aux pages 32 et 33 une liste de 82 exécutions effectuées au D.T.C. des Milles, pour la seule année 1945 :
Les motifs de condamnations à mort étaient indiqués comme étant principalement le viol (rape) et le meurtre (murder). Les méthodes d’exécutions mentionnées étaient de deux types : le peloton d’exécution (firing squad) ou la pendaison (hanged).
–
Le témoignage d’un prisonnier en 1945 :
Dans de rares cas, des prisonniers ont témoigné par courriers auprès de leur familles aux Etats Unis, afin d’alerter sur les conditions de traitement dans le camp. C’est le cas du courrier ci-dessous, publié dans le journal Civil Liberties News du 23 novembre 1945 (traduction sous l’image) :
– Traduction de l’article du Civil Liberties News du 23 novembre 1945 :
Un soldat courageux a écrit de Marseille, en France, à son frère vivant à Chicago pour lui parler des conditions dans le centre de formation disciplinaire Delta. Ce centre contient des hommes détenus pour tous types d’infractions, que ce soit des viols, des meurtres, des insultes à un officier. Néanmoins, poursuit la lettre, la majorité des peines vont de 5 ans et plus.
– Les GI’s courent jusqu’à se qu’ils tombent…
Un sergent de de la police militaire qui a visité le camp est cité comme suit : L’endroit est un camp de concentration. Il y a une piste de course qui s’y trouve, et la moindre infraction ou même provocation est sanctionnée par des tours à effectuer sur la piste du camp. Pendant que j’étais là-bas, j’ai vu l’officier X choisir un homme au hasard parmi un groupe d’hommes au garde-à-vous parfait. Cet homme, bien qu’au garde-à-vous comme tous les autres soldats, s’est fait dire qu’il ne se tenait pas assez au garde-à-vous… Le GI a pris 10 tours à effectuer autour de la piste de course. Il est tombé après cinq ou six tours, et dans cet état fut traîné par des sous-officiers pour les quatre tours restants.
…Et jusqu’à ce qu’ils en meurent –
L’histoire est, selon la lettre, qu’un GI est décédé récemment après avoir effectué des tours de pistes jusqu’à ce qu’il abandonne. Beaucoup d’hommes ont protesté. Plus tard, lorsque les hommes se sont disputés, un officier du camp se serait approché d’eux et leur aurait demandé qui avait protesté. Ceux qui ont reconnu l’avoir fait ont reçu une gifle, ainsi qu’un avertissement qu’ils feraient mieux de ne pas essayer de protester auprès du monde extérieur.
La lettre se termine par un fervent appel à « faire quelque chose s’il vous plaît ».
Des copies de la lettre ont été transmises au sénateur de l’Oregon Wayne Morse, qui a récemment insisté pour que les peines excessives infligées pendant la guerre soient réduites.
– Fin de la traduction de l’article du Civil Liberties News du 23 novembre 1945.
– – –
Les chiffres et méthodes d’exécutions au D.T.C. de Lenfant – Des contradictions dans les chiffres et les faits ?
Au vu des témoignages et des versions, le nombre d’exécutions qui s’y sont déroulées pourrait être difficile à établir, en effet :
1 – Thérèse Lavauden (9) indique qu’il n’y avait pas de pendaisons au D.T.C., les citant comme étant des légendes locales.
2 – Le site Thefifthfield (12) ne recense que deux exécutions par peloton aux Milles (aucune pendaison).
MAIS :
3 – Mais le rapport du colonel Julien C. Hyer contient une liste de 82 exécutions, à la fois par peloton d’exécution mais aussi par pendaisons (un rapport officiel ne gonflerait pas de tels chiffres ni de tels détails).
4 – Enfin, en fouillant dans la presse française de de 1946, j’ai trouvé un article qui confirme des pendaisons fréquentes au D.T.C.
Le journal France Soir dans son édition du 12 juillet 1946 (13) évoquait la fin du D.T.C. des Milles avec un titre d’article plutôt clair :
L’article évoque la présence régulière des corps des prisonniers condamnés à morts pendus à la clôture du camp, des faits rapportés par des habitants du voisinage des lieux.
Le journal y évoque un bagne, éclairé jour et nuit, entouré d’une piste de gravier sur laquelle les prisonniers y marchaient du matin au soir. Ce qui corrobore le rapport de J.C. Hyer.
Ici l’article évoque aussi un lieu en particulier : le box 10, un quartier spécial du camp réservé aux condamnés à mort. Et de ce box, certains jours auraient été extraits des condamnés pour être pendus par fournées (sic), allant jusqu’à mentionner le nombre de 36 hommes pendus en une semaine.
L’article indique que ces spectacles, qui n’étaient pas du goût des habitants des fermes alentours, auraient par la suite eu lieu dans les hangars qui avait servi auparavant au terrain d’aviation de Lenfant.
–
Comme toujours dans ces cas là, les versions varient, laissant la vérité quelque part, dans le passé.
– – –
La route commencée par les allemands en 1943, prolongée par les américains :
Abordée plus haut dans cet article, revenons sur la route construite par les allemands en 1943 reliant la base au nord et le domaine de Riquetti.
En observant des photographies aériennes datant de juste après la guerre, on remarque que les américains ont prolongé ce chemin, le faisant désormais arriver jusqu’au terrain de Lenfant, reliant ainsi les deux terrains (base aérienne au nord et camp de Lenfant au sud) entre eux.
– Ci-dessous (pour repère) la même vue en 2020 :
La fin du D.T.C. des Milles et celle du terrain de Lenfant :
Comme vu plus haut, dans le journal France Soir du 12 juillet 1946 (13), il était annoncé que le D.T.C. devait fermer ses portes et que les américains quitteraient les lieux le mois suivant, soit vers août 1946.
Le terrain de Lenfant, de son côté, après tant de mésaventures et d’occupations multiples fut laissé dans un état qui ne permettait pas sa remise en service immédiate.
En 1947, l’arrêté du 6 février 1947 (14) et (8) abrogea tous les agréments d’ouverture des aérodromes publics ou privés. De nouvelles autorisations allaient devoir être demandées et vérifiées pour chacun des lieux.
Tant et si bien qu’il ne put être agréé, même avec restrictions, à la circulation aérienne en 1947 (8).
Enfin, en 1949, en raison de sa proximité avec l’aérodrome d’Aix-Les-Milles (créé en 1939) et de la superposition de leurs axes de circulations, le ministre chargé des transports se prononça contre sa remise en état (8).
Les vestiges de cette histoire :
Avec le temps, la végétation ou l’urbanisation ont peu a peu fait disparaître toutes les traces de ce qui fut relaté dans cet article.
Les défenses militaires :
Plus haut dans cette article, sur la vue de 1943, j’ai indiqué certaines défenses, des lieux fortifiés construits par les allemands, entourant le secteur. Celles ci se trouvaient (entre autre) :
– Le long de l’actuel chemin de Lenfant (disparues à la fin des années 40) ;
– Le long de l’actuel chemin de la Valette (disparues à la fin des années 40) ;
– A l’angle de l’actuelle rue du Lieutenant Parayre et de l’actuel chemin de la Valette (dernières traces disparues à la fin des années 80).
– – –
Le terrain de Lenfant :
Il ne reste plus rien de lui.
– Les constructions bâties par les américains disparurent à la fin des années 40 mais on pouvait, jusque dans les années 60, voir encore très clairement l’emplacement qu’elles occupaient au sol. Certaines sont encore visibles.
– Les deux hangars qui s’y trouvaient depuis ses débuts furent détruits entre 1959 et 1960. De nos jours, les emplacements de ces deux hangars sont encore devinables du ciel.
Les lieux sont actuellement occupés par des terrains privés, où se trouve notamment le complexe du Z5, raison pour laquelle on se contentera ici de vues aériennes.
– Ci-dessous, l’état du terrain de Lenfant en 1955 :
– Ci-dessous (pour repère) la même vue en 2020 :
Enfin, entre la fin des années 80 et le début des années 90, une route fut créée, passant en travers de ce qui formait le terrain, l’actuelle départementale n° 59 – rue Claude Nicolas Ledoux.
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La voirie :
De nombreuses routes ont poussé depuis, ça et là, en particulier à la fin des années 60 avec la création du pôle d’activités d’Aix-Les-Milles. Par conséquent, le décor a beaucoup changé, ayant connu une urbanisation massive où de nombreux immeubles ont remplacé les champs d’autrefois.
Mais en cherchant bien, entre la départementale n°9 et l’aérodrome toujours existant, il reste une trace bien visible de cette période : la trace de l’ancienne route débutée par les allemands en 1943, qui reliait l’aérodrome au domaine de Riquetti (et qui fut ensuite prolongée par les américains jusqu’au terrain de Lenfant).
– La comparaison ci-dessous nous montre cette route en 1943 (vue de gauche – en jaune) et ce qui en est encore visible de nos jours (vue de droite – entouré en rouge) :
La première partie de ces restes ne sont pas très longs et sont encore visibles sur une longueur d’un peu plus de 250 mètres dans un axe N.O. / S.E. En les mesurant, on constate que cette route avait une largeur d’environ 10 mètres.
Tels qu’ils se présentent, ils ne figurent pas la route en elle-même, mais son tracé exact. Cette zone servit en effet a accueillir de nombreux tas de terre dans les années 70-80, qui ont eu pour effet de mettre en relief le tracé de cette route, là où elle aurait été enfouie et aurait disparu, si le temps seul avait fait les choses.
Il sont situés entre la départementale 9 au sud et la rue Yves Granon au nord sur une propriété privée.
Connaissant très bien ces champs je suis allé y faire quelques clichés sur place :
– Ci-dessous, une vue panoramique de l’ensemble du talus (mis en évidence en rouge) qui marque le passage qu’empruntait le chemin :
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Ce vestige de cette ancienne route n’est pas le seul car il en reste un autre, bien plus petit, mais qui avec un bon coup d’œil se remarque sans trop de peine.
Il se situe dans le prolongement nord du tracé qu’empruntait ce chemin, au niveau de la voie ferrée. On peut y observer une butte le long du chemin, aujourd’hui condamné, de la Valette :
Ce monticule longeant sur une dizaine de mètres la rive sud de la voie ferrée, est un vestige du passage qui permettait à la route aménagée en 1943 de franchir le chemin de fer Aix-Rognac qui passait au sud de la base.
C’est à peu près tout ce qu’il reste d’observable de cette période, à ma connaissance, dans les environs.
De nos jours :
Si l’aérodrome de Lenfant, apparu en 1936, n’existe plus depuis la fin des années 40, on pourra dire qu’il aura eu une existence mouvementée.
De son côté, l’autre aérodrome, créé dès 1939, existe toujours. Depuis le début des années 2000, il n’est plus rattaché à la base 114. Cette base a elle-même disparu, ayant laissé sa place à l’Ecole nationale supérieure des officiers de sapeurs pompiers (15).
L’aérodrome d’Aix-Les-Milles accueille toujours des vols privés, tout comme le faisait en son temps celui de Lenfant.
– Sources :
(1) Achat du terrain de Lenfant : Le Petit Marseillais du 15 avril 1934 (page 3, colonnes 3-4)
(2) Inauguration du chantier de l’aérodrome de Lenfant : Le Mémorial d’Aix du 12 mai 1935 (page 2, colonne 1)
et La Croix de Provence du 12 mai 1935 (page 2, colonne 5)
et Le Petit Marseillais du 9 mai 1935 (page 3, colonne 4)
(3) Déménagement de l’aéroclub de Provence : Le Petit Marseillais du 16 mai 1936 (page 2, colonne 1)
(4) Inauguration du terrain de Lenfant : Le Petit Marseillais du 30 mai 1936 (page 5)
(5) Inauguration officielle du terrain d’aviation Aix-Marseille de L’enfant : Les Ailes du 22 octobre 1936 (colonne 1)
(6) Concours modèles réduits à Lenfant : Le Petit Marseillais du 27 juin 1938 (page 3)
(7) Concours modèles réduits en 1942 : La Croix de Provence du 10 mai 1942 (page 1, colonne 6)
(8) Nouvel aérodrome aux Milles : atlas.aviation-civile.gouv.fr
(9) Thérèse Lavauden : Portrait of a provencal village – The Cornhill Magazine Autumn 1947 : Vol 162 Iss 972 (pages 427 à 432)
(10) Garland, Patrick V. 2012 Penal institutions in the European theater of operations. The Free Library (March, 22), https://www.thefreelibrary.com/Penal institutions in the European theater of operations.-a0284936496 (accessed November 17 2021)
(11) The Delta stage. Official staging area publication du 10 octobre 1945 (pages 1 et 4)
(12) European Theater Operations Board of Review Opinions (vol. 29 – pages 395 à 403)
et thefifthfield.com
(*) Rapport du colonel Julien C. Hyer en 1945 au D.T.C. des Milles : The Military Offender in the Theater of Operations (ETO-085) – Lien vers le PDF
(13) Evocations de pendus au D.T.C. : France Soir du 12 juillet 1946 (page 2)
(14) Abrogation des agréments des aérodromes en 1947 : Journal officiel du 12 février 1947 (page 1389)
(15) L’aérodrome d Aix-les-Milles, un booster pour le développement du PAAP – Mars 2018 (page 8)
Lien des document concernant la Delta Base section (3 parties)
Description des anciens aérodromes français : https://www.ww2.dk/Airfields%20-%20France.pdf
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