Dans l’article précédent, nous avions abordé l’histoire du Palais Comtal, (je vous conseille de le lire, il est en quelque sorte l’introduction de cet article).
A présent c’est au tour de la place qui lui faisait face et qui est toujours là: la Place des Prêcheurs.
En ce qui concerne la date de sa création, les sources divergent quelque peu. Selon le panneau informatif sur la place il faut remonter à la deuxième moitié du XIVe siècle tandis que sur site de la mairie d’Aix on avance la période du XVe siècle et selon l’auteur Roux-Alphéran sa création ne remonterait qu’à la fin du XVIe.
Ce qui est sûr, c’est que son emplacement était intégré à la ville lors de l’agrandissement de la ville qui eu lieu au XVe. Déjà à l’époque, cette place était un lieu d’échanges, de célébrations et de détente.
Mais elle fut cependant ternie par de bien funestes événements qui y furent perpétrés durant plusieurs siècles.
– L’état de la ville à cette époque :
Sa taille était minime par rapport à ce que l’on connait aujourd’hui, le Cours Mirabeau était encore loin d’exister et le Palais Comtal occupait encore l’espace où nous pouvons voir de nos jours le palais de justice, l’ancienne prison et la place Verdun. Hormis quelques placettes, aucuns lieux réservés uniquement à la promenade n’existaient. Autrement dit: tout restait à faire.
Pour mieux comprendre les divergences des sources concernant la date de sa création, il nous faut observer comment la ville a évolué jusqu’au XVIe siècle…
– De la création de la place à son essor :
Tout commence à l’emplacement où l’on peut voir aujourd’hui le lycée du Sacré-Cœur et le quartier l’entourant, à cet endroit existait le Jardin du roi René crée au XVe siècle en 1447, un terrain hérité de sa mère qu’il a agrandi au fil des années. Le roi y accédait en empruntant un passage : le Portalet qui, malgré de probables remaniements au fil du temps, est toujours existant.
Vers la fin du XVe siècle il déserta son Jardin, au profit d’une bastide qu’il acquit près de l’actuel chemin des Infirmeries près du Val de l’Arc. Le jardin disparu peu à peu, probablement par abandon.
Au XVIe siècle, par délibération du conseil du 15 Juin 1583, il fut décidé que les anciens terrains du Jardin du roi ainsi que les terrain alentours accueilleront un nouveau quartier, ainsi qu’un collège dirigé par l’ordre religieux des Jésuites (l’actuel lycée du Sacré-Cœur et la chapelle attenante). Ce nouveau quartier situé à l’est et appelé Villeneuve, fut un agrandissement majeur pour la ville.
Pour mieux comprendre tout cela, observons le plan ci-dessous:
– En bleu: les limites de la ville jusqu’au XIVe siècle.
– En orange: les limites de la ville lors de l’agrandissement du XVe siècle, on voit que la zone accueillant la place des Prêcheurs se trouve effectivement dans le périmètre de cet agrandissement.
– En rouge: l’agrandissement du XVIe siècle, celui de Villeneuve à l’emplacement de l’ancien Jardin du roi René.
– La croix rouge: l’emplacement de l’échafaud qui resta en place jusqu’en 1775.
– A présent, il nous est peut-être possible d’émettre une hypothèse quant aux divergences de dates en ce qui concerne la création de la place (celle-ci n’engage que moi):
Elle existait bien au XVe siècle, mais était encore accolée au limites de la ville de l’époque, à sa périphérie en quelque sorte, étant ainsi placée elle n’aurait prit son réel essor que lors du XVIe siècle avec la création du quartier Villeneuve, la place étant alors située au « centre » de deux « îlots » peuplés. Par conséquent, certains historiens ne l’ont peut-être pas considérée en tant que place avant qu’elle ne se retrouve au centre de la ville ancienne et de ce nouveau quartier.
Maintenant que nous avons fait le tour de son histoire, penchons nous à présent sur une autre facette de cette place, plus méconnue celle-ci :
– La place des exécutions :
Il est aujourd’hui difficile d’imaginer ce qu’était la place à l’époque. Car comme dit plus haut, c’était un lieu de divertissements et de promenade, mais tout en étant cela ce lieu accueillait un échafaud et ça c’est nettement moins festif !
Il suffit de jeter un œil sur d’anciens plans, et l’on y découvrira des détails qui reviennent toujours sur cette place: la présence d’une roue, d’un gibet, ou d’un échafaud.
La place des Prêcheurs devint en effet le lieu pour accueillir les exécutions publiques, et ce, peu après sa création. Les méthodes étaient radicales: les condamnés périssaient brûles vifs ou pendus, on pouvait aussi les attacher sur la roue et briser leurs articulations jusqu’à ce que mort s’en suive. Les pendaisons étaient courantes tout comme la décapitation ou le fait de ne couper qu’un ou plusieurs membres.
– Voyez les gibets sur ce détail d’un plan de la ville datant de 1575:
Et sur celui-ci datant de 1623:
Parmi ces exécutions on pourrait citer (entre autre, tant il y en eu) celle de Louis Gaufridi en 1611, il était prêtre de l’église des Accoules à Marseille et fut accusé de magie et autre sorcellerie au cours d’une bien sombre histoire d’hystérie collective qui se propagea dans la région. Pour cela il fut brûlé, mais obtenu cependant la « grâce » d’être étranglé en montant au bûcher, (malheureusement, la corde aurait cassé avant de l’avoir tué).
On peut aussi évoquer la journée du 13 Septembre 1768, où une bande entière de voleurs fut exécutée soit un total de 14 personnes: 11 hommes passèrent sur la roue, quant à deux autres hommes et une femme, c’est la pendaison qui leur fut réservée. Il serait difficile de dresser un recensement complet du nombre de personnes qui furent exécutés sur cette place, principalement sur la période couvrant les XVIIe et XVIIIe siècles.
– La fin de l’échafaud de la place des Prêcheurs :
La population du quartier n’appréciait pas que ces démonstrations morbides aient lieu sur cette place si belle et si fréquentée. Le conseil avait pourtant délibéré en 1643 que l’échafaud soit déplacé mais on ne sait pourquoi, rien ne fut fait. Les choses avancèrent finalement quand le marquis de Vauvenargues fit une demande auprès de Louis XVI afin de détruire cet échafaud et déplacer le lieu des exécutions. Ce qui fut accepté. (On notera que Louis XVI qui accepta la destruction de l’échafaud mourut lui même décapité sur un échafaud le 21 Janvier 1793…) Restait à détruire ce symbole morbide tout en pierre de taille qui trônait sur la place… Ce qui visiblement fut un autre problème, car parait-il qu’aucun des maçons présents (pourtant appelés pour la destruction!) ne voulu toucher l’échafaud de peur que l’on dise un jour à l’un de leur descendant que l’un de ses ancêtres était monté sur l’échafaud.
Et c’est finalement le deuxième consul de la ville qui prit les devant et porta lui même le premier coup de pioche le 4 Décembre 1775. Les emplacements précis des gibets et de la roue sont aujourd’hui difficilement identifiables. En revanche on sait que l’échafaud se trouvait sur la place exactement dans l’alignement de l’actuelle rue Manuel (voir sur le plan plus haut) et que selon l’auteur Roux-Alphéran, certaines pierres de sa base étaient encore visibles au XIXe siècle.
Pour les plus curieux d’entre vous, pas la peine de scruter le goudron aujourd’hui, il n’en reste plus rien. Les exécutions ne s’arrêtèrent pas pour autant, elles avaient seulement lieu ailleurs en ville, le lieu choisi fut une zone plus isolée du regard des habitants. Il se situait sur la lice extérieure le long du rempart nord-est, à proximité de ce qui est aujourd’hui la place Miollis, à peu près là où se trouve aujourd’hui le boulevard près du lycée Vauvenargues.
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A noter qu’à la Révolution, à la toute fin du XVIIIe siècle, des exécutions à la guillotine eurent de nouveau lieu sur la place des Prêcheurs (Roux-Alpheran – Aix sous la Terreur – 2013).
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En 1786, le Palais Comtal qui faisait face à la place fini par être détruit et tout le quartier l’entourant à l’ouest fut remodelé. En ce qui concerne la zone entourant la place à l’est (quartier de Villeneuve), elle a conservé sa forme générale hormis quelques agrandissements qui ont fini par donner à la ville la taille qu’elle a aujourd’hui.
Citons au passage la présence d’une haute fontaine édifiée en 1758.
Vous remarquerez que je ne me suis pas penché sur l’histoire de l’église de la Madeleine qui pourtant possède une très longue histoire. C’est tout simplement car je ne peux pas évoquer tout les lieux et monuments à la fois. Chaque chose en son temps…
– Sources:
Roux Alphéran: Les rues d’Aix Tome 1 et 2
aixenprovence.fr
Jean Paul Coste – Aix en Provence et le Pays d’Aix ed. 1979
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