Article initialement publié en novembre 2014, intégralement réécrit et augmenté le 19 septembre 2020
– Précision, cet article a été intégralement réécrit depuis sa publication en 2014 et certaines photos ont été remplacées par de nouvelles réalisées en septembre 2020. Pour prendre ces nouveaux clichés, je ne me suis pas introduit dans le jardin, son accès étant interdit, je suis resté à l’extérieur.
Aix-en-Provence a une origine antique, c’est un fait. Cependant, lorsqu’on la visite, rares sont les éléments de cette période qui sont encore observables in situ, c’est à dire, sur leur emplacement d’origine. Certains le sont un peu, d’autres moins, ou pas.
A mon sens, les plus importants les mieux dégagés sont présents au nord de la ville. Mais d’autres, que l’on verra en fin d’article, sont tout aussi importants.
Evoquons donc un site qui, selon moi, mérite mieux que ce qu’il est aujourd’hui, le site du jardin de Grassi.
Les vestiges du jardin de Grassi :
Nous allons nous intéresser au cas du jardin de Grassi. Pour le trouver nous allons nous diriger au nord du centre ancien, entre les thermes et l’hôpital, près du croisement entre la rue des Nations et la rue de la Liberté.
Au premier abord, ce lieu pourrait ressembler à un banal square mais en y regardant de plus près, on s’aperçoit que la vue qui s’offre à nous, c’est ce qu’il reste de villas antiques.
L’histoire de ces vestiges, c’est aussi, nous le verrons, une bien triste histoire en matière de conservation du patrimoine archéologique. Pour mieux comprendre, remontons le temps jusqu’à la date de leur découverte…
La découverte du site archéologique du jardin de Grassi :
La majorité des sources évoquent une période autour de 1940, mais il semble que des vestiges antiques avaient déjà été trouvés dans cette zone dès le XIXe siècle en 1809. Cette indication provient d’un livre datant de 1812 qui a pour nom « Mémoire sur l’ancienne cité d’Aix ». (1).
Toujours est-il que c’est vers 1940, lors du creusement de tranchées de défense passive que l’on aurait redécouvert ce lieu qui à l’époque n’accueillait aucune construction.
1940-1950 – Les premières fouilles :
De 1940 à 1945, des fouilles furent effectuées sur place par Fernand Benoit, Jean Irigoin et Robert Ambard (2) qui leur permirent de faire de nombreux relevés, notamment les vestiges de villas :
Il y constatèrent alors la présence d’un péristyle rhodien, d’un jardin entouré de portiques, et de salles dallées de marbres et mosaïques.
Mais peu d’années après la découverte, les fouilles furent interrompues et le terrain laissé à l’abandon. Durant cette période d’oubli, la zone fut apparemment pillée, ce qui engendra la perte de bon nombre de vestiges présents sur place (pièces de monnaies, mosaïques, parties de statues). Le temps passant, la zone prenait lentement la forme d’une décharge.
– – –
1956-57 – La reprise des fouilles :
En 1956, de l’intérêt fut porté à ce terrain, mais pas pour sa valeur historique. En effet, un groupe scolaire devait y être construit. Et bien qu’apparemment les terrains disponibles aux alentours ne manquaient pas, on décida malgré tout de construire les écoles sur CE terrain là. Ce terrain où 16 ans plus tôt furent découverts de luxueux vestiges antiques.
L‘Association pour la Protection des Demeures Anciennes et Paysages Aixois créée un an plus tôt, entreprit alors des démarches afin de sauver la villa et le jardin. Démarches qui se soldèrent par un échec (3).
Lors des travaux au cours desquels on construisait les écoles, on effectua d’autres fouilles, entre deux coups de pelleteuse, on tentait de sauver et noter ce qui pouvait encore l’être. Des relevés furent effectuées lors du creusement des fondations du groupe scolaire. Ceux-ci révélèrent alors non pas une, mais plusieurs villas réparties sur une bonne partie de la zone :
Ces mêmes relevés superposés à une vue de 1964 :
– Extrait d’un rapport de fouilles par Robert Ambard daté du 16 février 1958, issu des archives nationales :
Comme l’écrivait aussi Fernand Benoit en 1958 (4) : « La construction d’un groupe scolaire dans le restant du terrain a anéanti tout espoir de doter Aix d’un monument romain de quelque importance (…) Seul avait été réservé l’emplacement du péristyle rhodien à colonnes jumelées ».
– – –
Les écoles construites mais une petite zone de vestiges conservée :
Les écoles une fois achevées, on conserva cependant une toute petite partie du site en l’état. Une bien maigre consolation au vu de ce qui se trouvait là.
Sur l’illustration ci-dessous qui représente le quartier on découvre:
– En orange: les écoles bâties à la fin des années 50.
– En mauve: la zone conservée contenant les vestiges encore visibles aujourd’hui.
– En pointillés: la zone totale où furent dégagés des vestiges lors des travaux.
La zone conservée, visible en mauve, sur notre vue aérienne de 1964 :
Comme on le voit sur les illustrations ci-dessus, la zone conservée est bien maigre lorsqu’on la compare à la totalité de celle où l’on a trouvé des vestiges. Il est même probable qu’il y en ait au delà de cette zone, étant donné que ce quartier se situe dans le périmètre de la ville antique (voir Aix au fil des siècles).
Cette petite zone toujours accessible (5), fut elle aussi fouillée au cours de l’année 1959 et d’autres relevés y furent effectués et certains éléments, notamment des base de colonnes y ont été replacées :
Ce lieu était, lors de l’antiquité de luxueuses villas agrémentée d’un jardin. Le site fut fouillé jusque dans les années 60 :
Selon Fernand Benoit (5), ces demeures n’auraient pas perduré au delà d’une période oscillant entre les IVe et Ve-VIe siècles.
– – –
1958 et 1988 – Un site classé aménagé :
Le désormais nommé site archéologique de Grassi, d’une superficie de 675 m², fut classé au Monuments Historiques en date du 30 octobre 1958 (6). Puis, en 1988, le site fut agrémenté d’un décor en trompe-l’œil et de divers aménagements pour l’accueil du public (7).
– – –
Le site au XXIe siècle :
Les années ont passé depuis son aménagement, la nature a peu à peu repris ses droits, ses visiteurs ont pris pour habitude d’y laisser un peu trop de déchets.
J’avais eu l’occasion de le photographier à 360° en octobre 2014, depuis l’intérieur, visible ci-dessous :
En 2015, de nouvelles fouilles ont été effectuées sur place dans le cadre d’un programme de revalorisation du site, comme l’indiquait une affiche sur le portail :
Depuis, le site est fermé au public et uniquement observable depuis la rue (sauf parfois lors de journées du patrimoine), et a connu de nouvelles fouilles en 2016. Certaines zones dernièrement fouillées sont toujours protégées :
Personnellement, et au moment où j’écris ces lignes, en septembre 2020, bien que je leur trouve un certain charme (de tels vestiges ne laissent pas indifférent), je trouve le lieu bien triste, comme abandonné, indiqué par aucun panneau.
Rien sur place n’explique ce que sont ces ruines (classés MH, je le rappelle) et pourtant, cette zone est probablement celle qui offre le plus de vestiges antiques visibles dans le centre d’Aix.
Enterrées en plusieurs endroits, on remarque de nombreux fragments de colonnes :
En observant attentivement certaines, on peut y voir des gravures sur leurs faces :
A partir de 1959 (5), plusieurs bases de colonnes ont été remises en place :
Depuis le sud du site, on peut observer ce qu’il reste du sol mosaïqué d’une des galeries qui longeait le péristyle sur lequel on distingue des fragments de colonnes brisées :
De nombreuses mosaïques comme celle-ci sont aussi visibles au sol :
Sur une colonne replacée (peut-être pas entièrement d’origine) on peut observer un chapiteau (reproduction ? – encore une fois, je n’en sais rien, aucune explication n’est présente, on ne sait pas ce qui est vrai ou « faux ») :
– – –
En 2016 (7), la ville annonçait que suite au fouilles de cette année là, une étude menée par un architecte du patrimoine allait être réalisée pour la revalorisation de ce site et de celui des thermes, rares lieux où l’on peut encore voir des vestiges concrets de « l’Aix antique ». Qu’en est-il à présent ?
– – –
En attendant :
Aix antique ?
Pour reprendre mon introduction : Aix-en-Provence a une origine antique, c’est un fait. Et Aix aime bien revendiquer son passé antique mais sur place, c’est bien peu visible.
Et bien qu’elle ait peu de vestiges de cette période qui soient encore à l’air, c’est aussi un fait, il faut tout de même se rendre à l’évidence : Aix possède des vestiges antiques observables in situ, et pour citer les plus « connus » : il y a ceux aux thermes, ceux du site de Grassi ou encore le théatre antique sur le site de la Seds (je mentionne ici des vestiges que l’ont pourrait considérer comme « publics », pas ceux qui se trouvent chez des particuliers).
Il est intéressant de mentionner l’Association Archéologique Entremont qui, rappelant l’absence d’un véritable musée archéologique à Aix, a suggéré le projet de créer un circuit archéologique balisé à Aix dès 2009 mais ce projet n’a, en l’état, jamais été retenu.
–
Tour d’horizon des vestiges antiques aixois visibles in situ :
1 – Le site des thermes est bien présent. Certes on peut observer les vestiges en trouvant le bon angle, comme ci-dessous…
…mais parfois la buée due à l’humidité s’invite (c’est pareil de l’intérieur du bâtiment) et le contraste avec la lumière extérieure demandent un bon œil pour y voir quelque chose :
A noter que des vestiges des thermes antiques aixois sont aussi visibles sous le sol, sous vitres, à l’intérieur du bâtiment actuel des thermes :
(Remerciement au personnel des thermes qui m’ont permis d’effectuer des clichés à l’intérieur de l’établissement.)
– – –
2 – Le site de Grassi est visiblement en suspend depuis 2016 (cf. plus haut) ;
– – –
3 – Le fameux théâtre antique mis au jour en 2004 a été réenfoui, lui aussi visiblement en suspend :
Les vestiges du théâtre antique à 360° en mars 2015 sur Google Maps :
– – –
Et n’oublions pas la cathédrale Saint-Sauveur, dans laquelle sont observables des dalles du forum antique (près du baptistère) et une portion de cardo secondaire (voie antique pavée axée Nord-Sud) visible ci-dessous :
– – –
Les vestiges indirects de la ville antique :
Vous ne le saviez peut-être pas mais à défaut d’observer des vestiges vraiment mis en valeur, vous avez déjà observé, ou plutôt emprunté des vestiges indirects de l’Aix antique.
En particulier au niveau du tracé de certaines voies qui reprennent certains schémas de la ville antique, avec entre autre (liste non-exhaustive) :
– La rue Gaston de Saporta prolongée par la rue Jacques de la Roque qui reprend à peu près le tracé de l’ancien cardo maximus (voie principale d’axe Nord-Sud de la ville antique) ;
– La rue du Bon-Pasteur prolongée par la rue Célony puis le cours des Minimes qui pourrait reprendre à peu près le tracé de l’ancien décumanus maximus (voie principale d’axe Est-Ouest de la ville antique) ;
– Une portion de la rue Irma Moreau qui suit une partie du rempart sud de la ville antique ;
– La rue Pierre et Marie Curie qui suit le tracé du rempart Est de la ville antique ;
– L’avenue Henri Pontier qui suit à peu près le tracé du rempart nord de la ville antique.
Pour finir :
Je vais arrêter mon article ici sinon il pourrait encore durer et finir par être hors-sujet. Le sujet initial était les vestiges du jardin de Grassi mais devait indéniablement dévier sur la mise en valeur du passé antique de la ville. Mise en valeur qui tarde quelque peu (depuis quelques décennies en fait) à être mise en application.
La faute à qui ? Je ne suis pas là pour chercher un coupable (entre l’Etat, les municipalités successives, le Département, la Région et la question du budget, je suis bien conscient que le casse tête ne manque pas d’acteurs). En tant qu’amateur de vieux cailloux, je trouve juste qu’il y a un gros paradoxe entre ce potentiel historique antique exploitable et un immobilisme vis-à-vis de lui un peu trop ancré.
– Sources:
(1) Le livre « Mémoire sur l’ancienne cité d’Aix » sur Google Books
(2) Benoit Fernand. Recherches archéologiques dans la région d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). In: Gallia, tome 5,
fascicule 1, 1947. pp. 81-122;
doi : https://doi.org/10.3406/galia.1947.2016
https://www.persee.fr/doc/galia_0016-4119_1947_num_5_1_2016
(3) apdapa.free.fr
(4) Benoit Fernand. Circonscription d’Aix-en-Provence (Partie Sud). In: Gallia, tome 16, fascicule 2, 1958. pp. 412-447;
https://www.persee.fr/doc/galia_0016-4119_1958_num_16_2_2248
(5) Benoit Fernand. Circonscription d’Aix-en-Provence (Région sud). In: Gallia, tome 18, fascicule 2, 1960. pp. 286-327;
https://www.persee.fr/doc/galia_0016-4119_1960_num_18_2_2307
(6) Classement du site archéologique de Grassi : https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/PA00081106
(7) http://www.aixenprovence.fr/Le-Jardin-archeologique-de-Grassi
Sources complémentaires : voir aussi « Carte archéologique de la Gaule – Aix-en-Provence, Pays d’Aix, Val de Durance – 13/4 » – Florence Mocci, Nuria Nin (2006) – pages 286 à 291
Voir les commentaires (1)
Merci pour cet article précis
Nous espérons que le site soit entretenu,
en attendant en effet aussi l'exploitation du site de l'amphithéâtre