Elle est discrète cette impasse Paradis, elle n’est pas bien grande et pourtant lorsque l’on commence à chercher l’origine de son nom, ça se corse… Cette voie en partie couverte (aussi nommée « impasse –du– Paradis ») se trouve sur la ligne nord de la rue Aumône-Vieille. Sur place, une simple inscription manuscrite est là pour signaler l’existence du lieu, néanmoins un panneau nommant l’impasse est présent derrière la grille fermant ce passage privé.
On peut se demander la raison d’un tel nom et nous allons découvrir que l’origine de sa dénomination pourrait être plus complexe qu’il n’ y parait. Au fil du temps, plusieurs historiens locaux se sont penchés sur le sujet et il va nous falloir décortiquer leurs différentes recherches pour mieux en connaitre la signification.
Pour tenter de trouver l’origine de son nom, nous allons nos baser sur les écrits de certains d’entre eux : Ambroise Roux Alphéran (1776-1858), André Bouyala d’Arnaud (1894-1967) et Jean Pourrière (1887-1972) qui se basa sur quelques éléments issus des recherches de Pierre Joseph de Haitze (1656-1737).
Ces érudits locaux ont en effet abordé ce lieu dans quelques-uns de leurs ouvrages, ce qui nous permettra de faire quelques comparaisons et ainsi espérer d’y voir un peu plus clair entre leurs différentes versions qui furent chacune rédigées à différentes époques.
– Avertissement pour le lecteur : cet article est en partie basé sur plusieurs suppositions provenant de sources qui remontent pour certaines à plusieurs décennies voir plusieurs siècles et qui vont d’hypothèses en hypothèses. Les écrits anciens que je vais mentionner dans cet article ont, certes, été couchés sur papier, mais on ne sait que trop bien à quel point le temps peut parfois déformer l’Histoire et les faits. Ainsi, il serait toujours préférable de garder un certains recul en ce qui concerne ma tentative d’explication.
Un peu d’histoire :
Commençons par le commencement, son emplacement précis. La zone qui nous intéresse aujourd’hui se trouve au cœur du pâté de maison entouré de nos jours par quatre rues : la rue Lieutaud à l’ouest, la rue Aumône-Vieille au sud, la rue des Magnans à l’est et celle des Cordeliers au nord.
Cette zone fut intégrée à l’intérieur des remparts aux alentours du XIIIe siècle, période où la ville était bien plus réduite que celle que l’on connait de nos jours mais tout de même agrandie par rapport à ce qu’elle était au XIIe siècle (voir Aix au fil des siècles pour mieux comprendre). C’est par le coté nord de la rue Aumône-Vieille que l’on accède à cette impasse aujourd’hui fermée par une grille.
N’ayant pu photographier que l’entrée, je vais donc mieux vous situer tout cela grâce à une vue aérienne des lieux :
Sur la vue ci-dessus on distingue les rues entourant le pâté de maison et l’emplacement de l’impasse Paradis en rouge.
Nous allons pouvoir commencer à comparer les différentes explications apparues au fil du temps à propos du nom de l’impasse :
Attention, suppositions :
I – L’impasse Paradis selon Ambroise Roux-Alphéran :
Avant d’aller plus loin, je me dois d’aborder ou de rappeler l’histoire d’un jardin qui se trouvait au centre de cet îlot selon l’historien Roux-Alphéran car ce détail aura son importance pour la suite de l’histoire. J’avais déjà évoqué cette zone dans l’article traitant de la rue des Magnans que je vous invite à relire. Je ne compte pas répéter tout l’article mais voici une indispensable petite piqûre de rappel, car il pourrait y avoir un lien entre le nom de cette impasse et un jardin qui était tout proche.
Donc pour rappel :
Au XVIe siècle, un certain Hugues Bompar, seigneur de Magnan et trésorier général des états de Provence fit l’acquisition d’un vaste terrain situé à l’ouest de l’actuelle rue des Magnans. Ce choix géographique ne fut sans doute pas un hasard car son père avait quant à lui acheté une demeure un siècle plus tôt dans l’ancienne rue du Pont (l’actuelle rue Félibre Gaut) parallèle à l’actuelle rue des Magnans et donc toute proche. Ce terrain, qui devint jardin, fut mieux desservi en eau lorsque le fils de Hugues, Vincent II, fit venir l’eau d’un puits situé à quelques rues de là, ce qui donna lieu à la pose d’une fameuse et curieuse plaque dont j’ai donné la signification dans l’article concernant la rue des Magnans. (Basé sur Les Rues d’Aix de Roux-Alphéran)
1 – Ambroise Roux-Alphéran, historien du XIXe siècle rapportait que certains supposaient que le nom de Paradis était du à la grande beauté du jardin des Bompar-Magnan (l’histoire contée ci-dessus).
« …et que ce jardin se nommait le Paradis, comme étant un véritable lieu de délices… » (Roux Alphéran – Les Rues d’Aix-Tome 1 – 1846)
Un lieu de toute beauté donc, tellement charmant qu’il aurait été comparé au Paradis, jusqu’à en prendre le nom. Cependant, on apprend plus loin dans le texte que le lieu portait déjà ce nom bien avant son occupation par les Bompar-Magnan…
Voici une vue représentant la zone vers le XVIe siècle, on y distingue en effet une vaste zone non bâtie au centre de l’îlot :
2 – Toujours dans son ouvrage « Les Rues d’Aix », Roux-Alphéran ne s’arrête pas là et mentionne aussi certaines découvertes faites sur place, mais en étant plus affirmatif cette fois. On y aurait en effet mis au jours des ossements humains à plusieurs reprises d’après ce qu’une habitante lui aurait rapporté (la propriétaire des lieux de 1790 à 1842). En général, la présence et la mise au jour répétée d’ossements, pourrait laisser présager la présence d’un ancien cimetière mais d’après lui, aucun acte des siècles passés ne mentionnait l’existence d’un cimetière à cet emplacement. Cependant, rien n’empêche qu’un lieu d’inhumation ait pu se trouver là par le passé et la présence de ces ossements n’est pas un hasard. L’existence de ce cimetière aurait tout simplement pu tomber dans l’oubli le plus complet au fil du temps.
Si l’on s’en tient au recherches de Roux Alphéran, on pourrait donc affirmer que ce Paradis aurait en fait été un cimetière…
II – L’impasse Paradis selon André Bouyala d’Arnaud :
Dans son ouvrage « Evocation du vieil Aix en Provence » paru en 1964, André Bouyala d’Arnaud n’est pas allé plus loin que les écrits de Roux Alphéran et s’est contenté de reprendre presque mot pour mot la version de ce dernier en laissant supposer, là aussi, la possible existence d’un ancien cimetière. Nous n’en saurons donc pas plus pour l’instant.
A présent, une petite question :
En admettant qu’un cimetière se trouvait là, (bien qu’au final on n’en sache rien) pourrait-on aller encore plus loin et imaginer qu’une église ou une chapelle aurait pu être attenante à cet hypothétique lieu d’inhumation? En effet, autrefois il était courant de trouver des cimetières à proximité des églises.
Aussi curieuse soit-elle, ma question a pourtant peut-être sa réponse dans les recherches d’un autre historien : Jean Pourrière.
III – L’impasse Paradis selon Jean Pourrière :
Au XXe siècle l’historien aixois Jean Pourrière se pencha lui aussi sur le sujet dans son ouvrage « Recherches sur la première cathédrale d’Aix en Provence » paru en 1939. Cet ouvrage est devenu assez difficile à trouver de nos jours mais il est consultable à la bibliothèque Méjanes.
Dans une partie de cet ouvrage, Mr Pourrière tente un recensement et une localisation des églises qui existaient à Aix à la fin du XIIe siècle. Parmi celles-ci, se trouvait une église Saint-Pierre (Sancti Petri). On ne connait plus son emplacement exact mais Jean Pourrière, après bien des recherches a émis une supposition concernant sa localisation et nous verrons qu’elle pourrait avoir un lien avec l’impasse Paradis, en précisant bien qu’il ne faisait là qu’une simple supposition.
En plus de s’être basé sur d’anciens actes de ventes et autres documents d’archives, il recoupa ses découvertes avec certains écrits comme ceux de Roux-Alphéran mais aussi d’autres, plus anciens encore, comme ceux de Pierre-Joseph de Haitze, un historien local des XVIIe-XVIIIe siècles.
1 – Jean Pourrière dénicha une information importante provenant des recherches de De Haitze. Un acte de vente datant du 16 Mars 1573 mentionnant :
« …la maison dicte de Paradis (…) à la rue dicte du Paradis… »
En plus d’avoir une date précise (1573), on lit que le terme « Paradis » était effectivement déjà utilisé dans cette partie du XVIe siècle pour nommer cette zone.
Cette information nous amène à une question : était-ce avant ou après l’acquisition des lieux par les Bompar? Car si c’était avant, cela signifierait que l’appellation « Paradis » aurait été utilisée alors qu’il n’y avait pas encore de jardin. Si tel avait été le cas, quelle aurait alors été la raison d’une telle appellation à part pour nommer quelque chose de plus « spirituel » et pourquoi pas, un lieu d’inhumation? Si l’on retient cette idée, un cimetière aurait donc pu effectivement se trouver là avant l’existence dudit jardin comme l’avait supposé Roux-Alphéran et ainsi expliquer le nom du lieu. Cependant, ce dernier mentionne que le lieux ont été acquis par Hugues Bompar dans « le milieu du XVIe siècle » Pas de date précise donc, ce qui ne prouve rien certes, mais ne contredit rien pour autant.
J’ajouterai, de plus, que la pierre posée par les Bompar-Magnan dans l’actuelle rue des Magnans porte la date de 1584, donc après 1573. En admettant que la pierre ait été posée peu après leur arrivée et que ces derniers soient arrivés après 1573, cela confirmerait que le lieu portait déjà le nom de Paradis avant leur présence et que ce nom ne venait donc pas de leur jardin mais de quelque chose de plus ancien encore (cette idée n’engage que moi).
Et ça n’est pas tout…
2 – Les anciens actes trouvés par Jean Pourrière mentionnaient que l’église Saint-Pierre d’Aix se trouvait à l’extérieur de la ville, tout près de ses limites (ou plutôt celles de la ville Comtale), et non loin des remparts, ceux-ci se trouvant au niveau de l’actuelle rue de la Verrerie au XIIe siècle. Et en y regardant bien, cette rue est en effet très proche de l’impasse Paradis. L’église Saint-Pierre d’Aix se trouvait peut-être bien là mais au final, là encore, rien ne nous le prouve malgré ces multiples indices récoltés par Mr Pourrière au cours de ses longues recherches.
3 – Il fit aussi un intéressant parallèle entre le nom de l’église qu’il cherchait à localiser (Saint-Pierre) et celui du lieu (Paradis). Saint-Pierre était en effet le gardien des portes du Paradis. Il fit un second parallèle avec Marseille où au Xe siècle se dressait une église Saint-Pierre située dans un ancien quartier du nom de Paradis. Cette église, à l’état de ruine fut reconstruite au XIe siècle et fut désormais appelée « Saint-Pierre du Paradis ». Il mentionna ces suppositions en précisant tout de même qu’il y présentait toutes ses réserves. Après tout, ça n’est pas parce qu’une chose s’est passé à Marseille qu’il en fut de même à Aix.
Bien que Jean Pourrière insista sur le fait qu’il ne faisait que supposer que l’église Saint-Pierre aurait pu se trouver non loin de l’impasse Paradis, j’ai tenu à mentionner cette idée tant il y a de concordances entre ses supposition liées à l’avis de Roux Alphéran et à la citation de De Haitze sur la question.
Au final, qu’en est-il réellement ?
Nous venons de faire le tour des diverses suppositions qui se sont présentées au fil du temps et il faut se résoudre à un évidence : aucune n’est formellement confirmée. J’aurais aimé une conclusion ferme et définitive mais parfois le passé garde une partie de ses mystères.
Malgré tout, nous en savons plus. L’appellation « Paradis » fut très probablement utilisée pour le jardin des Bompar-Magnan mais le fut peut-être aussi plus primitivement. Par ailleurs était-ce réellement le jardin de cette famille ou était-ce d’autres propriétaires au moment des faits? Rien n’empêche de douter de l’exactitude de ce détail.
Au XXe siècle Jean Pourrière nous montra que bien des siècles après les faits, on peut encore faire avancer l’histoire. En usant de suppositions à propos d’une hypothétique église certes, mais basées sur des documents anciens renfermant des détails assez justes pour que ces idées puissent être exposées. Il est par ailleurs étonnant qu’André Bouyala d’Arnaud n’ait retenus que les écrits de Roux-Alphéran et mis de côté les suppositions de Jean Pourrière qui étaient pourtant parues 25 ans plus tôt. Peut-être ne les avaient-il pas considérées assez fondées.
La présence de cette ancienne église Saint-Pierre dans les environs, si elle est avérée, (ce qui n’est pour l’instant pas le cas), pourrait alors expliquer l’existence d’un cimetière et la découverte d’ossements dans le jardin au cours des siècles passés. Ainsi, peut-être pourrions nous confirmer définitivement l’explication du nom de cette impasse qui, aussi petite et si discrète soit-elle, renferme encore bien des mystères.
Je rappelle encore qu’une bonne partie des textes cités plus haut n’ont donné lieu qu’à des suppositions, rien n’est à proprement avéré, hormis la présence de la famille Bompar-Magnan.
Puisque nous en sommes a parler d’impasses, attardons nous plus sommairement sur une autre impasse qui n’a pas de lien avec le sujet évoqué précédemment mais qui mène elle aussi à ce pâté de maison :
L’impasse de la Roumette :
Contrairement à l’impasse Paradis, l’impasse de la Roumette ne porte aucune inscription la mentionnant. Ce nom ne semble en effet plus utilisé depuis pas mal de temps déjà, de plus un portail en ferme là aussi l’accès et ce, dès le trottoir.
Son entrée est visible dans l’actuelle rue Lieutaud (qui portait autrefois le nom de rue des Patis ou encore celui des Pénitents Noirs).
Cette voie, comme nous l’apprend l’historien Roux-Alphéran, menait à un local situé de l’autre côté de cet îlot, dans la rue des Magnans : l’Hôtel de la Monnaie. Comme son nom l’indique, on y frappait la monnaie. Ce local garda cette fonction du milieu du XVIe siècle jusqu’à la fin du XVIIe, période ou cet Hôtel de la Monnaie quitta le centre ancien. Il fut alors déplacé au cœur du quartier Mazarin dans ce qui était l’ancienne rue du Cheval-Blanc, devenue alors rue de la Monnaie et qui est aujourd’hui la rue Frédéric Mistral.
Ce « nouvel » Hôtel de la Monnaie resta dans le quartier Mazarin jusqu’a sa suppression en 1786, année où il fut alors vendu à un certain Joseph Philippe Bonnet de la Beaume, conseiller au parlement. Ce nouveau propriétaire des lieux fit abattre le bâtiment pour y élever son hôtel particulier, l’Hôtel Bonnet de la Baume, dont l’entrée se trouve toujours au N°2 de la rue Goyrand.
Nous avons donc débuté cet article dans l’impasse Paradis pour finir dans la rue Goyrand à parler de monnaie, deux rues qui n’ont absolument rien à voir. Je vais donc m’arrêter là pour ce sujet car en voulant traiter du passé d’Aix on a vite fait d’être promené d’une rue à l’autre, c’est comme ça, c’est ce qui fait tout le charme de l’Histoire…
– Sources :
Ambroise Roux-Alphéran – Les rues d’Aix – Tome 1 (1846-1848)
André Bouyala d’Arnaud – Evocation du vieil Aix en Provence (1964) – Pages 104 et 107
Jean Pourrière – Recherches sur la première cathédrale d’Aix en Provence (1939) – Pages 101 et 102
– Plan de Belleforest (1575) – Gallica