A l’est de la zone commerciale de la Pioline, entre Aix et le village des Milles, un pont routier permet de traverser l’Arc. Ce pont, plutôt banal, est emprunté chaque jour par une foule de véhicules et fait désormais partie du décor.
Pourtant, il n’a pas toujours existé et il faut savoir qu’entre le souhait des habitants de le voir naitre, et sa réalisation, beaucoup de temps s’est écoulé. Retour sur son histoire…
Relier les deux rives de l’Arc :
Inventaire des moyens de traverser l’Arc autour des Milles entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe :
Jusqu’au début du XXe siècle, les alentours du village des Milles étaient encore très ruraux.
Et, en admettant que vous vous trouviez sur l’une des deux rives de l’Arc et que vous vouliez traverser ce cours d’eau avec un véhicule de type « charrette aux proportions un peu trop larges », cela n’était pas si simple.
En effet, les choix étaient plus que limités. Vous aviez dans les parages :
N°1 – Le pont routier situé dans le centre du village des Milles, construit en 1845, (partiellement détruit en 1907 et rouvert en 1909) adapté aux véhicules ;
N°2 – Le pont ferroviaire situé à l’ouest du village des Milles construit en 1877, mais pas adapté aux véhicules, car dédié aux trains. (un chemin le longeait et le longe encore, mais j’ignore si des véhicules l’empruntaient)
Deux autres options s’offraient à vous, mais bien plus loin :
N°3 – Le pont de Saint-Pons, à l’ouest des Milles, présent depuis le XIVe siècle et élargi au XVIIIe, mais à près de 4 km du village ;
N°4 – Le pont de l’Arc, dans le quartier du même nom à l’est du village, présent lui aussi depuis bien longtemps et adapté aux véhicules, mais se trouvant encore plus loin, à près de 6 km du village des Milles.
Une partie en particulier posait problème : celle entre le pont du village des Milles et le Pont de l’Arc, car elle formait une zone de presque 6 km, sans possibilité de faire la traversée.
Certes, des passerelles avaient été construites ça et là, mais elles n’apportaient aucune sécurité à leurs usagers, ne supportaient pas de charges trop lourdes et / ou encombrantes et étaient trop souvent emportées par les crues, ce qui nécessitait de les reconstruire à chaque fois.
Le problème remontait à loin, car c’est depuis la seconde moitié du XIXe siècle que les habitants, dont certains possédaient des terres sur les deux rives du coté de la Pioline, n’ont eu de cesse de demander à la municipalité la création d’un pont, un vrai (1).
Malheureusement, la municipalité d’alors aurait beaucoup tardé à prendre en compte cette demande des habitants, probablement pour une question de coût, laissant les choses de côté durant plus d’un demi-siècle et forçant par conséquent les habitants à faire détour sur détour pour passer d’une rive à l’autre.
1928 – Edouard Pellegrin et le projet d’un nouveau pont entre les Milles et Aix :
Dans les années 1920, Edouard Pellegrin, conseiller général du canton sud d’Aix, trouva une solution à ce problème d’accessibilité qui commençait à dater et à peser. Son idée : faire appliquer la charge des coûts de la réalisation du pont, non plus à la commune, mais au département.
Voyant le peu d’action de la ville face à la prise en charge des dépenses liées à la construction du pont, Pellegrin parvint à faire classer un chemin dit « des Poissonniers », en l’incluant dans l’ancien chemin d’intérêt commun n°13 (2).
Ce dernier reliait alors l’ancien chemin de grande communication n°15 (G.C.15, l’actuelle D9) au sud, et l’ancien chemin d’intérêt commun n°13 (I.C.13, l’actuelle D65) au nord, par une passerelle :
Du fait du classement de l’ancien chemin dit « des poissonniers » au réseau de communication de chemins d’intérêts communs, en date du 15 mai 1929, la charge financière n’était plus du ressort de la commune, mais revenait désormais au département (3), dans sa majorité.
La passerelle allait, enfin, pouvoir laisser sa place à un pont, un vrai.
1932-1933 – Le projet du pont prend enfin vie :
Le classement du chemin à ceux d’intérêt général, en plus de donner réellement vie au projet, a considérablement accéléré sa réalisation car, dès 1932, les terrains furent acquis et en janvier 1933 les travaux débutèrent (3).
La presse de l’époque (4) publia le projet détaillé du pont prévu :
– Longueur : 53 mètres ;
– Hauteur : 5,95 mètres ;
– Largeur de la voie : 5 mètres ;
– Largeur des trottoirs : 1 mètre chacun ;
– Une pile au centre.
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Une nouvelle configuration pour la circulation :
La réalisation de ce pont allait s’accompagner de la mise en place d’un nouveau sens de circulation entre les Milles et Aix, via deux trajets conçus en sens uniques (4), ceci afin d’obtenir une circulation fluide :
– En rouge ci-dessous – L’aller en sens unique d’Aix aux Milles :
Par la rive sud de l’Arc, en passant par l’ancienne RN8 (actuelle D8N) et l’ancien Chemin vicinal de grande communication n°15 (GC15, l’actuelle D9)
– En bleu ci-dessous – Le retour en sens unique des Milles vers Aix :
Par la rive nord de l’Arc, en empruntant ce nouveau pont, puis l’ancien chemin vicinal d’intérêt commun n°13 (IC13, l’actuelle D65).
Restait à relier le pont au chemin G.C.15 (actuelle D9), une chose faite avec le réaménagement du chemin dit « des Poissonniers » (nommé actuellement « chemin de la Pioline »).
Mars 1934 – Le nouveau pont de la Pioline testé puis inauguré :
Peu avant son ouverture à la circulation, des tests de solidité furent réalisés en y faisant circuler deux camions et deux rouleaux de service des voies, pour un poids total supporté de 45 tonnes. Les ingénieurs, sous le pont pour contrôler, ne constatèrent qu’un fléchissement d’un millimètre alors que la marge prévue était d’un centimètre. Autant dire que le test s’est passé sans encombre (5).
Après un an et trois mois de travaux, son inauguration eu lieu le 20 mars 1934 (6). Une attente qui durait depuis le siècle précédent prenait alors fin.
Désormais, les millois avaient un nouveau pont, situé à environ 2 km à l’est du village.
En plus des nouvelles facilités de circulation entre Aix et Les Milles, le pont a aussi facilité la traversée pour les cultivateurs qui avaient des terres sur les deux rives, sans oublier les spectateurs du champ de courses de l’hippodrome de (la) Parade qui pouvaient s’y rendre plus rapidement.
– Ci-dessous, une vue aérienne du pont en 1955 :
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La renumérotation des routes et leur modification :
Le temps passant, le classement des routes a été revu, modifiant ainsi leurs dénominations (7). Certains remodelages du décor ont aussi modifié la configuration des lieux.
– En 1938, l’ancien chemin d’intérêt commun n°13 (nommé ainsi depuis 1885) devint la route départementale D65.
– La même année, l’ancien chemin de grande communication n°15 (départementale n°6 de 1813 à 1904) devint la route départementale n°9.
– Quant au chemin de la Pioline, à l’endroit où passe le pont, il est intégré à la route départementale D9a formée par la rue Guillaume du vair.
Du fait de l’apparition de l’autoroute A51 et de la voie de contournement des Milles par le sud dans les années 70, l’embranchement entre le chemin de la Pioline et la D9 a été supprimé. Les chemins n’étaient donc plus reliés directement, forçant alors un détour obligatoire :
– Ci-dessous, une vue aérienne du pont en 1979 :
Fin du XXe siècle – Le pont rénové :
A la fin des années 90, le pont était là depuis près de 60 années. Des travaux s’imposèrent alors, probablement dans un soucis de sécurité et de fluidité du trafic. Le tablier fut alors intégralement remplacé.
Cette opération eu lieu entre l’été 1996 et l’été 1997, comme on peut le constater en comparant les photos ci-dessous, avant et après les travaux :
Je suis passé un nombre incalculable de fois sur ce pont, et j’ai toujours cru qu’il avait été intégralement transformé lors de ces travaux.
En réalité, et à ma grande surprise il a fallu que je m’aventure en dessous de celui-ci pour découvrir que si le tablier avait bien été changé, les piles d’origines sont, quant à elles, toujours là :
Un contraste étonnant entre passé et présent qui s’offre à nous face à un tablier moderne sur des piles en pierre d’une soixantaine d’années de plus :
Le genre détail que j’aime : la pile centrale possède la particularité de voir gravée, sur deux de ses côtés, la mention de l’année « 1933 » (une observation qui se mérite, le lieu n’étant pas des plus accessible).
Bien que le pont n’ait été inauguré qu’en 1934, on peut supposer que 1933 correspond à l’année où cette pile fut achevée.
XXIe siècle – Un pont qui s’est fait attendre mais qui est toujours là :
Réclamé depuis le XIXe siècle, mis en chantier en 1932-33 et inauguré en 1934 grâce à l’habile manœuvre d’Edouard Pellegrin, le pont de la Pioline a définitivement remplacé une fragile passerelle, offrant ainsi aux usagers une meilleure accessibilité aux deux rives.
De nos jours, bien que souvent encombré aux heures de pointes en direction d’Aix, on imaginerait mal les lieux sans lui. La circulation et l’accessibilité possédant des contraintes qui ont traversé les époques.
Les ponts sont une invention toute bête mais incroyablement pratique. Pour preuve, l’Arc continue d’être enjambé par de nouveaux ouvrages. On peut citer, entre autre, le pont de la rue Arnaud Beltrame ouvert le 22 décembre 2020 (voir l’article sur l’hippodrome de Parade), ou encore le pont de la Guiramande achevé en 2021.
– Sources :
(1) La République Aixoise du 27 janvier 1924 – page 2, colonne 1
(2) Rapports et délibérations / Conseil général du département des Bouches-du-Rhône Bouches-du-Rhône – séance du 7 octobre 1928, page 1124
(3) La République Aixoise du 13 mai 1933 – page 1 colonne 7 à page 2 colonne 2
(4) La Provence du dimanche 28 mai 1933 – page 1, colonne 7 à page 2, colonne 1
(5) Le Mémorial d’Aix du 25 mars 1934 – page 2, colonne 2
(6) Le Mémorial d’Aix du 16 mars 1934 – page 2, colonne 3
(7) Nomenclature des routes départementales des Bouches-du-Rhône (13)
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