Une girafe en plein centre-ville d’Aix, ça vous étonne ? Et bien imaginez la même chose en 1827 et surtout la réaction de celles et ceux qui sont tombés nez à nez avec elle !
Ce mois-ci cela fait 189 ans que cet événement a eu lieu et pour mieux comprendre la raison d’un tel animal en ville, voici quelques explications :
Un cadeau bien particulier :
Tout commence en 1826 où le vice-roi d’Egypte Méhémet Ali fit une offrande assez particulière au roi de France d’alors, Charles X (1757-1830). Un présent qui ne fut rien d’autre qu’une girafe ! (Visiblement ce cadeau fut fait avec quelques arrières pensées politiques mais on n’est pas là pour en faire et son contenu ne m’a pas paru assez important pour s’ajouter à l’histoire.)
En dehors du côté assez curieux de la chose, il faut surtout savoir que la girafe, animal « commun » à notre époque, ne l’était pas du tout au début du XIXe siècle dans notre pays. Personne, hormis les voyageurs, n’en avait encore vu, excepté peut-être sur quelques illustrations. En effet, à ce moment de son histoire, la France n’avait jamais accueilli un tel animal sur son territoire et cette girafe allait alors être la première de son espèce (vivante) dans notre pays.
Cette girafe venant d’Egypte, il fallu alors la conduire au roi à Paris car, rappelons-le, c’était son cadeau. Seulement voila, à l’époque, point de moyens de transports adaptés à un tel passager. Seule solution : à pieds ! (ou plutôt à pattes.) Mais avant d’entamer un si long voyage, quelques précautions s’imposèrent.
Une fois que l’animal ait posé ses quatre longues pattes sur le sol marseillais il fallu attendre. En effet, la girafe y arriva en novembre 1826. L’hiver allant arriver, mieux valait ne pas prendre de risques pour cet animal en le faisant marcher dans un froid qu’il ne connaissait pas.
https://data.culture.gouv.fr/explore/dataset/grands-documents-et-images-de-lhistoire-de-france-conserves-par-les-archives-/images/?q=girafe– Ci-dessous, un dessin représentant la girafe réalisé en novembre 1828 à l’occasion de son arrivée à Marseille.
La suite du voyage allait reprendre quelques mois plus tard avec le retour des beaux jours au printemps 1827.
Le voyage :
Je précise que je n’évoquerai pas tout le voyage jusqu’à Paris (faut pas abuser non plus), uniquement la partie jusqu’à Aix car c’est celle qui nous concerne le plus.
Tout d’abord, il faut savoir que cette girafe ne voyageait pas seule. Tout un cortège l’accompagnait dont une escorte et, détail surprenant : deux ou trois vaches. Ces dernières n’étaient pas là pour faire joli, elles permettaient de fournir du lait pour nourrir la girafe. Ainsi, on pouvait lire dans le Mémorial d’Aix du 10 août 1879 (voir sources) à propos de la relation qu’entretenait la girafe et ses nourrices d’adoption françaises :
…aussi s’était-elle éprise d’une amitié fort vive pour ses compagnes de routes et ne cessait de leur témoigner par ses caresses…
Le voyage se faisait par étapes sur de courtes distances afin de ne pas trop épuiser l’animal. Son passage dans les différentes contrées ne fut pas une surprise car il avait été annoncé afin que le peuple puisse venir à sa rencontre.
Sur sa route longue de plusieurs centaines de kilomètres, elle allait croiser bon nombre de personnes et de villes. La première fut Marseille d’où elle entama son voyage le 20 mai 1827 où les habitants eurent l’occasion de la rencontrer. La route continua, direction une ville que nous connaissons bien : Aix.
Son arrivée à Aix :
Elle fit son entrée à Aix par l’ancienne route de Marseille qui passait par le quartier du Pont-de-l’Arc et l’actuelle avenue Pierre Brossolette. Je n’ai pas la date de son arrivée à Aix mais on sait qu’elle est partie le 20 mai de Marseille. Au vu de la distance, on peut supposer qu’elle arriva sur Aix le 21 ou le 22. Il y a peu de kilomètres de distance mais rappelez-vous, les étapes étaient courtes pour ne pas la fatiguer.
Dans ce mois de mai 1827, le bruit de sa venue s’était répandu et les curieux commencèrent alors à se rassembler en divers points du chemin. Les plus impatients s’étaient déjà rendus au Pont-de-l’Arc tandis que d’autres attendaient plus près de la ville vers la butte du Mont-Perrin (là où de nos jours se trouve l’hôpital de Montperrin au dessus de la gare routière. Il faut préciser qu’autrefois ce lieu qui fut raboté à maintes reprises ressemblait bien plus à une butte qu’aujourd’hui).
L’animal au long cou à portée de vue fut grandement acclamé par la foule de badauds qui voyaient pour la première fois ce mammifère disproportionné.
Le logement de la girafe :
Une fois arrivée dans la ville, il a bien fallu loger cette girafe ainsi que ses vaches. Le lieu choisi fut les écuries de l’auberge dite « de la Mule-Blanche ». Elle n’existe plus de nos jours et se situait aux alentours du pâté de maison qui se trouve entre la Traverse de l’Aigle-d’Or et la rue Irma Moreau.
La petite histoire raconte que ce lieu fut sélectionné car c’est l’auberge qui possédait les écuries les plus vastes et avec la porte la plus haute, du moins, assez haute pour que l’animal n’ait pas trop de peine pour s’y introduire.
Quant à ses repas, ils étaient principalement composés de lait et de légumes divers et variés.
La girafe sur le Cours :
Un séjour à Aix pour une telle célébrité ne pouvait se faire sans arpenter la plus célèbre allée de la ville, le cours Mirabeau, qui ne s’appelait pas encore Mirabeau (seulement à partir de 1876), nous nous contenterons donc de l’appeler « le Cours » pour ne pas créer d’anachronismes.
Cette parade qui ne se limita pas qu’au Cours mais aussi aux boulevards eu lieu le lendemain de son arrivée à Aix.
La voici donc à marcher sur cette voie entourée d’hôtels particuliers, un décor que bien peu, sinon aucun de ses congénères n’aurait put imaginer. Acclamée comme une star, elle avançait d’un pas lent accompagnée de ses serviteurs mais sans ses vaches, qui n’étaient pas de la partie, restées à l’étable.
On dit que des enfants (sûrement les plus petits d’entre eux, car on verra plus loin qu’elle n’était pas si grande que ça) s’amusaient à courir entre ses jambes, ce qui ne fut pas du goût de certains gardes qui les rappelèrent à l’ordre.
Avec sa tête haut perchée, elle pouvait se délecter des feuilles des arbres du Cours. Précisons par ailleurs que notre girafe n’a pas connu le goût des feuilles de platanes. En effet, il semble que ces derniers n’étaient pas encore plantés car les archives du Mémorial d’Aix évoquaient des ormes, quant à Marcel Provence il évoquait des acacias.
On dit aussi qu’elle en profita pour aller aux fenêtres des maisons pour aller y grignoter quelques plantes au déplaisir de certains habitants. Pour d’autres encore, ce fut pire, la tige ne se détacha pas et la girafe amena le pot en tirant, ce qui eu pour effet de le faire se fracasser au sol !
Sur son chemin elle mangeait aussi divers fruits dans les mains de celles et ceux qui se trouvait à ses pieds.
Il faut insister sur le fait que l’accueil que lui réserva le public fut plus que chaleureux.
Elle séjourna quelques jours à Aix puis le voyage dut reprendre son cours. Elle arriva finalement à Paris le 30 juin 1827 après un voyage d’un peu plus d’un mois.
Elle mourut le 12 janvier 1845, dit-on (selon Wikipédia), d’une tuberculose bovine qui serait due à son ingestion quotidienne de lait… un comble quant on repense aux vaches qui l’accompagnaient durant son périple et pour lesquelles elle semblait éprouver de l’affection.
Par ailleurs, je ne suis pas sûr que dans son habitat naturel la girafe consomme quotidiennement du lait. Mais rappelons qu’à l’époque on ne connaissait pas aussi bien qu’aujourd’hui les habitudes alimentaires de cet animal.
La mode de la girafe :
La venue de la girafe à Aix et en France en général lança en quelque sorte un effet de mode. On vit peu après son arrivée dans notre pays l’apparition de robes, rubans ou encore foulards dédies à la girafe. Mieux encore, certaines teintures sur laine ou soie tentaient d’imiter le pelage de l’animal, ses couleurs et ses motifs si particuliers. Vous pouvez voir une assiette dédiée à la girafe du roi ici.
La ville d’Aix eu aussi sa mode « girafe » et l’ on peut citer, par exemple, que pendant un temps la rue Rifle Rafle fut nommée « quartier de la girafe »
– A ce sujet, un fait assez étrange est souvent mentionné dans les écrits de l’époque :
Du fait de cette mode, on dit qu’un aubergiste de la rue Rifle Rafle renomma son enseigne du nom de « à la girafe » avec la girafe dessinée à côté. Seulement voila, presque deux décennies après l’arrivée de la girafe en France et son passage à Aix, la « mode de la girafe » disparu peu à peu, et le cabaret ayant fermé ses portes, l’aubergiste fini par effacer cette girafe de son enseigne. Mais, chose surprenante, ce même jour, la girafe mourut à Paris. Nous étions le 12 janvier 1845.
La girafe est effectivement morte ce jour là, mais était-ce bien le même jour que notre aubergiste a effacé son enseigne? Je vous laisserai seules juges quant à la véracité de cette histoire.
La girafe aujourd’hui :
Cette girafe, qui comme l’a vu est morte le 12 janvier 1845, ne disparut pas pour autant. Elle fut en effet naturalisée et l’on peut toujours la voir au Museum d’histoire naturelle de La Rochelle en Charente-Maritime. Faute de place à Paris, elle fut installée dans le Muséum de La Rochelle en 1931. On peut aussi l’observer sur la photo ci-dessous, ça évitera le voyage :
Photo : © Tux-Man sous licence creative commons 3.0 Unported
Comme on peut le voir, elle n’était pas si haute que cela. Certains récits d’époques ont-ils été quelque peu exagérés ? Mystère.
Cette girafe ne possédait apparemment pas de nom. Cependant, il est courant de la voir nommée Zarafa, un nom qui lui a été attribué bien plus tard, seulement à partir de 1998 par l’auteur Michael Allin, dans l’un de ses livres qui relate cette histoire « Zarafa: A Giraffe’s True Story, from Deep in Africa to the Heart of Paris ».
Sachez, pour finir, qu’un film d’animation jeunesse « Zarafa » est sorti en 2012 et reprend l’histoire de cette girafe et de son voyage. Ce nom de Zarafa proviendrait de zarāfah qui signifierait tout simplement girafe en arabe.
– Sources :
Le Mémorial d’Aix du 10 août 1879
Le Mémorial d’Aix du 16 novembre 1890
Le Mémorial d’Aix du 30 mars 1930
Marcel Provence – Le cours Mirabeau – 1951 – ed. 1976 (pages 58 et 59)
Pour en savoir plus sur la girafe de Charles X : fr.wikipedia.org
et histoire-pour-tous.fr
A propos du film Zarafa : fr.wikipedia.org
– Photo de la girafe du montage d’entête :
© Hans Hillewaert sous licence creative commons Attribution-Share Alike 4.0 International