Pour commencer l’année 2021, nous allons découvrir ici le récit d’une exécution publique d’un condamné qui s’est déroulée à Aix au XIXe siècle (l’année 2020 n’était pas gaie et rien ne nous dit que 2021 sera meilleure alors, tant qu’à faire, continuons sur la lancée avec un sujet tout aussi peu gai 🙂 ).
Cette histoire n’est qu’un fait parmi tant d’autres, similaires, qu’il est impossible de quantifier, et qui se sont déroulés partout, il n’y a pas si longtemps.
Mais si j’ai souhaité traiter ce fait, c’est pour mettre des mots et surtout, d’une certaine manière, matérialiser ces événements, autrefois publics, et pour ainsi dire : communs. Nous savons qu’ils avaient lieu mais décrire ces faits en détails permet de mieux saisir comment ils se déroulaient.
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Avant propos :
1 : Cet article n’est là, ni pour critiquer, ni pour faire l’apologie de la peine de mort, il est juste là pour relater un fait. Libre à chacun(e) d’avoir son opinion sur ce sujet.
2 : Je n’ai pas repris les sources sur lesquelles je me suis basé mot pour mot, cela aurait été bien trop lourd. J’ai adapté ces articles de presse ancienne, mais sans ajouter de détails ni déformer quoi que ce soit. J’ai surtout voulu rendre plus « lisible » ce fait, quitte à majoritairement et volontairement employer le présent dans le texte.
3 : Bien que l’identité précise du condamné soit mentionnée dans les articles d’époque, dont les liens sont indiqués en bas de cette page, j’ai volontairement abrégé son nom de famille dans mon article pour éviter tout quiproquo avec d’éventuels actuels parents ou homonymes.
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Avant d’évoquer l’exécution en elle même, nous allons d’abord devoir revenir sur les faits qui ont mené à cette condamnation à mort :
Les fait et le procès :
Les faits furent évoqués dans la presse locale, notamment au cours du procès qui a suivi, dont la dernière partie fut relatée dans le Mémorial d’Aix du dimanche 13 janvier 1878 (1).
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24 juillet 1877 – Les faits :
Nous sommes le mardi 24 juillet 1877 à Septèmes-les-Vallons. Jean S…, un cultivateur de 66 ans vit alors dans une maison isolée au quartier de Perragallo avec son épouse, sa belle-sœur et la fille de sa belle-sœur, nommée Thérèse et âgée de 10 ans.
En l’absence de son épouse, une dispute éclate entre Jean S… et sa belle-sœur, reprochant à celle-ci de lui avoir volé la somme de 5000 francs. Une lutte s’engagea alors, au cours de laquelle l’homme étrangla sa belle-sœur.
La fille de celle-ci, la petite Thérèse, témoin malgré elle de cette scène, tenta de venir au secours de sa mère, mais en vain, et elle aussi finit par être étranglée par le cultivateur en pleine fureur. Une fois les deux victimes assassinées, l’homme cacha leurs corps dans un tas de foin qu’il incendia le soir venu.
Les corps carbonisés de la femme et de la petite fille ne furent retrouvés que le lendemain. L’auteur du crime fut alors arrêté et condamné six mois plus tard.
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10 janvier 1878 – Le procès et la condamnation :
Nous sommes le jeudi 10 janvier 1878 au palais de justice d’Aix-en-Provence, où la foule s’est déplacée en masse pour assister à ce procès en Cour d’Assises qui en est à son dernier jour, celui où la sentence sera prononcée.
Au cours de l’audience, l’accusé tente malgré tout de se défendre en jouant de provocation, justifiant notamment son acte en disant que si il n’avait pas tué ses deux victimes, c’est elles qui l’auraient abattu. Cependant, on avait aussi retrouvé sur lui une partie de la somme qu’il considérait que sa belle-sœur lui avait volé, ce qui ne jouait pas en sa faveur.
Au cour du procès, son air est vu comme « sinistre et bestial ». En ce qui concerne sa défense, ses réponses sont « grossières et brutales ».
L’avocat général dans son réquisitoire, réclama la peine capitale « … une punition exemplaire pour un attentat si affreux… ». Après une heure de délibération, la Cour condamne Jean S… à la peine de mort et ordonne que l’exécution ait lieu sur une place publique d’Aix.
Le condamné, face à cette annonce, reste impassible et est emmené par les gendarmes à la prison, au milieu de la foule.
L’exécution :
L’exécution, tout comme le procès, fut détaillée par la presse locale de l’époque, dans le Mémorial d’Aix du dimanche 24 février 1878 (2)
Bien que l’accusé ait été condamné à mort le 10 janvier 1878 cela ne signifie pas pour autant une exécution instantanée, car du temps s’écoule toujours entre les deux étapes. Dans cette affaire, il fallut attendre un peu plus d’un mois pour que la sentence soit appliquée.
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21 Février 1878 – Le « Bois de Justice » arrive à Aix :
Le « Bois de Justice » : c’est l’un des surnoms que l’on donnait autrefois (3) à l’instrument plus communément nommé « guillotine ».
Ce jeudi 21 février 1878, le fourgon qui transporte la guillontine arrive à la gare d’Aix. Il est accompagné de l’exécuteur des arrêts criminels (le bourreau) Mr Roch. A partir de là, il sont repérés par les badauds et un bruit commence à se répandre en ville : l’exécution de Jean S…. doit avoir lieu le lendemain, à l’aube.
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22 février 1878 – L’exécution devant la prison :
03h00 :
Effectivement, le lendemain, vendredi 22 février 1878, à trois heures du matin, devant la porte d’entrée de la prison d’Aix, l’installation de la guillotine est achevée.
Elle est dressée sur une couche de sable répandue sur le sol, non pas pour la stabiliser, mais pour étancher plus rapidement le sang qui s’y déversera, une fois la lame tombée.
Suite aux rumeurs de la veille, la foule, nombreuse, est massée devant l’objet, attendant l’arrivée du condamné et la chute de la lame, un cordon de soldats séparant le public du fatal couperet.
Au milieu de tout cela, une seule personne ignore tout du spectacle qui allait se jouer devant la prison et dont il allait pourtant être le personnage central : le condamné lui même.
04h00 :
A quatre heures, le condamné est réveillé et sorti de sa cellule par le gardien-chef de la prison et l’aumônier. On lui demande de s’habiller et de descendre en raison d’une « communication » qu’on a à lui faire. On l’emmène ensuite dans la chapelle située au centre de la prison pour entendre la messe alors célébrée.
Puis direction le bureau du gardien-chef pour apprendre que son ultime recours, le pourvoi en grâce, a été rejeté et que l’heure de la sentence est arrivée.
L’homme à qui il ne reste que peu de temps à vivre prononce alors ces mots :
« …on va me faire mourir, maintenant que j’étais un peu bien ; mais si je ne l’avais pas tuée, cette coquine, elle m’aurait tué !… »
Le gardien chef lui offre alors un verre de cognac pour le réconforter, un verre que le condamné semble apprécier. Mais le jour va arriver, il va être temps de sortir.
05h30 :
L’exécution est prévue pour cinq heures et demie précises, mais un imprévu s’invite : le jour est encore trop faible, le bourreau n’y voit pas assez clair. Tant pis, l’acte est alors repoussé d’une demi-heure. Un temps d’attente supplémentaire à vivre pour le condamné.
06h00 :
A six heures, il fait à peine plus jour qu’une demi-heure plus tôt mais ça y est, le condamné apparaît sur le seuil de la prison. Il est affaissé et courbé, presque plié en deux. Ressemblant d’avantage à une sorte de masse inerte qu’à un être animé.
Et en un très court instant, tout s’est joué. Il est apparu comme une ombre, puis un bruit sourd a retenti et la justice humaine était satisfaite. Malgré la foule agglutinée, la plupart des spectateurs n’ont rien vu tant il faisait encore relativement sombre.
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Après l’exécution :
Sa tête, tombée dans le panier, fut alors examinée par un médecin de la ville qui, dans l’intérêt de la science, lui souffla sur les yeux, lui palpa les joues et mena quelques autres expériences sur « les derniers efforts de la vitalité après la décapitation ».
Son corps fut inhumé par les Pénitents Bleus au cimetière de l’hôpital, autrefois situé au nord de la ville.
Quelques infos « carcérales » :
– Les prisons d’Aix se situaient à l’origine dans l’ancien palais comtal.
– Les exécutions se déroulaient alors sur un échafaud en pierre autrefois présent sur la place des Prêcheurs. Cet échafaud fut détruit en décembre 1775 et les exécutions furent déplacées non loin de l’actuelle place Miollis à l’extérieur des remparts, moins en vue de la foule.
– Suite à la destruction du palais comtal à la fin du XVIIIe siècle, les prisons furent transférées aux casernes.
– La construction de la prison du centre-ville a débuté dès 1786-88. Le chantier fut stoppé en 1790 et reprit en 1822 pour être achevé en 1832.
– Cette nouvelle prison accueillit des prisonniers à partir du 31 mai 1833.
– La dernière exécution publique à Aix eu lieu le 10 avril 1934.
– En France, la dernière exécution publique eu lieu le 17 juin 1939 à Versailles. Après cette date, elles eurent lieux, en privé, à l’intérieur même des prisons.
– Le dernier usage de la guillotine en France eu lieu le 10 septembre 1977, dans la prison des Baumettes à Marseille.
– La peine de mort fut abolie en France en date du 9 octobre 1981.
– La prison d’Aix fut désaffectée en 1991 puis convertie, après travaux, en cour d’Appel (palais Monclar) inaugurée le 23 janvier 1998.
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Vous trouverez plus d’informations sur l’ancienne prison d’Aix dans l’article que je lui avait dédié en 2019 en cliquant ci-dessous :
Sources :
(1) Le Mémorial d’Aix du 13 janvier 1878 (page 2, colonnes 2 et 3) Cote JX 0042 – Conservé à la bibliothèque Méjanes, Aix-en-Provence
(2) Le Mémorial d’Aix du 24 février 1878 (page 2, colonnes 1 et 2) Cote JX 0042 – Conservé à la bibliothèque Méjanes, Aix-en-Provence
(3) pariszigzag.fr – Les petits surnoms de la guillotine à travers les âges