Article intégralement réécrit et augmenté le 3 juillet 2021 – initialement publié le 30 novembre 2014.
Au abords du rond-point Anouar El Sadate, là où se rejoignent les actuelles avenues des Belges et Pierre Brossolette, près de la gare routière se dresse une croix.
Quelle est donc cette croix et que fait-elle ici ? Nous allons tenter de répondre à tout cela.
Des croix de missions, on en trouve un peu partout dans les villes et les villages de France. Elles ont principalement été érigées au cours de la période post-révolutionnaire. Il s‘agissait à l’époque pour l’Eglise catholique de restaurer la pratique religieuse. Ainsi, lorsqu’une mission était effectuée dans un lieu, une croix était installée en souvenir de cette mission. Avec le plus souvent une inscription et la date de la mission.
Aujourd’hui, celle qui nous intéresse se trouve tout près de la gare routière, mais sachez qu’à l’origine, elle ne se trouvait pas là, elle a d’ailleurs changé plusieurs fois de place au fil du temps et a même existé sous la forme d’une première version en bois. Partons à la découverte de ses anciens emplacements…
Avril 1820 – Une croix en bois :
Initialement, une première croix en bois fut installée sur la place de la Rotonde le 24 avril 1820, à peu près là où nous pouvons voir aujourd’hui la statue du peintre Paul Cezanne, près de l’emplacement où sera ouverte la première gare d’Aix en 1856 :
Le document ci-dessous la représente telle qu’elle était à ses débuts (1) :
Cette croix fut installée à la suite d’une mission qui fut donnée simultanément dans les cinq églises paroissiales de la ville à l’époque durant les mois de mars et avril 1820, comme détaillé dans le document ci-dessous (2) :
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Le démontage de la première croix en 1855 :
A la fin du mois de mars 1855, soit environ 35 ans après avoir été posée, la croix fut enlevée de son socle. Une action qui amena quelques rumeurs parmi les habitants : restauration ? suppression ? déménagement ? (3).
En réalité : remplacement. En effet, après tant d’années à avoir affronté le climat, la croix faite de bois commençait à sérieusement être dégradée (4). Trop, en tous les cas, pour pouvoir rester là.
Avril 1855 – Une nouvelle croix en fonte :
La croix initiale en bois désormais trop dégradée et démontée fut remplacée par une nouvelle quelques jours après son enlèvement.
Le mardi 10 avril 1855 (5) , une grande procession se lança en ville car une nouvelle croix allait être installée, le jour même à la place de la Rotonde, en remplacement de l’ancienne.
Parti de la cathédrale, le cortège passa ensuite par la place des Prêcheurs où la croix fut bénie par l’archevêque, avant de rejoindre sa destination, sur la place de la Rotonde. Les ouvriers achevèrent le travail dans la nuit.
Si nous n’avons pas de photographies de la première croix en bois sur la place de la Rotonde (époque oblige) nous en possédons de la seconde :
Quelques caractéristiques de la nouvelle croix (5) :
– L’ensemble possédait désormais des proportions légèrement plus faibles que la précédente ;
– Elle est formée de tiges boulonnées recouverte de tôle épaisse, désormais en fonte ;
– A l’origine elle avait une teinte de couleur bronze (corrodée de nos jours) ;
– La sculpture du Christ, elle aussi en fonte, fut réalisée par l’Ecole des Arts et Métiers ;
– La base de la croix était entourée de quatre candélabres en fonte bronzée s’élevant chacun les quatre piliers qui entouraient la croix, remplaçant les statues qui se trouvaient sur la précédente.
– Elle était déjà entourée de grilles, comme de nos jours.
Une photo encore plus ancienne existe, prise vers 1870-75 par Claude Gondran, où l’on distingue très bien la croix et les quatre candélabres qui ornaient les piliers :
Sur la vue ci-dessous, j’ai retouché la photo de Claude Gondran visible ci-dessus (en enlevant le lion et en recréant la partie droite du monument) pour isoler la croix et la mettre en évidence, avec les candélabres qui s’y trouvaient :
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Juillet 1856 – L’emplacement de la croix posa problème :
En juillet 1856, un problème fit surface : on constata que l’emplacement de la croix, sur le long terme, n’allait pas être adapté (6). En effet, la gare allait ouvrir en octobre. Or, cette croix était un lieu de recueillement et de dévotion, de ce fait, la fonction de la croix et sa situation dans un lieu très animé et ponctué par le va-et-viens des voyageurs allait vite devenir incompatible.
A cette époque, on regretta même de ne pas avoir changé l’emplacement de la croix lors de l’installation de la nouvelle en 1855.
Pour mieux comprendre la disposition de la croix par rapport à la gare, voici un plan ci-dessous représentant le quartier dans la seconde moitié du XIXe siècle : le cercle rouge indique l’emplacement de la croix par rapport au futur emplacement de la gare à quelques dizaines de mètres seulement.
Où déplacer la croix ? :
Plusieurs lieux furent alors étudiés pour accueillir la croix, parmi ceux-ci on trouvait (6) :
– Le cours Saint-Louis (cours des Arts et Métiers depuis le début du XXe siècle) ;
– Le cours de la Trinité ;
– Le côté sud de la place de la Rotonde :
– Les abords de la place de la Plate-Forme (place Miollis depuis 1894) ;
– Le bout de l’allée de la Rotonde, près du Mont-Perrin.
En 1859, par délibération du conseil municipal du 27 septembre 1859, un budget de 2000 francs de l’époque fut voté pour le déplacement de la croix dans un lieu plus éloigné de la gare (7), le lieu qui devait l’accueillir n’était toujours pas décidé.
Cependant, le 5 septembre 1860 deux emplacement à envisager revinrent : le cours de la Trinité ; et les abords de l’asile de Montperrin, qui était alors en construction (8).
Bien que l’idée de déplacer la croix germa en 1856, il a fallu attendre plusieurs années, 60 en tout pour que cela se fasse. Le lieu choisi fut celui se trouvant aux abords de l’asile de Montperrin.
Mars 1926 – Le déménagement de la croix de la mission :
Soixante années après le début des réflexions en ce qui concernait le déplacement de la croix, les choses allaient (enfin !) avancer.
Au début des années 1920, la croix était toujours sur la place de la Rotonde, mais en plus de la gare, le Casino municipal, avait été construit à deux pas de là. Le bruit de la gare, les excès d’un casino. Plus rien du tout de compatible avec un lieu dédié au recueillement.
C’est ainsi que le 8 mars 1926 à partir de 14h30, eu lieu la procession qui accompagna la croix à son nouvel emplacement (9), situé à environ 400 mètres de là au sud-ouest de la Rotonde. Ce nouveau lieu était bien plus calme que la Rotonde et subissait moins de circulation que de nos jours.
Deux heures furent nécessaires aux ouvriers pour hisser la haute et lourde croix sur le piédestal. Entre temps, les candélabres qui ornaient les piliers ont disparu.
A compter de 1926, la croix allait rester sur cet emplacement plusieurs décennies.
La photographie ci-dessous date de 1964. On y voit la croix près de l’ancienne entrée de l’hôpital Montperrin. La voie visible à gauche est l’actuelle rue Coq. L’avenue de l’Europe n’avait pas encore été percée à cette époque.
La vue ci-dessous remonte à 1979. La croix était toujours au même emplacement, cependant, le talus la bordant avait été rogné depuis 1969 afin de percer l’actuelle avenue de l’Europe :
Voici ce lieu aujourd’hui avec le portail à droite duquel la croix fut installée lors de son déplacement de la Rotonde en 1926 :
Si de nos jours on voulait resituer précisément l’emplacement original de la croix. Sachez qu’il correspondrait à celui des barrières visibles à l’extrême droite de la photo.
Milieu des années 1980 – Nouveau déplacement de la croix :
Dans le milieu des années 1980 la croix fut de nouveau déplacée pour se retrouver à l’opposé de son second emplacement, à environ 50 mètres à l’Est. Emplacement qu’elle occupe encore aujourd’hui. Ce déplacement a peut-être été effectué en raison d’un nouvel élargissement de l’avenue de l’Europe effectué à cette période.
Elle fait désormais face à la gare routière et à l’ancien portail de l’hôpital Montperrin.
Le pilier gauche renfermait un tronc pour les dons. Il est aujourd’hui rebouché mais on devine toujours l’inscription « TRONC POVR LA CROIX » :
Les détails des ferronneries à l’arrière de la croix :
Les détails des piliers sculptés entourant la croix :
Les détails des ferronneries au sommet de la croix :
Une partie de la statue du Christ réalisée en 1855 par l’Ecole des Arts et Métiers :
Pour résumer :
Pour résumer et pour finir, voici un petit historique des divers emplacements de la Croix de la mission de 1820 jusqu’à nos jours (2021).
1 – Place de la Rotonde : dès le 24 Avril 1820 ;
2 – Près de l’ancien portail de Montperrin : à partir du 8 mars 1926 ;
3 – A l’opposé de l’ancien portail de Montperrin : à partir de 1980-85.
Ci-dessous, trois vues des croix mises côte à côte :
– La vue de gauche représente la première croix en bois ornée d’anges sur les piliers, qui a existé de 1820 à 1855 ;
– La vue centrale (retouchée par mes soins pour la voir dans son entièreté) représente la nouvelle croix en fonte inaugurée en 1855 et ornée de candélabres lorsque elle était sur la Rotonde ;
– La vue de droite représente la croix de nos jours, située face à la gare routière.
Sources :
(1) Représentation de la croix de la mission originale – Bibliothèque Méjanes, Aix-en-Provence – Cote : Aff. 1820.04.24
(2) Document évoquant la mission de 1820 – Bibliothèque Méjanes, Aix-en-Provence – Cote : Aff. 1820.03
(3) Le Mémorial d’Aix du 25 mars 1855 (page 3 – colonne 1)
(4) La Provence du 5 avril 1855 (page 2 – colonne 1)
(5) Le Mémorial d’Aix du 15 avril 1855 (page 2 – colonne 1)
(6) Le Mémorial d’Aix du 27 juillet 1856 (page 2, colonne 3)
(7) Le Mémorial d’Aix du 6 octobre 1859 (page 1 – colonne 4)
(8) Le Mémorial d’Aix du 5 janvier 1862 (page 3 – colonne 2)
(9) La Croix de Provence du 14 mars 1926 (page 2 – colonne 5 et suite)
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Très bel article sur un lieu où je passais sans en connaitre l’histoire ! Merci beaucoup ! J’ai pris beaucoup de plaisir à le lire !
Merci ! :)