Des arènes à Aix ? Malgré le sujet, l’époque abordée ici ne sera pas l’antiquité mais une période bien plus proche de nous : le XIXe siècle.
La rédaction de cet article a débuté à partir d’un simple cliché qui m’a intrigué et qui m’a poussé à mener une petite enquête. Peut-être que certains connaissent le sujet mais pour moi qui ne connaissait pas l’histoire, ce fut très instructif. Raison pour laquelle je partage tout ça ici.
Un cliché d’arènes à Aix :
Les archives de la bibliothèque Méjanes conservent de nombreuses photographies de Claude Gondran, réalisées dans le dernier quart du XIXe siècle, et qui font partie des plus anciens clichés d’Aix qui existent.
Parmi tous ces clichés, l’un d’eux représente une scène assez inattendue : Des arènes à Aix. La ville a en effet possédé des arènes de 1887 à 1891 au quartier de la Torse :
Cet article va évoquer :
– Le contexte de leur apparition ;
– Leur existence qui s’étala sur quatre années ;
– L’histoire du champ de manœuvre qui les a accueillies ;
– Le devenir des lieux après la disparition des arènes.
1887 – Des arènes pour une célébration :
La raison de la naissance de ces arènes n’est ni plus ni moins qu’une fête, mais pas n’importe laquelle. Cette fête fut célébrée dans le cadre de l’anniversaire des 400 ans du rattachement de la Provence au royaume de France qui eut lieu au XVe siècle. A cette occasion, les manifestations furent très nombreuses en ville.
Et parmi les activités proposées aux spectateurs, il y avait aussi et surtout des courses de taureaux. A partir de là, quoi de mieux que des arènes pour accueillir un tel événement ?
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L’emplacement des arènes – Le champ de manœuvre :
Vouloir une arène c’est bien, mais placer cette structure où l’on s’attend à recevoir plus de 6000 spectateurs n’est pas chose aisée. Par chance, il y avait à Aix un vaste terrain qui allait faire l’affaire : le champ de manœuvre de la garnison d’Aix.
De nos jours, ce terrain n’existe plus. Donc avant de continuer l’histoire des arènes, évoquons celle du champ de manœuvre, créé quelques années plus tôt…
1876 – Le champ de manœuvre :
Le champ de manœuvre était situé à l’est de la ville, au quartier de la Torse.
De nos jours, ce lieu est occupé par le complexe sportif Carcassonne, la piscine Yves Blanc, le skatepark, et leur parking en face du cimetière Saint-Pierre :
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La création du champ de manœuvre :
La création de ce terrain militaire fut décidée par décret présidentiel en date du 13 décembre 1876, « déclarant d’utilité publique l’acquisition de diverses parcelles de terrain nécessaires pour l’établissement d’un champ de manœuvre au quartier de la Torse, destiné à la garnison d’Aix ». (1)
Les terrains nécessaires furent acquis en effectuant de nombreuses expropriations qui se déroulèrent de 1877 à 1878 :
Des expropriations qui n’ont pas fait que des satisfaits, voyant leurs biens (maisons et terres) pas toujours rachetés à leur juste valeur.
Suite à l’acquisition des terrains, restait à raser ce qui y était construit et arracher ce qui y était planté, le tout (gravats et comestibles) étant revendu à qui le voulait, comme l’indique l’affiche d’une de ces ventes ci-dessous :
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Petit rappel à propos de la garnison d’Aix et de la configuration des lieux à la fin du XIXe siècle :
A ce moment de l’histoire, la caserne d’Aix se situait à la porte d’Italie. Construite au XVIIIe siècle et appelée dans un premier temps caserne d’Italie, elle prit ensuite le nom de Forbin et était située au lieu nommé de nos jours Espace Forbin.
Puis, à la toute fin du XIXe siècle, une nouvelle caserne fut construite à proximité du champ de manœuvre. Appelée caserne Neuve dans un premier temps, elle prit ensuite le nom de Rostolan, puis Miollis. Les murs de cette dernière accueillent de nos jours le lycée militaire.
On retrouve sur la vue ci-dessous les casernes d’Italie et Miollis. On retrouve aussi les deux parcelles qui formaient le champ de manœuvre à sa création, dont la partie sud de sa parcelle ouest fut utilisée pour l’extension du cimetière dans le premier tiers du XXe siècle.
Photos des lieux au début du XXe siècle :
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C’est donc ce terrain, le champ de manœuvre de la garnison d’Aix, qui fut choisi en 1887 pour accueillir l’arène dans laquelle allaient se jouer les courses de taureaux…
1887 : Les arènes d’Aix – Conception :
Une fois le lieu trouvé, restait à construire l’arène…
Pour sa conception et son édification, les travaux furent confiés à l’entrepreneur Gianotti et à 80 ouvriers au début du mois de juin 1887.
Pour faciliter sa construction, l’entrepreneur utilisa une astucieuse méthode : au lieu de construire l’ensemble depuis le niveau du sol, il fut plutôt partiellement enterré. Certes, cela demanda l’extraction de nombreux mètres cubes de terre. Mais grâce à cette méthode, la matière enlevée du sol fut installée autour du trou, ce qui a permis d’y apposer contre elle les gradins, évitant ainsi de devoir élever une trop haute structure.
Des tranchées furent ouvertes autour de la fosse destinée à accueillir l’arène, afin de former un fossé continu rempli d’eau pour servir de clôture liquide. Par conséquent, l’accès à l’arène se faisait par un pont franchissant cette tranchée.
Pour éviter tout risque d’inondation de la piste, l’arène fut nivelée avec une légère pente allant vers le sud. A cette sécurité s’ajoutait l’installation d’une conduite, destinée à entraîner tout surplus d’eau dans le ravin de la Torse.
Une fois achevé, l’édifice de forme ovale avait d’un diamètre en longueur de 50 mètres pour un diamètre en largeur de 35 mètres. (2)
Les gradins étaient équipés de sièges et bancs en bois, pour accueillir plus de 6000 spectateurs.
Les fêtes du IVe centenaire du rattachement de la Provence à la France allaient pouvoir débuter. Aix allait, durant un temps, être LE lieu de la tauromachie.
Les Fêtes du IVe Centenaire du rattachement de la Provence à la France, qui se sont tenues à Aix du 25 juin au 3 juillet 1887 :
Programme quasi-complet des festivités du 25 juin au 3 juillet 1887 :
Les activités furent très nombreuses durant 8 jours. Pour ne pas les résumer dans un paragraphe, j’ai réalisé une affiche ci-dessous, qui n’est pas d’époque, mais où j’ai voulu lister, aussi fidèlement que possible, le programme de ces journée.
Ceci à partir de multiples sources d’époques, en prenant en compte les annulations et reports d’événements, que j’ai signalés en italique. – sources en fin d’article.
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L’électricité à l’honneur :
Détail insignifiant de nos jours mais au combien révolutionnaire à l’époque, car alors encore assez peu répandu : l’électricité.
On peut remarquer que lors de ces fêtes, la lumière et les illuminations étaient particulièrement mises en avant. Le programme insistait sur l’éclairage « à la lumière électrique » lors du bal du 26 juin 1887, tandis que la municipalité, sur ses affiches, rappelait les « grandes illuminations ».
Les visiteurs arrivèrent en nombre et de partout pour assister à ces festivités, certaines sources évoquant la venue de près de 40000 personnes. (3)
Les arènes d’Aix – Utilisations :
Des arènes qui furent un succès :
La structure fut utilisée au moins à quatre reprises lors de ces fêtes de 1887. Trois fois lors de courses de taureaux et une fois lors d’un concours de tir.
Conçue pour 6000 spectateurs, elle en accueillit au moins 7000 le 28 juin 1887 (4).
La conception de l’arène par l’architecte Gianotti fut largement saluée lors des fêtes et le spectacle a impressionné les visiteurs, ces derniers ont cependant trouvé que les bêtes manquaient quelque peu de vigueur, ralentissant légèrement le rythme des courses.
Deux (petites) ombres au tableau cependant :
– Premièrement : De fortes intempéries le 27 juin, qui ont obligé les organisateurs à annuler la représentation prévue ce jour là, et à la reporter au lendemain ;
– Deuxièmement : Le choix de l’emplacement de l’arène qui fut jugé inapproprié par certains. En effet, elle fut, édifiée sur le champ de manœuvre, certes, mais ce dernier se trouvait tout juste en face du cimetière Saint-Pierre. Le repos des défunts fut donc envahi par les clameurs de la foule. (5)
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Les taureaux dans tout ça ?
N’étant pas du tout un fan de corridas, j’ai fouillé pour tenter de savoir de quels types étaient ces épreuves et ce qu’il en était du traitement des bêtes.
D’après les multiples sources que j’ai pu consulter, il ne s’agissait visiblement pas ici d’événements conduisant à la mise à mort de l’animal. Les épreuves ressemblaient d’avantage à ce qu’est la course camarguaise. Autrement dit, tenter d’attraper des cocardes fixées sur des parties des bovins. Je ne peux pas être complètement catégorique sur cela, mais je n’ai pas vu de mentions de mise à mort des bêtes.
Pour l’événement, une grande personnalité du milieu fut choisie en la personne d’Etienne Boudin, dit Pouly 1, qui était alors un célèbre toréador Beaucairois, médaillé 8 fois.
Le cliché des arènes par Claude Gondran :
Nous n’avons qu’un seul cliché de ces arènes (du moins, je n’en ai trouvé qu’un). Mais cela ne nous empêche pas pour autant de le localiser dans la mesure où le scan est de très bonne qualité.
Ainsi, en zoomant sur l’horizon et en retraitant un peu l’image, on peut y distinguer des éléments encore présents :
– N°1 : Anciens bâtiments religieux dans l’enceinte de l’actuel lycée Vauvenargues – Lien sur GMaps ;
– N°2 : Chemin formant probablement l’actuelle av. des Déportés de la Résistance – Lien sur Gmaps ;
– N°3 : Bâtisse située à l’actuel 10 rue du RICM – Lien sur Gmaps – On reconnaît la forme de sa toiture ;
– N°4 : Bâtisse située à l’actuel n°28 avenue des Ecoles Militaires – Lien sur Gmaps.
A partir de ces repères, on peut les replacer sur une vue actuelle (en jaune) et, en fonction de leur emplacement dans le champ de vision (en rouge) du panorama, estimer une localisation approximative que pouvaient occuper les arènes (en marron).
C’est du fait maison et ça vaut ce que ça vaut, mais je propose mon interprétation :
Les arènes après les fêtes :
L’installation d’arènes à l’occasion de ces fêtes a créé chez les aixois un intérêt pour la tauromachie. Tant et si bien qu’elles furent à nouveau utilisées après les fêtes du centenaire, lors d’autres courses qui furent organisées plus tard (6) :
1891 – La disparition des arènes d’Aix :
Réutilisées à de nombreuse reprises, bien après les fêtes du centenaire pour lesquelles elles furent édifiées, les arènes d’Aix finirent par disparaître après presque quatre ans d’utilisation.
Depuis sa construction, l’ensemble avait perdu de sa superbe et n’avait plus que l’apparence d’une motte de terre sans grande forme et plus vraiment d’ utilité réelle selon la presse de l’époque. De plus, l’espace occupé utilisait une partie du champ de manœuvre, ce qui gênait les troupes qui ne pouvaient pas l’utiliser dans sa totalité.
C’est ainsi qu’au printemps 1891, ce qu’il restait de l’édifice fut démantelé et le terrain qui avait été creusé en 1887 pour l’accueillir fut rebouché et nivelé (7). C’était la fin des arènes d’Aix.
La fin des divertissements au champ de manœuvre ?
Le champ de manœuvre, terrain militaire, mais régulièrement utilisé pour accueillir des courses de taureaux depuis 1887 avait-il définitivement perdu son second rôle de lieu de divertissements ?
La réponse est non. Car en parallèle de la tauromachie, une autre activité était devenue très populaire auprès des aixois à cette époque : les courses hippiques. Et ce terrain, après avoir accueilli des taureaux, se mit à recevoir des chevaux.
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Les chevaux ont remplacé les taureaux :
C’est en effet aussi sur le champ de manœuvre, qu’avait déjà commencé, quelques années plus tôt, d’exister l’hippodrome de la Torse où la Société des Courses d’Aix y donnait de multiples courses hippiques. La disparition des arènes a par ailleurs permis d’agrandir la piste de course qui atteignait désormais une longueur de 1000 mètres (8).
Les courses cessèrent à l’hippodrome de la Torse en 1911, désormais pratiquées au nouvel hippodrome du domaine de Parade, inauguré cette année là.
La disparition du champ de manœuvre et la réutilisation du terrain :
Décidé en 1876 et en service probablement vers 1879-80, le champ de manœuvre n’a donc pas eu, comme on l’a vu, un rôle exclusivement militaire.
Il occupa une bonne partie du secteur occupé de nos jours par les installations sportives de la Torse durant un peu plus de 60 ans.
En 1946, les terrains qui l’accueillaient furent rétrocédés à la ville d’Aix (9) qui les utilisa pour la construction du stade Carcassonne inauguré en 1953. (10) Avec le temps, d’autres structures s’y sont ajoutées, pour former le complexe sportif du quartier, tel que nous le connaissons.
Un lieu qui a une histoire :
Aujourd’hui, lieu dédié au sport, et parking, cette zone a possédé une histoire sportive très tôt et un peu oubliée. Taureaux, chevaux, humains : bien des choses s’y sont déroulées et bien du monde a foulé ce sol.
D’une certaine manière, ce lieu est resté de nos jours un lieu de divertissement, de part les activités sportives qu’il propose mais aussi car c’est sur une partie qu’occupait le champ de manœuvre que la fête foraine se tient depuis les années 90 (11).
Tout cet article est parti d’une simple photo qui a attisé ma curiosité et m’a amené là où je ne m’attendais pas forcément. Allant de surprises en surprises, moi qui ne voulait qu’évoquer les arènes, me suis perdu dans le passé du champ de manœuvre pour y croiser des chevaux et arriver au stade actuel.
Comme quoi, l’histoire est présente tout autour de nous. La curiosité n’est pas toujours un vilain défaut. 🙂
Sources écrites :
(1) Le National du 16 septembre 1877 (page 3) Création champ de manœuvre.
(2) Le Mémorial d’Aix du 19 juin 1887 (page 2, colonne 2) Dimensions arène.
(3) Le Petit Journal du 28 juin 1887 (page 2, colonne 2) Environs 40 000 visiteurs à Aix
(4) Le Mémorial d’Aix du 5 juin 1887 (page 3, colonne 1) Arènes en construction – Détails techniques.
(5) La Provence Nouvelle du 3 juillet 1887 (page 2, colonne 1&2)
(6) Le Mémorial d’Aix du 17 juillet 1887 (page 3, colonne 1)
(7) Le Mémorial d’Aix du 22 mars 1891 (page 2, colonne 2)
(8) Le Mémorial d’Aix du 14 juin 1891 (page 2, colonne 2)
(9) La République Socialiste du 16 mars 1946 (page 2, colonne 3)
(10) Le complexe sportif municipal Georges Carcassonne – Lou Gomez
(11) Ciqcezannetorse.org A propos de l’emplacement de la fête foraine à Aix
(A propos du programme des fêtes) Le Sémaphore de Marseille, 7 juin 1887 (page 2) Programme…
La Provence Nouvelle du 26 juin 1887 (page 1) Programme suite…
La Provence Nouvelle du 3 juillet 1887 (page1-2) Programme encore…
La Provence Nouvelle du 10 juillet 1887 (page 1-2) Programme toujours…
Le National du 29 mai 1887 (page 2, colonne 2) Renseignements divers
A propos des casernes d’Aix : lycee-militaire-aix.fr
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Sources iconographiques :
Arènes sur le champ de manœuvres à Aix – C. Gondran – Bibliothèque Méjanes – Cote PHO. GON. (2), 107
Affiche de la vente des matériaux en 1878 – Bibliothèque Méjanes – Cote : Aff. 1878.06.13, 2
Aix-en-Provence. Champs de manœuvres, Caserne Miollis – Archives des B.D.R – Cote : 6 Fi 897
Affiche des illuminations à l’occasion du centenaire – Bibliothèque Méjanes – Cote : Aff. 1887.06.26
Vues aériennes actuelles et anciennes : Géoportail – Remonter le Temps
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