A l’occasion, le 4 décembre 2020, des 360 ans du baptême du compositeur aixois André Campra, cet article est remis en avant – (article initialement publié le 3 décembre 2015)
On entend souvent qu’Aix fut la terre natale de quantité de magistrats, c’est un fait mais pas uniquement. Les arts aussi ont eu quelques bons représentants et pas qu’en peinture. La musique suscita aussi la curiosité de certains qui ont su en faire leur spécialité comme celui dont je vais vous parler aujourd’hui : le compositeur André Campra.
Peut-être ne connaissez-vous pas l’homme, mais vous avez forcément déjà entendu son nom au moins une fois en ville car une rue du bourg Saint-Sauveur porte son nom ainsi qu’un collège au nord du centre ancien.
Aujourd’hui j’évoque Campra mais j’aurai tout aussi bien pu évoquer d’autres compositeurs très connus à Aix comme (entre autre) Emmanuel de Fonscolombe (XIXe), Darius Milhaud (XXe), ou encore Félicien David (XIXe).
A la différence de ces derniers, il faut remonter d’avantage le temps pour découvrir André Campra car il œuvra au cours des XVIIe et XVIIIe siècles.
André Campra et son nom :
Dans la première partie de cet article, nous reviendrons sur le parcours de ce compositeur qui ne passa qu’une petite partie de sa vie à Aix. Nous y découvrirons aussi quelques unes de ses œuvres les plus connues.
La seconde partie de l’article sera consacrée à son nom qui est encore bien présent dans Aix que ce soit grâce au collège où encore la rue qui porte son nom. Nous aborderons l’histoire de cette rue ainsi que la période où elle prit le nom d’André Campra. Nous verrons que dans certains cas et surtout lorsqu’il s’agit d’attribuer un nouveau nom à une rue, la logique semble absente de toute concertation…
Le contenu de cet article se veut non-exhaustif, il est surtout là pour remettre en lumière cet artiste, connu par certains et pour le faire découvrir à celles et ceux qui ne connaissaient Campra que par le nom de la rue ou le collège.
André Campra – Sa vie :
André Campra est né à Aix dans la rue du Puits-Neuf en décembre 1660. Le jour est plus imprécis, certains évoquent le 3 d’autres le 4, jour de son baptême dont voici l’acte ci-dessous, conservé aux archives départementales :
Son père, d’origine italienne exerçait la profession de chirurgien mais il était aussi et surtout violoniste, on peut donc penser que le jeune André fut baigné dès ses premiers jours dans le milieu musical, ce qui le poussa logiquement à suivre ce chemin.
Enfant, il officie en tant qu’enfant de chœur à la cathédrale Saint-Sauveur. Les années passant, il y reçoit une formation religieuse et peaufine sa formation musicale.
En 1679, il aurait été nommé maître de chapelle à Toulon, il semble qu’il n’y ai pas de source réellement fiable attestant les faits. Bien que très talentueux, André Campra possédait paraît-il, un tempérament assez colérique et indépendant. Vers 1681 on raconte qu’il aurait été sermonné à plusieurs reprises en raison du fait qu’il avait assisté à des représentations théâtrales. En effet, le règlement stipulait que les enfants ou adultes membre de la chorale ne devaient assister à ce type de représentations en ville. Où se sont passés ces faits? Là encore les sources varient : certaines mentionnent Toulon, d’autres Aix.
En 1681 toujours, il part pour la cathédrale Saint-Trophime d’Arles où il fut nommé là encore maître de chapelle mais pour peu de temps. Car deux ans plus tard en 1683, le voila maître de musique à la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse.
A Toulouse, les relations entre Campra et le chapitre sont pour le moins tendues. Les raisons sont multiples : En plus de son caractère affirmé, Campra avait ,dit-on, un léger penchant pour la bouteille ce qui n’arrangeait en rien sa réputation déjà bien dégradée en raison de ses exigences visiblement mal vues. Ces excès amèneront le chapitre à prendre de nouvelles dispositions en 1691 : désormais André Campra devra soumettre ses créations avant de pouvoir les interpréter.
Pour Campra, la décision passe mal. En 1694, il prend un congé de 4 mois au cours duquel il part pour Paris. Durant cette période, il fut élu maître de musique à la cathédrale Notre-Dame de Paris. C’en était définitivement fini de Toulouse…
L’année suivante en 1695, il publiera son premier recueil de compositions religieuses : des motets :
En octobre 1700, il démissionnera de son poste à Notre-Dame et délaissera la musique d’église au profit d’un autre style : l’opéra-ballet. On peut citer l’Europe Galante qui fut joué pour la première fois trois ans plus tôt en 1697 :
Deux ans plus tard en 1699, Le carnaval de Venise eu droit à sa première représentation à l’Académie royale de musique :
Nous voici à présent vers 1720, période où André Campra revint vers la musique religieuse et obtint la fonction de sous-maître de musique à la chapelle royale à Versailles. Vers la fin de sa carrière, il composa un requiem.
La date précise de sa composition n’est pas formellement connue. On parle d’une période autour de 1720-1730. Cependant, certains évoquent une période bien antérieure avoisinant 1695. Le voici dans son intégralité ci-dessous :
Le 29 juin 1744, André Campra meurt à Versailles à l’age de 83 ans. Malgré son ascension, c’est dans la pauvreté qu’il s’éteint, laissant derrière lui une grande carrière et de nombreuses œuvres.
La rue Campra – Ses débuts :
Maintenant que nous connaissons mieux André Campra, nous pouvons nous pencher sur l’histoire de la rue qui porte son nom. D’un point de vue historique, il faut remonter très loin dans le temps pour retrouver la première trace de celle-ci, plus précisément au XIIIe siècle.
A cette époque, Aix était très loin de ressembler à la ville que nous connaissons et ce qui forme l’actuel centre ancien était alors formé de deux bourg distincts : la Ville Comtale au sud et le bourg Saint-Sauveur au nord séparés par un chemin devenu l’actuelle rue Paul Bert (pour plus de précision voyez l’article l’évolution d’Aix au fil des siècles).
Nous étions donc au Moyen-Âge et la rue Campra se trouvait dans le bourg Saint-Sauveur. Inutile de préciser qu’elle ne portait pas encore son nom actuel. Une porte marquant la sortie de la ville se trouvait à l’extrémité est de cette rue : la porte d’Ancalha aussi appelée d’Anchali, d’an Cailla et plus anciennement des Cales ou encore de Caille ). Un nom qui viendrait d’une ancienne famille du nom de Caille ou La Caille. Une famille de notables vivant dans le voisinage à qui on aurait donné son nom à une des portes de la ville, chose qui se faisait à cette période. Ces informations figurent dans des registres dans lesquels la plus ancienne mention de cette porte remonte à 1235.
Le plan ci-dessous nous indique son emplacement, la ligne rouge indique le tracé du rempart au XIIIe siècle :
Comme nous le montre le plan ci-dessus, l’ancien emplacement de cette porte correspond aujourd’hui à l’endroit où la rue Campra débouche sur la rue Pierre et Marie Curie.
Les noms de la rue au fil du temps :
Cette rue n’a pas pris le nom de Campra dès son apparition et en a connu plusieurs par le passé. Ces noms sont, dans certains cas, assez curieux. En effet, que ce soit de par le passé ou plus récemment, leur attribution peut susciter quelques interrogations…
Quand on la regarde bien, on s’aperçoit qu’elle est en réalité formée de deux portions : l’une allant vers l’est, l’autre vers l’ouest. Il faut savoir que dans un premier temps, chacune avait sa propre dénomination.
Dans un premier temps :
La partie allant vers l’ouest fut nommée anciennement rue de Sault ou encore d’Agoult, des noms issus de familles qui y vivaient. La partie allant vers l’est avait quant à elle le nom de rue de la Porte-Peinte.
De nos jours, ces anciennes dénominations sont encore mentionnées et visibles sur les panneaux en provençal rappelant les précédentes appellations des rues d’Aix :
Dans un second temps :
La partie est qui formait la rue de Sault (ou d’Agoult), prit ensuite le nom de Revestin (ou Des Revestins), un nom qui venait là aussi d’une famille qui y avait sa demeure. La partie est quand à elle garda le nom de rue de la Porte-Peinte. Comme on peut le voir sur le plan ci-dessous :
Le temps passant, c’est toute la rue (ses deux portions) qui prirent le nom de rue de la Porte-Peinte.
– C’est ici que ce présente la première bizarrerie de cette histoire : on a vu plus tôt que cette rue possédait autrefois une porte à son extrémité : la porte d’Ancalha. Or, la rue obtint celui de la Porte-Peinte. Alors où était donc cette Porte-Peinte? Sachez que vous la connaissez très bien, c’est la porte par dessus laquelle fut édifié le beffroi de l’hôtel de ville (la tour de l’horloge sous laquelle vous passez peut-être quotidiennement). C’était une ancienne porte fortifiée faisant partie de murailles entourant l’ancienne ville Comtale (appelé aussi parfois Portail-Peint). Au XVIe siècle, la Tour de l’Horloge fut édifiée sur la base de la porte. Une partie des murs (les pierres les plus claires à sa base) sont encore en place aujourd’hui et ces vestiges sont les derniers d’une porte de cette époque (XII-XIIIe siècles) qui sont encore debout de nos jours malgré les multiples remaniements qu’a subi l’édifice au cours des siècles.
A l’époque ou l’actuelle rue Campra reçu le nom de rue de la Porte-Peinte, il est fort probable qu’il ne restait rien ou très peu de la porte d’Ancalha. Malgré tout, le plus logique aurait été de lui donner le nom de rue de la porte d’Ancalha qui était à son extrémité plutôt que celui de l’ancienne Porte-Peinte qui est bien plus loin et à laquelle elle ne mène pas. La raison de cette curiosité m’est inconnue, cependant rien n’empêche de penser qu’à l’époque la configuration des voies était très sensiblement différente et qu’elle y menait plus directement. J’émets cette hypothèse, mais on sait que l’agencement des rues du bourg Saint-Sauveur n’a quasiment pas changé depuis le Moyen-Âge. Mystère donc…
1879 – Un nouveau nom en projet :
Le XIXe siècle arrivé, des changements allaient se faire sentir. Des modifications qui, elles aussi, allaient apporter une autre bizarrerie.
Tout commence le 22 avril 1879. Lors d’une séance du Conseil Municipal, ou l’on apprend que :
M. le président expose que d’une part diverses rues de la ville donnent lieu fréquemment à des confusions par suite d’une certaine similitude dans leur dénomination et que, d’autre part, il conviendrait de perpétuer le souvenir de plusieurs illustrations locales comme par exemple, Campra. Il propose en conséquence, de former une commission spéciale avec mission de présenter un rapport d’ensemble sur les rues d’Aix. (National du 27/04/1879)
En clair, donner de nouveaux noms bien distincts aux rues pour y voir plus clair et mieux se repérer, le tout en n’oubliant pas d’honorer la mémoire de célébrités locales (dont Campra).
Au fil des jours, le projet se fait plus précis. On apprend, entre autre, que c’est la rue du Puits-Neuf qui doit prendre le nom de rue Campra. Oui vous avez bien lu ! C’est bel et bien cette rue qui, dans un premier temps, devait prendre le nom de Campra car souvenez-vous, c’est dans cette rue qu’il est né.
Mais alors, à ce moment de l’histoire, qu’en est t-il de notre actuelle rue Campra, qui s’appelait encore rue de la Porte-Peinte? Et bien sachez qu’il était prévu de la renommer rue Floquet, en hommage à Etienne-Joseph Floquet (1748-1785) qui était, tout comme André Campra, un compositeur aixois.
Juillet 1879 – Le verdict :
Trois mois après avoir émis l’idée de changer certains noms de rue, les décisions sont validées. C’est finalement moins de rues que prévu qui obtiendront un nouveau nom :
Le Conseil a réduit le nombre de celles qui devaient être débaptisées et recevoir d’autres appellations, pour ne pas jeter trop de perturbations à la fois dans les habitudes. Il a ainsi renoncé à donner les noms de (…) Floquet à la rue de la Porte-Peinte. (M.A. du 3/08/1879)
On apprend donc ici que la rue de la Porte-Peinte (notre future rue Campra) ne portera pas celui de Floquet. Cette décision fut source de déception pour certains, on pouvait lire à l’époque:
Parmi les dénominations abandonnées, nous regrettons celle de Floquet, célébrité aixoise par sa naissance, dont le talent fut tout français. Un musicien renommé, un autre maître de chapelle de Saint-Sauveur devait illustrer de son nom une rue qui avoisinait la basilique métropolitaine, la rue Porte-Peinte. (M.A. du 3/08/1879)
Plus loin dans l’article on lisait que :
Nous avions déjà la rue Félicien-David; avec les rues Campra et Floquet, notre ville aurait vu briller sur les plaques de ses voies urbaines une trilogie musicale que bien des cités lui envieraient. Floquet a été relégué dans les coulisses et la rue Porte-Peinte s’appellera rue Campra. (M.A. du 3/08/1879)
– Et voici la seconde bizarrerie de cette histoire : du fait de l’abandon du nom de Floquet pour renommer la rue de la Porte-Peinte, on ne trouva rien de mieux que de donner à celle-ci le nom de Campra. C’est à ne rien y comprendre, car si l’on se souvient bien, on avait décidé trois mois plus tôt de donner le nom d’André Campra à la rue du Puits-Neuf, rue dans laquelle il est né. Et voila qu’à présent, sans raison apparente, c’est une rue qui n’a absolument rien à voir avec lui qui porte son nom…
Et la rue du Puits-Neuf dans tout ça? Rien de neuf, justement, puisque vous l’aurez remarqué, elle porte encore ce nom de nos jours !
La rue sur les plans – Avant et après :
Les plans furent alors actualisés. Ceux antérieurs à 1879-1880 nous présentent la rue avec son ancienne dénomination de rue de la Porte-Peinte, comme celui-ci de 1848 :
Après ce changement, les plans se sont donc adaptés et la rue fut inscrite en tant que rue Campra, comme sur ce plan (de médiocre qualité) de 1897 :
Cette année là, cette rue ne fut pas la seule à voir son nom subir une modification. Au total 17 d’entre elles auraient du changer de nom mais seulement 5 furent renommées. Je serais tenté de vous en parler mais les aborder nous éloignerait du sujet du jour… (Si vous voulez en savoir plus, voyez dans les sources le National du 27 juillet 1879)
Le collège Campra :
Cet article avait pour but de rechercher le nom de Campra dans Aix, il serait donc incomplet si l’on oubliait le collège qui porte son nom :
Situé entre les rues Loubet, Pierre et Marie Curie et le boulevard Aristide Briand, le collège Campra occupe les locaux de l’ancien Séminaire édifié à la fin du XVIIe siècle – mi XVIIIe. Durant la révolution, le lieu fut transformé en magasin militaire, ceci jusqu’en 1803, année où le Séminaire rouvrit ses portes. En 1905, suite à la loi de séparation entre l’Eglise et l’Etat, le Séminaire devint le collège moderne et technique de jeunes-filles.
En revanche, je ne suis pas parvenu à retrouver la trace de la création du collège Campra « moderne et mixte » ainsi que la date de sa nouvelle dénomination.
(Je n’ai pas oublié l’école maternelle Campra située dans la rue des Ménudières mais je n’ai que peu de choses dire sur l’école en elle-même – sans oublier l’auditorium Campra au conservatoire Darius Milhaud).
Pour finir :
Comme je l’ai précisé au début, la partie de l’article traitant de la vie d’André Campra n’a pas pour but d’être absolument complète. De plus, je suis souvent tombé sur des sources contradictoires ou sans réels fondements. Donc quitte à être un peu vague j’ai préféré faire un survol de sa vie.
D’un point de vue urbanistique, on ne saura peut-être jamais pourquoi la rue du Puits-Neuf où est pourtant né Campra ne reçu finalement pas son nom en 1879.
Dans l’ensemble, peu importe, son nom est encore là et quand on y regarde bien, la rue Campra est presque voisine de celle du Puits-Neuf. André Campra n’est donc qu’à deux pas de « sa » rue. Le passé rejoint souvent le présent.
– Sources biographiques:
musicologie.org
notredamedeparis.fr
http://concertclassic.com
A propos du Requiem : oratoriodeparis.asso.fr / ou : ledeblocnot.blogspot.fr
– Sources écrites et sources issues des archives de la Méjanes et de la B.N.F. :
Projet nom de rue Campra : National du 27 avril 1879
Projet de nom différent : Mémorial d’Aix du 27 Juillet 1879 et National du 27 juillet 1879
Dénominations définitives – Mémorial d’Aix du 3 août 1879
A propos de Campra : Mémorial d’Aix du dimanche 22 juillet 1906
Manuscrit du complet du requiem (1722) : B.N.F. – Gallica
Plan de 1848 par Gasquy : B.N.F. – Gallica
Plan de 1897 par Makaire : B.N.F. – Gallica
Jean Pourrière : Recherches sur la première cathédrale d’Aix en Provence – 1939 (p 127)
Jean Pourrière : Aix en Provence – Rues et Monuments – 1952 (p 137-138)
Ambroise Roux-Alphéran : les Rues d’Aix – 1846 – Tome 1
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