Remontons le temps il y a plusieurs siècles, à une époque où l’approche des maladies psychiatriques était très différente. Un temps où pour qualifier des personnes atteintes de troubles relevant de ce que l’on appelle de nos jours la psychologie ou la psychiatrie, on utilisait couramment les termes « d’aliénés » ou encore « d’insensés ».
Les connaissances en la matière étaient très loin de celles d’aujourd’hui, et les lieux consacrés à leur traitement n’existaient pas vraiment. Mais avec le temps, petit à petit, des lieux destinés à l’accueil de personnes atteintes de ces troubles allaient émerger à Aix.
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Précisons / Avant-Propos :
– Je précise que, dans cet article, le sujet sera abordé d’un point de vue purement « urbanistique », et pas « pathologique ». Je ne souhaite pas effectuer une présentation du traitement des maux psychiatriques d’autrefois, le but du présent article étant de recenser les principaux lieux qui ont accueilli ces personnes à Aix, au fil des siècles.
– Je précise aussi que j’emploierai souvent le terme « asile » ou des dérivés pour coller au vocabulaire d’autrefois, tout en sachant que l’expression, au fil du temps, a laissé sa place à « hôpital psychiatrique » ou plus récemment à « centre hospitalier spécialisé » .
– Toutes les sources que j’ai utilisées sont listées à la fin de cet article
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Petit tour d’horizon de ces différentes adresses…
1 – Accueillir les « insensés » à Aix
Jusqu’à la fin du XVIIe siècle – Pas vraiment de lieu dédié :
Dans un premier temps, bien que ces patients étaient accueillis à l’hôpital Saint-Jacques (toujours existant), ou encore dans l’ancien hôpital de la Charité (autrefois situé sur l’actuel cours des Arts et Métiers), il n’y avait pas, à proprement parler, de lieu consacré, uniquement à eux, et à leurs troubles à Aix :
L’hôpital Saint-Jacques admettait les personnes les plus calmes. Les plus agitées étaient, quant à elles, intégrés à l’hôpital de la Charité, ouvert en 1640, et destiné à l’origine à l’accueil des vieillards, mendiants et orphelins (1). Ces lieux n’étaient donc pas spécialisés en la matière et accueillaient, si l’on peut dire, un peu de tout.
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Fin du XVIIe siècle – Les commencements :
Le 2 septembre 1691, une réunion menée par les trois principaux hôpitaux d’Aix (Charité, Saint-Jacques et Miséricorde), mena à une conclusion : la création d’un lieu d’accueil uniquement dédié aux « insensés » était indispensable en ville (1).
Ainsi, pour trouver la trace d’un premier lieu réellement destiné à l’accueil des « aliénés », il faut remonter à la fin du XVIIe siècle, en 1691. A cette période fut ouvert un lieu d’accueil dans une maison située dans l’ancienne rue Saint-Lazare, actuelle rue Laroque :
Mais ce lieu, qui s’est vite révélé peu adapté, n’eut qu’un rôle provisoire. Les patients allaient en effet déménager quelques années plus tard dans un nouvel établissement, définitif celui-ci (2), du moins, un temps.
2 – L’asile des aliénés sur le cours de la Trinité
« Hospice de la Trinité », « hôpital des insensés », diverses d’appellations pour désigner un seul et même lieu : le nouvel « asile des « insensés », autrefois situé au bord du cours de la Trinité (cette voie, créée au XVIIe siècle, porte ce nom en raison des religieux trinitaires qui s’installèrent à Aix, non loin de là, à cette époque) :
Ces nouveaux bâtiments furent construit au nord de l’ancienne porte Bellegarde, à l’entrée de la montée de Saint-Eutrope (actuelle avenue Jules Isaac). Les terrains furent acquis en date du 13 mars 1697 (1) et la première pierre fut posée le 2 juillet 1697 (2).
Le transfert des patients s’y déroula entre la fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe (2).
Ces nouvelles infrastructures, vastes, avaient pour particularité de posséder des loges séparées, à l’opposé de ce qu’offrait la maison provisoire de la rue Saint-Lazare. (1).
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L’asile de la Trinité en détails :
Avec le temps, les lieux furent agrandis et en 1785, on comptait 117 loges pour 160 patients (1).
On peut se faire une idée assez précise de l’agencement des lieux grâce à un plan du rez-de-chaussée vers 1775 (3), que j’ai reproduit et remis en couleur pour une lecture plus rapide :
Une mise en volume rapide de ce plan donne ceci :
En plus d’être visible sur des plans, cet édifice est aussi présent sur une photographie prise par Claude Gondran vers 1870 :
Superposons le plan de l’ancien asile de la Trinité sur une vue actuelle pour observer l’emplacement qu’il occupait :
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XIXe siècle – La fin de l’asile de la Trinité :
Avançons dans le temps, en 1860, soit plus d’un siècle et demi après la création de l’asile de la Trinité. Les lieux, accusant désormais le poids des âges, furent déclarés insalubres et trop à l’étroit. Pour régler le problème de salubrité et d’espace de l’édifice vieillissant, un agrandissement fut recommandé, mais refusé par le sous-préfet qui préférait un déplacement pur et simple de l’établissement, ailleurs (4).
C’est donc désormais ailleurs, au sud de la ville qu’un nouvel asile allait être construit.
3 – L’asile de Mont-Perrin
Oui, « Mont-Perrin » voire « Mont Perrin » (et pas Montperrin) si l’on veut être précis, car c’est ainsi que l’on nommait autrefois cette butte située au sud-ouest du centre ancien.
C’est à cet endroit que se porta le choix du lieu où allait être édifié le nouvel asile :
Par un arrêté en date du 28 juillet 1862, une parcelle de près de 7 hectares fut achetée auprès de son propriétaire, Mr Martin-Perrin, pour une valeur de 50 000 francs (5). La parcelle était désormais acquise, mais les travaux allaient cependant se faire attendre pendant près de cinq années.
La mise en adjudication des travaux de l’asile du Mont-Perrin eu lieu le 16 août 1867 (6) et ceux-ci débutèrent vers la fin 1867 car la presse d’août 1868 indique que le premier bâtiment « s’élève avec rapidité » (7). Ce premier pavillon fut achevé en 1869 (8) et occupé dans la foulée par 70 malades (9). Pendant,ce temps, d’autres pavillons étaient en cours de construction.
Ça n’est qu’à partir de 1871 que l’asile de la Trinité commença à être abandonné. Cette année là, le service fut transféré à celui de Montperrin, dont les travaux ne furent cependant achevés complètement qu’en 1881 (4).
Pour l’anecdote, ce nouvel asile n’était pas destiné aux seuls locaux. La presse ancienne indique en effet que des malades provenant de Corse ou d’Algérie y étaient aussi accueillis, apportant une source de revenus supplémentaire et non négligeable à l’établissement (10).
Le site de Montperrin de nos jours :
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1879 – La disparition de l’ancien asile de la Trinité :
L’ancien asile de la Trinité désormais déserté et ayant perdu son utilité, fut détruit au cours de l’année 1879, la démolition étant indiquée comme presque achevée, fin août de cette année là (11).
A son emplacement fut construite la nouvelle Ecole Normale d’instituteurs qui ouvrit ses portes en 1882 (12).
– Les deux images ci-dessous montrent le même lieu photographié par Claude Gondran mais avec quelques mois (ou années) d’intervalle :
A gauche on voit l’ancien asile de la Trinité, puis quelques temps plus tard l’Ecole Normale qui l’a remplacé (on reconnaît l’escalier du cours de la Trinité sur la droite des deux clichés) :
En conclusion :
Après l’Hôtel-Dieu et l’ancien hôpital de la Charité est donc apparu un premier lieu d’accueil, provisoire, vers 1690. Son remplaçant, l’asile de la Trinité, créé quelques années plus tard a perduré pendant un peu plus d’un siècle et demi, avant lui aussi d’être remplacé par celui de Montperrin, qui existe toujours et qui s’est d’avantage développé au XXe siècle.
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L’évolution de ces maux dans la société au fil du temps :
Nous venons donc de voir qu’avec le temps, les lieux d’accueils se sont donc spécialisés. Mais si le problème du « stockage » des personnes a réglé un problème, d’autres l’ont aussi été avec le temps :
– Les avancées dans les soins : Les connaissances en la matière ont grandement évolué, la médecine ayant fait de sérieux progrès dans le traitement des troubles psychiques.
– La perception et la qualification des malades : Les termes « insensés » ou « aliénés », ont peu à peu déserté le vocabulaire commun pour désigner ces personnes. Tout comme les noms des lieux destiné à leur accueil, qui sont passé de « asile », à « hôpital psychiatrique » ou encore « centre hospitalier spécialisé ».
Passer par l’un de ces lieux peut arriver à tout le monde, il n’y a pas de « fous », « d’insensés », « de fadas » ou « d’aliénés », ces termes ne veulent rien dire face au nombre infini de degrés de mal-être dans ce domaine.
Il a fallu plusieurs siècles à la société pour accepter qu’aucune norme n’existe chez l’être humain, c’est désormais chose faite, mieux vaut tard que jamais.
– Sources :
(1) Joseph Alliez, Louis Vallade et Marie-José Vallade : Histoire des Sciences Médicales – Tome XI – N° 1-2 – 1977 (pages 19 à 27)
https://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm/hsm/HSMx1977x011x001_2/HSMx1977x011x001_2.pdf
(2) Ambroise Roux Alpheran : Les Rues d’Aix – Tome 2 – 1848 – Pages 480-481 (ed. 1985)
(3) Billet, Jean-Pierre : Les insensés en Provence aux XVIIe et XVIIIe siècles. Contribution à l’étude des interactions entre folie et culture à l’âge baroque , Revue Provence historique , T. 38 , Fascicule 154 , 1988, e-ISSN-2557-2105. URL : http://provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/n/1988/Pages/PH-1988-38-154_03.aspx
(4) Document pour les 150 ans de l’hôpital Montperrin : http://www.ch-montperrin.fr/PublishingImages/Pages/Actualit%C3%A9%20g%C3%A9n%C3%A9rale/Actualit%C3%A9%20CH%20Montperrin/150-ans-du-CH-Montperrin-/septembre%202017%20bis.pdf
(5) Le Mémorial d’Aix du 12 octobre 1862 (page 2, colonne 2)
(6) Le Mémorial d’Aix du 11 août 1867 (page 4, colonne 1)
(7) Le Mémorial d’Aix du 14 juin 1868 (page 2, colonne 3)
(8) Délibérations du Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône-1 (1869 – page 35)
(9) Délibérations du Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône-2 (1869 – page 35)
(10) Le Mémorial d’Aix du 9 novembre 1871 (page 1, colonne 4)
(11) Le Mémorial d’Aix du 31 août 1879 (page 3, colonne 2)
(12) Achille Makaire « Promenade d’un étranger à Aix » – 1885 – (pages 70-71)
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