– Note : Cet article est la version écrite d’une conférence que j’ai donné en novembre 2019.
Petit rappel historique :
En 2017, j’évoquais les dernières portes fortifiées d’Aix-en-Provence et les avais modélisées en 3D. Puis, en 2019, j’avais replacé ces mêmes portes disparues à leurs emplacements respectifs dans la ville actuelle grâce à des montages.
Pour rappel, dans ces deux articles, j’avais évoqué l’ancienne porte Notre-Dame, qui se trouvait au débouché Nord de l’actuelle rue Jacques de La Roque. Celle-ci eu comme particularité d’avoir été l’une des dernières à avoir été détruite et fut, par ailleurs (à ma connaissance) la seule dont on possède une photographie, prise vers 1870 par Claude Gondran :
En comparaison avec ses huit autres sœurs ceinturant autrefois la ville avec les remparts, celle-ci n’était pas si ancienne.
Car si une porte fortifiée se trouvait déjà à cet endroit dès les débuts du moyen-âge, la version que nous voyons ici fut le résultat d’une reconstruction opérée bien plus tardivement, entre 1786 et 1788.
En 1848, le démantèlement des remparts et des portes fortifiées qui entouraient la ville débuta, la ville s’ouvrant sur l’extérieur. Et en juin 1874, toujours dans un souci de circulation, le conseil municipal vota la destruction de cette porte Notre-Dame :
La porte fut donc détruite, et a donc disparu à tout jamais.
[ Fin du rappel historique ]
OUI MAIS :
La porte Notre-Dame serait-elle toujours existante ?
Question curieuse au premier abord mais, comme indiqué dans mes précédents articles évoquant ces anciennes portes, j’ai toujours entendu dire que les battants de cette porte Notre-Dame existeraient toujours du côté du quartier Mazarin. Plus précisément, sur le portail d’entrée de l’hôtel Bonnet de la Baume, dans l’actuelle rue Goyrand.
Seulement voila, je ne pouvais pas me baser sur de simples affirmations, car POUR RAPPEL, LES SOURCES C’EST IMPORTANT POUR VÉRIFIER UNE INFORMATION.
– Petit schéma simple d’une méthode à appliquer dans beaucoup de cas :
En utilisant cette méthode, j’ai donc mené ma petite enquête ci-dessous (et cela vous permettra de voir comment je procède dans mes recherches).
Que seraient devenus les battants de l’ancienne porte Notre-Dame ?
Pour mener cette enquête, fouillons dans la presse d’époque qui n’est pas avare en informations.
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Le lieu présumé :
On apprend, dans le Mémorial d’Aix du 25 octobre 1874, que non seulement les boiseries étaient en mélèze, mais surtout : qu’elles n’avaient pas été détruites, puisque’elles avaient été acquises par un certain docteur Silbert, qui les avait placées à l’entrée de sa demeure, « l’ancien hôtel de Coriolis », situé dans la rue du Bœuf :
Nous avons donc pour commencer :
– le nom de celui qui les a récupérées : le docteur Silbert ;
– le lieu où elles ont été transportées : l’ancien hôtel de Coriolis ;
– et une rue où ce lieu ce trouve : celle du Bœuf.
–
A présent, allons chercher dans le guide de l’arrondissement d’Aix de 1874 pour être sûr que notre docteur Silbert réside bien dans la rue du Bœuf.
Et effectivement, à la page 92, recensant les médecins de la ville, on le retrouve domicilié au n°22, rue du Bœuf :
Nous avons donc désormais une adresse complète : le 22 rue du Bœuf.
–
Allons maintenant voir à quoi cette adresse correspond sur le plan cadastral de la ville au XIXe :
Nous constatons que la rue du Bœuf (autrefois prolongée par la rue Saint-Michel) correspond, de nos jours à l’actuelle rue Goyrand. Quant à l’ancien hôtel de Coriolis au n°22 de la rue, il correspond à l’actuel hôtel Bonnet de la Baume, à l’actuel n°2 de la rue Goyrand :
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Seulement voila, deux problèmes sont présents à ce stade :
1 – la rue « du Bœuf » est devenue rue « Goyrand » ;
2 – l’ancien hôtel « de Coriolis » est devenu l’hôtel « Bonnet de la Baume »
Tentons d’y voir plus clair sur ces deux points :
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1 – La rue :
rue « du Bœuf » ou « Goyrand » ?
C’est vrai ça, depuis le début on parle de rue « du Bœuf » et voila que subitement la rue « Goyrand » la remplace, curieux non ?
En fait, cela remonte à l’été 1879, période où la ville renomma les rues Saint-Michel et la rue du Bœuf et qui ont, en quelque sorte, été fusionnées pour n’en faire qu’une seule, la rue alors renommée « Goyrand » :
Il s’agit donc bel et bien de l’actuelle rue Goyrand, ancienne rue du Bœuf.
– – –
2 – L’hôtel :
hôtel « de Coriolis » ou « Bonnet de la Baume » ?
Ca aussi c’est curieux, la presse ancienne évoque l’hôtel « de Coriolis » et sur place, actuellement, on y voit l’hôtel « Bonnet de la Baume ».
Là aussi, une explication a sa place. En effet, si les Coriolis-Moissac ont bien possédé cet hôtel un temps, celui qui l’a fait bâtir à la veille de la révolution ne fut autre que Joseph Philippe « Bonnet de la Baume » :
Du fait du changement de nom de la rue et de sa fusion avec l’ancienne rue Saint-Michel, l’hôtel ne porte plus le n° 22, mais désormais le n°2.
De ce fait, parler de l’ancien hôtel de Coriolis, ou de l’hôtel Bonnet de la Baume revient à parler du même lieu.
Il s’agit donc ici aussi de l’hôtel Bonnet de la Baume.
– – –
A présent, nous avons recueilli beaucoup d’indices qui vont dans le sens de l’affirmation du début d’article évoquant l’hôtel Bonnet de la Baume dans la rue Goyrand et donc le portail des lieux.
Mais allons encore plus loin, avec la description des lieux dans la presse de l’époque :
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Le portail de l’hôtel Bonnet de la Baume décrit à la fin XIXe siècle :
La presse ancienne, au travers de deux articles que j’ai retrouvé, décrit l’hôtel du docteur Silbert et donc l’hôtel Bonnet de la Baume, en particulier son portail :
On y parle alors de « piliers de temple » et « d’énormes battants à clous carrés ».
– Vient ensuite un autre extrait :
Ici, le doute n’a plus vraiment sa place quand on lit qu’une ancienne « porte de ville » clos la cour de l’hôtel du docteur Silbert (hôtel Bonnet de la Baume) rue Goyrand.
Replaçons tous nos indices dans l’ordre :
Si nous reprenons tous les indices FACTUELS que nous venons d’accumuler, voici ce que nos obtenons :
1 – La porte Notre-Dame fut détruite à l’automne 1874.
2 – Ses battants en mélèze furent alors récupérés à cette période par le docteur Silbert pour les installer sur le portail de son hôtel, alors situé à l’ancien n°22 de l’ancienne rue du Bœuf.
3 – Son hôtel était souvent nommé « ancien hôtel de Coriolis », ayant appartenu à la famille Coriolis-Moissac, mais est nommé de nos jours « hôtel Bonnet de la Baume », du nom de celui qui l’a fait bâtir à la fin du XVIIIe siècle.
4 – A l’été 1879, l’ancienne rue du Bœuf (prolongée par l’ancienne rue Saint-Michel) fut renommée rue Goyrand. Du fait de ce changement, l’hôtel ne porte plus le n°22 mais le n°2.
5 – A la toute fin du XIXe siècle, l’entrée de l’hôtel du docteur Silbert, était décrite comme ayant « des piliers de temple » et « d’énormes battants à clous carrés » et ses battants étant alors désignés comme une « ancienne porte de ville ».
Allons voir sur place :
Tous ces indices une fois organisés et en poche, allons voir cette porte sur place, à l’hôtel Bonnet de la Baume dans la rue Goyrand :
– Les colonnes massives « de temple » sont bien là :
– Les « énormes battants à clous carrés » aussi :
Ca commence à faire beaucoup.
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Pour finir notre enquête, comparons les battants de l’hôtel Bonnet de la Baume de nos jours, avec ceux de l’ancienne porte Notre-Dame visibles sur la photo de Claude Gondran vers 1870.
Dans les deux cas, on retrouve le même nombre de clous avec des battants composés de rangées de :
– 7 clous en largeur ;
– 41 clous en hauteur :
Un nombre de clous et une organisation de ces derniers identiques donc.
Conclusion de ma « petite » enquête :
A partir de là et malgré la foule d’indices que nous venons de trouver, deux hypothèses s’offrent à nous :
– Hypothèse n°1 – La plus intéressante :
Nous avons recueilli bien trop d’indices pour une simple coïncidence, entre les adresses et la description des battants, qui plus est en les comparant avec la photo de Claude Gondran. Ces battants seraient donc bel et bien ceux de l’ancienne porte Notre-Dame et nous pourrions en quelque sorte toujours l’admirer. Seulement voila, j’ai toujours été intrigué par le fait que rien sur place ne mentionne la chose et l’origine de ces battants, qui seraient pourtant les derniers vestiges de portes fortifiées aixoises d’autrefois, et donc un élément patrimonial d’exception pour Aix.
– Hypothèse n°2 – Plus classique :
Tout ne serait que pure coïncidence et quelque chose aurait cloché dans mon raisonnement que j’ai pourtant retourné dans à peu près tous les sens. Auquel cas, les battants ne seraient plus les mêmes malgré une foule d’indices qui vont dans le sens contraire et une ressemblance plus que frappante. Cependant, il est aussi vrai que dans une telle enquête et au vu du temps qui a passé, bien des choses auraient pu changer, ce qui expliquerait que rien sur place ne mentionne la chose. Mais si tel était le cas, j’aimerai vraiment que l’on m’explique où j’ai décroché.
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Mais au vu de mon enquête, des similitudes et selon mon avis personnel, je reste intimement convaincu qu’il y a de très fortes chances que ces battants soient ceux qui se trouvaient jusqu’en 1874 sur l’ancienne porte Notre-Dame.
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Et si vous avez une autre théorie ou quelque chose pour contre-argumenter, avec des sources, n’hésitez pas à me contacter pour m’en faire part, ça m’intéresse.
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