C’était il y a 111 ans, la planète rappelait à ses habitants qu’elle a toujours le dernier mot. Le vendredi 11 juin 1909 en soirée, le sol trembla dans le sud de la France, un séisme de magnitude 6,2 sur l’échelle de Richter ressenti jusque dans le Gard qui causa de nombreux dégâts et victimes dans plusieurs villages.
– A savoir : cet article qui se veut non-exhaustif est basé sur des sources locales d’époque (voir les sources en fin d’article) et sur un dossier technique publié en 1983 disponible sur le site observatoire-regional-risques-paca.fr.
Avant 1909 :
Avant même d’évoquer le séisme de juin 1909 en Provence, il est intéressant de revenir sur un autre séisme qui s’est produit 22 ans auparavant, le 23 février 1887.
Ce jour là, la presse locale (1) rapporte que peu avant 6 heures, une forte secousse se fit ressentir à Aix secouant les habitants dans leurs lit et faisant bouger les meubles. Trois autres secousses, beaucoup plus faibles ont suivi, la dernière ayant été ressentie vers 8 heures.
Aucune victime ne fut apparemment à déplorer à Aix (en tout cas, pas dans le décompte « officiel »). Seuls des dégâts ont été constatés, notamment un tuyau de cheminée tombé rue Goyrand et un mur récemment réparé qui s’était rouvert sur une habitation du cours Mirabeau.
Si le ressenti et les conséquences ont été légers à Aix, il n’en fut pas de même pour une partie de la Provence et en Ligurie en Italie. Au total (2), dans ces zones, le séisme dont l’épicentre a été supposé en méditerranée a fait environ 644 morts (dont huit dans les Alpes Maritimes et un dans les Alpes de Haute-Provence en ce qui concerne la France).
Le séisme de 1909 :
Des signes du drame à venir, bien avant le séisme :
Ce tremblement de terre n’est pas arrivé d’un seul coup, déjà quelques temps avant, plusieurs signes se sont manifestés (3) :
– en novembre 1906 (trois ans avant le séisme) : des secousses ont été ressenties à Mirabeau ;
– en novembre 1907 (deux ans avant le séisme) : des détonations souterraines ont été ressenties à Eyguierres ;
– le 7 janvier 1907 à 20 heures (6 mois avant le séisme) : de nouvelles secousses ont été ressenties à Mirabeau et ses alentours (Beaumont de Pertuis au nord, Saint-Paul Lez-Durance au sud, jusqu’au Puy Sainte-Réparade à l’ouest) ;
– le 25 mars 1909 à 20 heures (2 mois et demi avant le séisme) : de nouvelles secousses ont été ressenties au Puy Sainte-Réparade ;
– le 28 mai 1909 (treize jours avant le séisme) : un bruit souterrain fut entendu à Saint-Canadet, au sud du Puy Sainte-Réparade ;
– A partir du 6 juin et jusqu’au jour du séisme, un habitant de Salon indiquait avoir perçu des bruits souterrains récurrents ;
Un autre événement est à rapporter mais bien q’il puisse paraître très curieux au premier abord, j’ai jugé intéressant de le mentionner car il pourrait avoir une explication scientifique (développée plus loin dans cet article) :
Le mercredi 9 juin au soir, soit deux jours avant le séisme, des pêcheurs jetant leurs filets à 5 km de la côte entre Cassis et la Ciotat assistèrent à un curieux spectacle. La mer s’agita soudainement et, d’après ce qu’ils indiquèrent, il virent des lumières dans le ciel ainsi qu’une vive lueur rougeâtre qui l’enveloppait. Paniqués, il rentrèrent au port sans tarder. Ce phénomène a aussi été constaté par d’autres pêcheurs se trouvant au même moment du côté de la Ciotat (4).
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La journée du 11 juin 1909 :
La journée du 11 juin, plusieurs habitants ont indiqué que les animaux avaient un comportement inhabituel. Les oiseaux étaient agités, les chiens aboyaient sans raison particulière et semblaient anxieux.
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Vendredi 11 juin 1909 – en soirée :
21h 16m 3s, c’est l’heure (5) à laquelle le sol a choisi de se réveiller pour de bon, avec une première secousse. Les villages les plus touchées ont été ceux de Rognes, Lambesc, Saint-Cannat, Vernègues, Pélissanne et le Puy Sainte-Réparade mais le tremblement a été ressenti sur une très vaste zone.
A ce moment de la journée, dans les villages les plus touchés, les témoignages rapportent qu’une partie des victimes ne se trouvaient pas dans leur domicile mais à l’extérieur, prenant l’air ou s’occupant de travaux agricoles (animaux, jardins) et furent atteints en tentant de fuir, alors pris de panique (6). Les murs tombaient, les pierres chutaient, tuant ou blessant celles et ceux qui se trouvaient en contrebas ou chez eux, le désastre prit place et ravagea des vies entières en peu de temps.
Vingt minutes après la première secousse, à 21h36, la terre trembla de nouveau lors d’une réplique, d’intensité légèrement plus faible suivie par d’autres encore un peu plus faibles en soirée et les jours suivants.
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Le séisme à Aix :
A Aix-en-Provence, ville située au sud de la zone de forte intensité, les secousses furent aussi ressenties (7).
Les habitants qui étaient chez eux virent soudainement trembler leurs murs dans un grand fracas. En pleine panique et parfois au milieu des larmes et des cris, les habitants quittèrent leurs habitations pour rejoindre les rues et places publiques qui peu à peu devinrent noires de monde. Chacun et chacune se racontant ses impressions sur ce qui venait de se passer.
Quant aux habitants qui étaient encore de sortie, notamment sur le cours Mirabeau où ils étaient installés devant les cafés où étaient données des projections de cinématographe, la violence de la secousse fit se renverser plusieurs personnes, notamment des enfants et des personnes âgées. Un témoin présent dans un café du Cours indiqua avoir ressenti « six oscillations consécutive de chacune une seconde environ » (8). Le courant fut ensuite coupé, l’éclairage public diminua jusqu’à soudainement s’éteindre, augmentant alors l’angoisse générale déjà bien présente.
Aussitôt, sur le cours Mirabeau et la place de la Rotonde s’amassèrent de nombreuses familles, arrivées avec des chaises, bien décidées à passer la nuit sur place plutôt que chez eux. Tandis que certains avaient opté pour des wagons de la gare ou au kiosque des marronniers, d’autres ont préféré aller passer la nuit sur les rives de l’Arc.
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Les lumières du séisme, des aurores boréales en Provence ?
Lors de mes recherches à propos de cet événement, j’ai aussi constaté plusieurs témoignages d’observations de phénomènes lumineux par de nombreux témoins et en de nombreux points comme à Aix, Celony, Puyricard, Mouries, Lambesc ou encore le Puy Sainte-Réparade. Celles-ci ont été observées entre ou au cours des secousses. Les descriptions sont toutes plus ou moins similaires, évoquant des lueurs proches de celles d’une aurore boréale (8), accompagnées d’éclairs paraissant sortir du sol et montant vers le ciel, voire ressemblant à des flammes ou à des boules de feu (9).
En se penchant sur la description de ces phénomènes aperçus le 11 juin, on constate au passage qu’ils ressemblent beaucoup à ceux aperçus deux jours plus tôt par les pêcheurs de Cassis et ceux de la Ciotat ayant dû rentrer au port en raison d’étranges lumières dans le ciel et d’une mer agitée que j’ai mentionné plus haut dans cet article.
De tels phénomènes peuvent éveiller la curiosité ou laisser sceptiques. Cependant, le paranormal n’aurait rien à voir là dedans et ils pourraient même avoir une explication bien rationnelle. Ces « lumières de séisme » (ou EQL – earthquake lights en anglais) sont scientifiquement étudiées depuis la seconde moitié du XXe siècle. Leur origine n’est pas concrètement comprise mais aurait à voir avec les charges électriques venant des failles sismiques qui ioniseraient l’atmosphère, créant des effets lumineux pouvant prendre la forme de flashs, éclairs, boules lumineuses, halos, couleurs dans le ciel. Ces manifestations pouvant avoir lieu avant, pendant ou après un séisme (10).
Après le séisme, les dégâts :
Les dégâts à Aix-en-Provence :
Les plus gros dégâts à retenir dans la cité du roi René sont les suivants (liste non-exhaustive) (7) :
– A la vermicellerie Augier, deux cheminées s’écroulèrent ;
– Au lycée Mignet (aujourd’hui collège), une cheminée s’effondra au dessus d’un dortoir, ce qui causa la frayeur des élèves ;
– La tour de la grande Horloge a subi une fissure de 5 mètres environ ;
– A la bibliothèque Méjanes (située à l’époque dans le bâtiment de l’hôtel de ville) plusieurs crevasses ont été observées dans le plafond ;
– La fontaine de la place de la Rotonde fut endommagée. Une partie de la vasque ayant été désolidarisée, causant des infiltrations d’eau. Une subvention pour des travaux fut accordée le 4 juillet 1909 et les travaux débutèrent fin mars 1911 (11) pour s’achever en juillet 1911 (11*) (et pas en juillet 1912, comme je l’ai souvent lu. Ma source de juillet 1911 est claire, c’est à cette période que les réparations de la fontaine ont été achevées. D’ailleurs, je n’ai rien trouvé de concret concernant des réparations sur la fontaine de la Rotonde en 1912. Si vous avez des preuves pour la date de juillet 1912, contactez moi pour me les transmettre et je corrigerai).
On imagine que certaines habitations ont aussi probablement subi quelques dommages.
Les villages au nord d’Aix comme Venelles ou Puyricard ont, quant à eux, été lourdement touchés en certains endroits.
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Les dégâts dans les zones les plus touchées :
Les édifices publics :
Les édifices publics ont été particulièrement touchées dans les villages les plus impactés (liste non-exhaustive) (12) :
– A Lambesc et Pélissanne, les clochers ont été gravement touchés ;
– Le clocher de l’église Saint-Laurent de Salon, fissuré, a dû être reconstruit ;
– L’église de Vernègues a été presque intégralement détruite ;
– L’église de Venelles s’est totalement effondrée, ne laissant que le clocher encore debout ;
– A Salon, Puyricard, Istres, Rognes, Saint-Cannat, Lambesc, les écoles ont subi des dégâts ;
– Le château de la Barben a vu son intérieur lourdement endommagé ;
– Le château d’Eguilles s’est lézardé en raison de l’affaissement d’un mur de soutènement ;
– L’église de Saint-Cannat fut très lourdement endommagée.
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Les habitations détruites dans les villages :
Les chiffres évoquent environ 3000 maisons qui ont été détruites, certaines directement lors du séisme, d’autres indirectement, étant devenues inhabitables ou trop endommagées (13).
De très nombreuses familles se sont alors retrouvées sans-abri.
Les victimes du séisme :
Au total, le séisme du vendredi 11 juin 1909 aura causé la mort de 46 personnes : 14 à Lambesc ; 14 à Rognes ; 10 à Saint-Cannat ; 4 à Pélissanne ; 2 au Puy Saint-Réparade ; 2 à Vernegues.
En plus de ces morts, au moins 250 blessés dont au moins 50 très grièvement ont été à déplorer.
Ci-dessous, la liste des 46 victimes de tous âges classées par villages (14).
Les 14 victimes de Lambesc :
Augustin Matheron – 13 ans
Félicie Rabarin (épouse Maurin) – 45 ans
Lucie Rey (épouse Ginoux) – 40 ans
Joseph Ginoux – 6 ans
Valentine Clos (épouse Pougaud) – 40 ans
Clarice Gués (épouse Chauvet) – 28 ans
Paul Chauvet – 3 ans
Rosalie Josuan – 73 ans
Abel Philip – 18 ans
Célina Philip – 11 ans
Adélie Philip – 10
Juliette Philip – 5 ans
Marius Roux – 17 ans
Isabelle Castinel – 8 mois
Les 14 victimes de Rognes :
Marie Baragis (épouse Reynier) – 52 ans
Appolonie Callier (épouse Pin) – 68 ans
Etienne Rosso (époux Ellena) – 64 ans
Marie Ellena (épouse Rosso) – 60 ans
Lucie Rosso – 26 ans
Louise-Marie Caire (épouse Reynand) – 43 ans
Armel Reynand – 3 ans
Désiré-Sextius Isoard (époux Maurin) – 74 ans
Marie Favier (épouse Nol) – 43 ans
Baptistin Rouman – 43 ans
Marie Michel (veuve Rouman) – 67 ans
Joseph Griosel – 36 ans
Marius Audibert – 61 ans
Charles Benentendi – 62 ans
Les 10 victimes de Saint-Cannat :
Alexandre-Louis Romieux – 12 ans
Edouard-Marius Barre – 14 ans
Eléonore Baussan – 72 ans
Sylvain-Honoré Laugier – 48 ans
Denis Pellegrin – 69 ans
Jean Savignac – 67 ans
Antoine Bessone – 35 ans
Charles Dubois – 83 ans
Basile Armieux – 50 ans
Marie Pastore (épouse Armieux) – 44 ans
Les 4 victimes de Pélissanne :
Sophie Castellas – 9 ans
Lucie Roman – 23 ans
Virginie Deynès – 82 ans
Moiseau – 35 ans
Les 2 victimes du Puy Sainte-Réparade :
Léonie Long – 35 ans
Albertine Long (fille de Léonie Long) – 7 ans
Les 2 victimes de Vernègues :
Mme Belon (veuve)
Louis Michel
Les conséquences du séisme :
La destruction de très nombreuses habitations a obligé les habitants des zones les plus sinistrées à quitter certains emplacements (15).
A Vernègues, le village sur les hauteurs déjà quelque peu délaissé depuis la fin du XIXe siècle fut totalement abandonné pour être reconstruit plus bas dans la plaine. Des ruines de l’ancien village sont toujours observables.
Dans d’autres villages, les maisons trop fragilisées ont été abattues, puis reconstruites. A Saint-Cannat, l’église détruite fut reconstruite.
Sources :
(1) Le Mémorial d’Aix du 27 février 1887 (page 2, colonnes 3 et 4 – séisme mercredi 23 février 1887)
(2) Le séisme du 23 février 1887 en Ligurie – Wikipédia en français
(3) Le séisme de 1909 d’après les documents de l’époque – Dossier technique A – Centre d’étude de l’équipement d’Aix-en-Provence (décembre 1983) – Page 7 / A4
(4) Le Matin du 16 juin 1909 (page 1, colonne 3)
(5) Le séisme de 1909 d’après les documents de l’époque – Ibid. (page 8 / A5)
(6) Le séisme de 1909 d’après les documents de l’époque – Ibid. (page 19 / A16)
(7) Le Mémorial d’Aix du 13 juin 1909 (page 3, colonnes 1 à 3)
(8) Le tremblement de terre dans le sud de la France – Camille Flammarion – 1909 (page 306) – Lien vers l’article complet
(9) La Croix de Provence du 11 juillet 1909 (page 1 colonne 2 et 3)
(10) Les lumières de séisme – Wikipédia en français
(11) La Provence Nouvelle du 26 mars 1911 (page 2, colonne 4)
(11*) Le Mémorial d’Aix du 20 juillet 1911 (page 2, colonne 2)
(12) Le séisme de 1909 d’après les documents de l’époque – Ibid. (pages 25 à 27 / A22 à A24)
(13) Annexe 4-11 Le séisme de Lambesc (page 14)
(14) Liste des noms des victimes du séisme : Album souvenir du tremblement de terre en Provence – Précision à propos des âges et filiations des victimes du Puy Sainte-Réparade : http://observatoire-regional-risques-paca.fr/article/puy-ste-reparade
(15) Le séisme de 1909 d’après les documents de l’époque – Ibid. (page 34 / A31)
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Sources complémentaires :
Le séisme de 1909 dans le sud de la France (Wikipédia en français)
Le National du 13 juin 1909 (page 4 puis 2 – scan en désordre)
Le Mémorial d’Aix du 17 juin 1909 (premières pages)
Le National du 20 juin 1909 (page 3, colonne 1- don de pâtes par la vermicellerie Augier pour les sinistrés)
Détermination de l’aire des intensités égales ou supérieures à VIII – Service Géologique National (janvier 1984)
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