Il aura existé durant presque un siècle et demi et aura été en service durant les deux tiers de sa vie. Il n’était pas bien grand mais son utilité compensait ses maigres proportions.
Il a fini par définitivement tirer sa révérence en disparaissant en 2019, n’ayant d’autre choix que de suivre le mouvement du temps.
Le sujet évoqué dans cet article sera le passage sous le pont ferroviaire de l’avenue Robert Schuman que l’on peut observer ci-dessous :
Mais pourquoi donc aborder un élément aussi banal vous me direz ? C’est une question qui peut se poser.
Cependant, ce petit passage disparu en 2019 s’était fait sa petite place dans le décor, raison pour laquelle je lui consacre un article, tout comme je l’avais fait pour le pont d’Anthoine disparu plus récemment, en juin 2021 et comme pour le pont de l’avenue des Belges construit en 1875, qui lui est toujours existant.
Car rappelons-le, le « petit patrimoine », ferroviaire ou non, et aussi petit soit-il, reste une part du patrimoine, même disparu.
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– Voyons la zone où il se trouvait :
Un passage qui n’est plus mais qui fut :
Fin du XIXe siècle : un pont-rail voûté plutôt étroit :
Tout commença dans la seconde moitié du XIXe siècle. Le train existait à Aix depuis 1856, reliant alors la ville à Rognac. Mais en 1877, une évolution majeure apparaît : la ville d’Aix fut désormais reliée à celle de Marseille !
Seulement voila, la nouvelle gare construite de 1874 à 1877 à cette occasion a nécessité un nouveau tracé pour la ligne de chemin de fer et cette dernière traversait le décor de façon assez rectiligne, coupant alors tous les chemins qu’elle rencontrait.
Dans ce type de situations, trois possibilités peuvent être mises en œuvre afin de ne pas gêner le trafic routier et piéton :
1 – Un passage à niveau si la route est au niveau de la voie ferrée ;
2 – Une passerelle par dessus la voie ferrée si celle-ci passe en contrebas du chemin, ce qui fut le cas pour le pont de l’avenue des Belges ;
3 – Un passage sous la voie ferrée si celle-ci passe trop haut par rapport au décor.
Et c’est justement cette troisième possibilité qui a été retenue ici, et c’est à partir de maintenant que notre passage entre en scène (c’est ce qui avait déjà été fait pour le pont d’Anthoine en 1855).
Bien avant l’apparition de la voie ferrée, un chemin dit « des Fenouillères », ancienne route de Marseille, existait déjà à cet endroit, comme on le voit sur le plan ci-dessous datant des environs de 1860 :
Ce chemin étant déjà là, il était donc logique d’y laisser la circulation déjà en place.
Un passage fut donc aménagé en travers du talus sur lequel avait été construite la voie ferré afin que la circulation y continue.
En janvier 1875, il était indiqué comme presque achevé (*)
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que si de nos jours la route qui passe sous la voie ferrée est large d’environ une dizaine de mètres et comprend deux larges voies et bien ce ne fut pas toujours le cas.
En effet, jusque vers 1969-70, seul ce chemin existait là, et ses proportions étaient bien moindres. D’un point de vue technique, un document publié par la SNCF en 2017 (1) et des mesures que j’ai réalisées, nous indiquent que ce petit pont voûté qui permettait de passer sous la voie ferrée avait les caractéristiques suivantes :
– Localisation sur la voie : KM 408+485 ;
– Type : maçonnerie voûtée plein cintre d’ouverture droite de 5.00m ;
– Longueur totale passant sous la voie ferrée : environ 8.00m ;
Donc environ 8 mètres de long pour seulement 5 de large. Avec de telles proportions, autant ne pas être trop encombrant.
Pour se faire une idée de la configuration des lieux jusque 1969-70, voyez les deux clichés ci-dessous datant de 1968 qui nous montrent les deux façades du pont et l’étroite route qui passait en dessous :
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1969-70 : Un nouveau pont-rail plus large :
L’antique configuration n’allait pas durer au delà de la fin des années 60. Car en 1970, le décor devint radicalement différent en raison de la création d’un nouveau passage sous la voie ferrée, comme le montre le cliché ci-dessous daté de 1970.
– En bleu : l’ancien passage sous la voie ;
– En rouge : le nouveau, percé quelques mètres au sud-est.
A partir de cette période, le trafic allait être désormais transféré sous le nouveau pont-rail, tandis que l’ancien pont voûté fut désaffecté et ses abords transformés en parking.
Toujours à partir du document publié par la SNCF en 2017 (1) et des mesures que j’ai réalisées, ce nouveau pont avait, de 1970 à 2018 les caractéristiques suivantes :
– Localisation sur la voie : KM 408+510 ;
– Type : Pont mixte à tablier à poutrelles enrobées ;
– Longueur totale passant sous la voie ferrée : environ 8.00m ;
– Largeur de la route : environ 10.00m.
L’illustration ci-dessous indique l’évolution des voies routières dans les environs.
– En jaune : le chemin d’origine, qui passait sous le petit pont ;
– En rouge : le chemin créé lors de la construction du nouveau pont vers 1969-1970.
Le nouveau pont-rail gommait les défauts de l’ancien qui prenait alors une retraite bien méritée, tout en étant encore présent mais déserté.
Le petit passage allait désormais mener une existence bien calme, à côté du parking qui avait été créé en 1970. Dans un espace partiellement caché par la végétation, bien peu de regards se posaient encore sur ses pierres.
Il croisait encore quelques voitures mais ces dernières se contentaient juste de se garer en dessous. En bref : le calme presque plat.
Mais le décor allait encore changer au XXIe siècle lors de travaux de modernisation de la ligne ferroviaire Aix-Marseille qui se sont déroulés de 2018 à 2020.
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2018-2020 : La modernisation de la voie ferrée et de gros travaux :
La photo ci-dessous, que j’ai réalisée le 6 juillet 2018, résume bien l’expression « gros travaux ». On y voit que les rails avaient été enlevés du talus, ceci dans le cadre de l’élargissement prévu de la voie ferrée qui passait sur le pont. La voie fut littéralement coupée en deux :
Mais durant l’été 2018, le large pont-rail de l’avenue Schuman étant lui aussi en travaux, la circulation automobile et piétonne ne pouvait se faire en dessous.
Solution : le trafic fut dévié sous… l’ancien pont-rail, qui fut soudainement sorti du sommeil dans lequel il était plongé depuis plus de quarante ans !
Les vues ci-dessous, provenant de la modélisation 3D d’Aix en juillet 2018 sur Google Earth nous montrent la déviation mise en place :
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– Un aqueduc caché sous la voie ferrée :
Il n’y a pas que des routes qui passent sous la voie ferrée. En effet, sur ces vues on peut aussi distinguer un édifice voûté partiellement enterré et mentionné dans le dossier de la SNCF (1).
Indiqué comme étant « l’aqueduc voûté de Saint-Jérôme » et ayant peut-être été percé sous la voie au XIXe siècle, il était probablement lié (du moins dans un premier temps) au réseau d’eau qui alimentait d’anciens moulin (Blachet / Martel, Rebuffat) qui se trouvaient plus au sud :
Cet aqueduc n’a visiblement pas été démoli car le dossier précisait qu’il était « à renforcer ou à adapter ». Il serait donc toujours là, sous la voie, ce qui laisse supposer qu’il aurait toujours une utilité.
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La remise en service provisoire du pont en images :
Et c’est avec une grande surprise que l’on a pu voir (ou revoir) cet ancien passage en service, avec des voitures s’y engouffrant.
Les photos ci-dessous sont collector. Premièrement car on n’avait plus vu ça depuis plus de quarante ans ; mais surtout car on ne reverra JAMAIS une telle scène :
Car si ces travaux ont marqué une remise en service provisoire de ce pont, ils allaient aussi en marquer la disparition.
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2019 – La disparition du pont-rail voûté :
Le projet des travaux de modernisation de la ligne ferroviaire consistait, entre autre, à élargir le tablier du pont-rail de l’avenue Schuman afin d’y ajouter des voies ferrées. L’ancien pont voûté étant de la même largeur que le pont construit dans les années 70, il devait logiquement être inclus dans cet élargissement et être « noyé » à l’intérieur. En clair : disparaître.
Le dossier du projet (2) était clair, il évoquait « … la démolition partielle de l’ouvrage voûté de l’ancienne rue de la poudrière et son comblement ainsi que le remblaiement de part et d’autre de l’ouvrage afin d’élargir la plateforme ferroviaire pour accueillir les futures voies ferrées… »
Le montage ci-dessous indique les modifications ajoutées à l’ensemble.
– En fond de carte : les lieux avant les travaux ;
– En jaune : l’emplacement du petit pont voûté ;
– En rouge : la zone englobée dans le nouveau le projet et par les travaux.
Comme on le voit, le pont voûté se trouvait en plein milieu d’une zone qui devait être remblayée.
Les photos ci-dessous datent d’octobre 2018, l’ancien pont n’allait pas tarder à disparaître dans la masse du nouveau :
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Les vues ci-dessous datent d’août 2019 : plus de petit pont, désormais recouvert par le talus du pont nouvellement élargi.
– Sur la photo ci-dessous, il devrait se trouver au centre de l’image :
Les lieux vus de l’autre côté :
Les mois suivants, le décor a encore évolué, des protections anti-bruit ayant été ajoutées durant la dernière phase des travaux.
Voici l’allure des lieux où se trouvait l’ancien petit pont une fois achevés :
Les lieux vus du ciel à différentes périodes :
Un passage qui fut mais qui n’est plus :
Il était un vestige d’une époque aujourd’hui révolue. Les choses sont ce qu’elles sont, les infrastructures de la ligne devaient inévitablement évoluer et le petit passage voûté en a indirectement payé le prix.
Il ne faut cependant pas oublier que ce petit ouvrage, qui bien que très modeste, fut tout de même un élément du « petit patrimoine » ferroviaire.
D’abord indispensable durant près d’un siècle, il fut remplacé vers 1969-70 puis mis de côté durant un peu plus de 40 ans. Puis en 2018, il revint sur le devant de la scène pour y jouer son ultime et dernier rôle, avant de disparaître à tout jamais, désormais enfoui dans la structure de son successeur.
– Sources :
(*) Le Mémorial d’Aix du 3 janvier 1875 (page 1, colonne 2)
(1) Modernisation de la ligne Aix-Marseille – 2nde phase – Dossier d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique (2017) – Aix – Page 86
https://www.sncf-reseau.com/fr/reseau/paca/modernisation-ligne-marseille-gardanne-aix-en-provence/avancement-et-documents
https://www.sncf-reseau.com/fr/entreprise/newsroom/actualite/reunion-publique-aix-en-provence-23-mai-2019
(2) Modernisation de la ligne Aix-Marseille – 2nde phase – Ibid. page 88
Voir aussi : https://www.sncf-reseau.com/sites/default/files/2020-12/annexe_1_perimetredup_b.pdf
Pour l’anecdote, cet article publié le 26 décembre 2022 était à l’état de brouillon depuis l’été 2018, il était temps que je le finisse…
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